IVG : ces obstacles qui demeurent en France pour la liberté d’avorter

Deux tiers des maternités en France ont fermé en 50 ans. Et à chaque fois, c’est aussi un centre IVG qui ferme.
Thomas Barwick via Getty Images Deux tiers des maternités en France ont fermé en 50 ans. Et à chaque fois, c’est aussi un centre IVG qui ferme.

SANTÉ - Un décalage entre la dimension symbolique et ce qu’il se passe sur le terrain. C’est ce que dénoncent les professionnels après l’inscription de l’IVG dans la Constitution, qui sera scellée lors d’une cérémonie place Vendôme à l’occasion du 8 mars, journée des droits des femmes. Car si cette avancée a été applaudie par les défenseurs du droit à l’IVG, louant une victoire symbolique au retentissement international qui inspire déjà d’autres pays, l’accès concret à l’avortement reste très compliqué pour de nombreuses femmes en France.

« D’un côté il y a le symbole, c’est une action inédite et historique, mais on ne peut que constater les difficultés d’accès à l’IVG en France, qui nous préoccupent », confirme Isabelle Derrendinger, présidente du Conseil National de l’Ordre des sages-femmes. Pour elle, le premier obstacle auquel les femmes sont confrontées reste avant tout le nombre de centres IVG, qui a fortement diminué ces quinze dernières années.

« 130 centres d’orthogénie [dédiés à la prise en charge de femmes en demande d’une contraception et/ou d’une IVG, ndlr] ont fermé en France en quinze ans », souligne-t-elle. Des fermetures liées à des réductions de budget et à la disparition d’un grand nombre de maternités de proximité, au profit de grands centres de santé regroupant différentes spécialités. « Deux tiers des maternités en France ont fermé en 50 ans, explique-t-elle. Et à chaque fois, c’est aussi un centre d’orthogénie qui ferme. »

Des disparités territoriales fortes

Parmi les conséquences de ces fermetures : une disparité très forte de l’accès à l’IVG des femmes selon les départements français, avec des délais d’attente parfois très longs, de plusieurs semaines, à certains endroits. « La situation est notamment compliquée dans les territoires ultramarins : le conseil départemental de Mayotte nous fait remonter régulièrement des cas de femmes qui doivent renoncer à l’IVG », souligne la sage-femme.

Les dernières données du service statistique du ministère de la Santé (Drees) de 2022 indiquent que 17 % des femmes doivent changer de département pour avorter, un taux pouvant grimper à 48 % dans l’Ain. Ce qui peut mettre en péril le projet d’IVG de certaines femmes, qui peuvent se retrouver hors délai légal.

« On voit bien les problématiques sur le terrain : certaines femmes doivent avoir trois ou quatre rendez-vous avant de pouvoir être prises en charge », dénonce Albane Gaillot, ancienne députée à l’origine de la loi ayant allongé le délai légal pour avorter de 12 à 14 semaines, désormais porte-parole au Planning familial.

Et c’est sans compter celles qui poursuivent leur grossesse contre leur gré. « On cite souvent le chiffre de 5000 femmes par an qui vont avorter à l’étranger, parce qu’elles n’y ont pas accès dans les délais légaux en France. Mais il y a un chiffre qu’on ne maîtrise pas, qui n’est pas anodin, c’est celui du nombre de femmes qui poursuivent une grossesse alors qu’elles ne le souhaitent pas », ajoute Isabelle Derrendinger.

D’autant que malgré l’allongement du délai de 12 à 14 semaines, certains établissements n’appliquent encore pas la loi. « Il est vrai qu’entre 12 et 14 semaines, ce sont des interventions un peu plus complexes, ça nécessite un apprentissage », concède la présidente du Conseil National de l’Ordre des sages-femmes. Faute de formation adéquate, l’accès aux 14 semaines n’est pas garanti partout.

De même, la suppression de l’entretien psychosocial systématique pour les majeures depuis 2001 ne serait toujours pas respectée, ainsi que la levée du délai obligatoire de réflexion de sept jours avant l’IVG, mis en place en 2016.

Répertoire et clause de conscience

Autre obstacle de taille  : la création d’un répertoire des professionnels pratiquant les IVG, pourtant dans la loi de 2022, n’a pas été mise en œuvre. « Ça a été délégué aux ARS, qui tapent à la porte du Planning familial pour qu’on les aide à faire le répertoire, s’agace l’ancienne députée Albane Gaillot. Mais si on veut mener une politique nationale, il faut un portage politique, il faut des moyens financiers et humains, une organisation adéquate et une évaluation. »

Une liste des professionnels permettrait de faciliter l’accès à l’IVG pour de nombreuses femmes. « Ça leur ferait gagner du temps dans la quête de la mobilisation de la clause de conscience », souligne Isabelle Derrendinger. « Pour l’IVG, il y en a deux : une clause de conscience généraliste pour tous les professionnels de santé quelle que soit l’activité et une clause spécifique sur l’IVG », détaille-t-elle.

Une seconde clause qu’Albane Gaillot a tenté sans succès lors des débats parlementaires de faire supprimer. Pour elle, c’est une illustration du « poids idéologique » qui pèse sur l’IVG. « Ça reste bien ancré comme un acte à part », souligne-t-elle.

Les sages-femmes et l’IVG instrumentale

La loi Gaillot de 2022 a également ouvert la pratique des IVG instrumentales aux sages-femmes. Or, après une phase d’expérimentation qui a eu lieu dans 28 établissements et s’est terminée en décembre 2023, le décret qui généralise cette pratique s’est révélé « totalement sous l’esprit de la loi ».

« Le premier article limitait le délai légal d’accès à l’IVG quand il s’agissait d’avoir affaire à une sage-femme, on passait de 14 à 12 semaines. On nous a expliqué que c’était pour nous protéger », se souvient non sans agacement Isabelle Derrendinger. Face à l’incompréhension des professionnelles, le délai a été modifié ensuite dans le texte par le gouvernement et porté à 14 semaines.

Autre problème qui subsiste : les conditions requises pour réaliser ces IVG pour les sages-femmes sont selon elles « irréalisables ». « Le décret requiert la présence de quatre médecins : le spécialiste gynécologue obstétricien, le médecin orthogéniste, l’anesthésiste-réanimateur. Et en plus, un médecin radiologue spécialisé en embolisation artérielle, qui sont très rares en France », énumère la sage-femme. Pour elle, c’est l’expression d’une « dissonance politique ».

« Le poids du corps médical sur l’IVG »

Après l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le ministère de la Santé s’est engagé à modifier ce décret et à alléger les conditions pour que les sages-femmes puissent réaliser des IVG instrumentales. « Cette réécriture sera engagée dans les prochains jours avec les professionnels de santé », nous assure le ministère, sans en dire davantage pour le moment.

Le ministère de la Santé a aussi annoncé qu’un arrêté, publié samedi 2 mars, avait été signé pour revaloriser de 25 % l’acte de l’IVG, remboursé par l’Assurance maladie. Ce pourcentage n’avait pas évolué depuis 2016. Une commission d’enquête, lancée au Sénat fin février, sera chargée d’évaluer les obstacles dans l’accès à l’avortement.

Reste un dernier obstacle pour les femmes dans leur accès à l’IVG : la désinformation. « Aujourd’hui, si vous tapez “avortement” sur Google, les mouvements anti-choix sont ultra-présents, affirme Albane Gaillot. Si le gouvernement était très engagé sur l’avortement, on aurait des campagnes d’affichage, sur le Web, des films, partout. Et ce n’est pas fait. »

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