En Italie, ces enfants pourraient perdre un parent sur décision de justice

FAMILLE - « C’est inacceptable qu’il y a des enfants de catégorie A et B ». Ce sont les mots forts qu’a prononcés pour le HuffPost Sergio Giordani, maire de Padoue. Dans cette ville du nord de l’Italie, comme partout chez nos voisins transalpins, la situation des familles homoparentales et de leurs enfants tient de l’absurde, entre décisions de justice et vide juridique.

L’histoire d’Ilaria et de sa compagne est exemplaire de ce chaos. En 2018, elles ont décidé d’aller en Danemark pour concevoir leur fils par PMA (ou procréation médicalement assistée). C’est l’une des voies choisies par les couples homosexuels, qui en Italie n’ont pas le droit d’adopter un enfant. Les techniques de fécondation artificielles sont consenties exclusivement aux couples hétérosexuels qui ont des problèmes de fertilité. C’est pourquoi elles ont décidé d’aller à l’étranger pour tenter leur chance.

« Je suis tombée enceinte de notre première fille en 2020, suite à un parcours éprouvant économiquement mais aussi émotivement. C’est très difficile car il faut faire des voyages très longs à l’étranger et être suivi par deux médecins en deux pays différents, » Ilaria a-t-elle raconté au HuffPost. Mais une fois rentrée en Italie pour accoucher, les défis étaient loin d’être derrière elle.

Un va-et-vient entre mairie et tribunaux

Pour enregistrer les parents d’un enfant sur son acte de naissance, il faut s’adresser à la mairie. Or, étant donné que la loi ne s’exprime pas clairement sur les couples homoparentaux, chaque maire décide d’inscrire sur l’acte les deux parents ou seulement le parent biologique. Dans le cas d’Ilaria, elles ont vu leur demande refusée.

« Nous nous sommes alors tournées vers le tribunal pour demander que l’enfant soit reconnu avec les deux parents. Bonne nouvelle : le tribunal a contraint le maire et la commune à enregistrer l’enfant comme étant la fille des deux parents. »

Mais cette victoire fut de courte durée. « Quelques mois plus tard, nous avons dû comparaître en appel où cette décision a été remise en question et nous avons perdu. Nous nous sommes donc retrouvés à nouveau avec une fille ayant une seule mère et un seul nom de famille. »

L’adoption spéciale, une solution efficace mais risquée

Pour que l’enfant ait malgré tout deux parents officiels, Ilaria et sa compagne ont tenté encore une autre voie : l’adoption « spéciale ». Cette procédure longue et complexe permet à la mère non biologique d’adopter dans un deuxième temps le fils de sa compagne, en passant par les services sociaux et un tribunal. « Tu dois démontrer ton aptitude à être le parent d’un enfant que dans les faits tu as élevé depuis toujours, » dénonce Ilaria, qui y voit une discrimination envers les couples du même sexe.

L’adoption spéciale reste l’option la plus sûre sur la longue durée, car le tribunal ne peut pas revenir sur cette décision. Mais d’après les experts, ce n’est pas vraiment une solution. Avant d’arriver à leur terme, ces procédures demandent beaucoup de temps. Et jusqu’au dernier mot du juge, le parent non biologique n’a aucun droit sur l’enfant, ni aucune obligation.

« Le parent qui n’est pas reconnu comme le parent biologique a besoin d’une délégation pour tout, que ce soit pour aller le chercher à l’école ou l’emmener chez le pédiatre. T’es comme un parfait étranger pour ton propre fils, » a expliqué au HuffPost l’avocat spécialisé dans les questions d’homoparentalité Michele Giarratano.

« C’est extrêmement douloureux pour une maman qui passe la nuit à s’occuper d’un enfant malade, mais qui doit obtenir la permission de l’autre parent pour l’emmener chez le pédiatre», ajoute Ilaria. Mais la précarité de cette procédure d’adoption peut avoir des conséquences d’autant plus graves. Par exemple, si le parent biologique meurt avant l’adoption, son enfant est considéré comme un orphelin... Et peut être adopté par d’autres couples.

« L’une des mamans suit actuellement un cycle de chimiothérapie, elle est très malade et risque de mourir, ce qui signifie que l’enfant risque de devenir orphelin si elle meurt, alors qu’il a une autre mère qui n’est pas reconnue par l’État, » a ainsi raconté l’avocat.

Meloni hostile aux familles homoparentales

Face à ce silence législatif, c’est la guerre entre les parents, les mairies, les tribunaux, et même le Ministère de l’Intérieur qui depuis début 2023 intervient de plus en plus lors des procès pour s’opposer aux familles.

Il mène ainsi ouvertement une bataille contre les familles « non traditionnelles ». Suite à une circulaire de la part du gouvernement Meloni, beaucoup de villes ont arrêté d’écrire les deux noms sur l’acte de naissance de l’enfant. Dans d’autres, des parents « officialisés » depuis jusqu’à six ou sept ans ont été également visé par des procédures.

Résultat de cet imbroglio politico-judiciaire : la situation de chaque enfant est évaluée au cas par cas, parfois sans aucune cohérence. Il arrive alors que des frères et sœurs d’une même famille, nés dans la même situation et dans la même ville, aient des statuts différents. C’est justement le cas d’Ilaria et sa compagne, qui attendent de pouvoir adopter leur deuxième enfant.

« En ce moment, nous avons deux enfants, une fille et un garçon, qui ont juridiquement deux statuts différents. La petite est reconnue comme étant la fille des deux, tandis que le petit garçon ne l’est pas, ce qui rend absurde la situation. »

Autre couple, drame similaire : Glenda et Isabella ont pu enregistrer les deux parents dès la naissance de leur premier enfant. Mais pour leur deuxième bébé la situation est différente : son acte de naissance a été remis en question, quelques mois seulement après l’accouchement.

Le nourrisson risque alors de perdre une des mères et de devoir être adopté. « On veut seulement que les deux enfants aient le même statut, les mêmes papiers », expliquent-elle. Elles craignent que la différence de situation puisse causer des problèmes, notamment au moment de l’héritage.

Avec leur avocat Vincenzo Miri, elles cherchent alors à faire remonter l’affaire à la Cour Constitutionnelle italienne, qui pourrait mettre un terme à la question. Récemment, le président de la Cour a évoqué la nécessité d’une loi claire sur la filiation des enfants. Mais si le Parlement ne légifère pas, ce sera à elle de décider si « effacer » le parent d’un enfant est respectueux ou non de la constitution.

À voir également sur Le HuffPost :

La Thaïlande est le premier pays à faire un très grand pas vers le mariage homosexuel en Asie du Sud-Est

Homophobie : Aurore Bergé saisit la justice après les propos d’un abbé sur les thérapies de conversion