En Iran, une « révolution sociétale » est en cours, affirme cet expert
IRAN - « Femme, vie, liberté ! » Tout juste deux mois après la mort de Mahsa Amini le 16 septembre dernier, arrêtée à 22 ans par la police des mœurs pour avoir mal porté son voile, ce cri de la population iranienne ne cesse de retentir. Le mouvement, parti de la colère des femmes face aux restrictions sexistes imposées dans leur pays, s’est depuis étendu.
« C’est inédit, souligne Jonathan Piron, historien et chercheur spécialiste de l’Iran. Contrairement à de précédentes manifestations, ce ne sont plus seulement des catégories sociales particulières qui sont en colère. Au début, c’étaient des habitants du Kurdistan iranien, d’où était originaire Mahsa Amini. La contestation s’est ensuite propagée aux grandes villes, aux avocats, aux ouvriers, aux lycéens et étudiants. »
Les raisons de la révolte aussi ont évolué. Il n’est plus seulement question de la condition des femmes mais aussi celle des minorités, notamment des Kurdes violemment réprimés dans les manifestations, et de la situation économique catastrophique dans le pays. Pour Jonathan Piron, « la mort de Mahsa Amini a été le catalyseur de tous les griefs de la population contre le pouvoir ».
Une grève générale pour relancer la mobilisation
Autre particularité de ce mouvement, sa capacité de rebondir après des périodes de moindre intensité. « La mobilisation repart souvent au 40e jour de la mort d’un ou d’une manifestante, célébré dans l’islam chiite, ou à l’occasion de l’anniversaire des contestations passées », ajoute le chercheur.
C’est le cas ce mardi 15 novembre. Les organisateurs des manifestations contre la mort de Mahsa Amini ont appelé à la grève générale pour marquer le troisième anniversaire de la répression meurtrière après la révolte contre la hausse des prix du carburant de 2019. À l’époque, plusieurs centaines de personnes sont mortes.
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Depuis deux mois aussi, la répression est féroce. 326 manifestants, dont 43 enfants, ont été victimes de la violence policière, selon le dernier bilan de l’Iran Human Rights (IHR), une ONG basée en Norvège. Des milliers d’autres sont emprisonnés. Et pour la première fois dimanche, une personne accusée d’avoir participé aux « émeutes », mot utilisé par le régime pour qualifier la révolte, a été condamnée à mort.
La révolution en marche ?
Signe d’une perte de contrôle par le régime ? C’est ce que pense la sociologue franco-iranienne Azadeh Kian, interrogée sur Franceinfo lundi 14 novembre. Selon elle, face à ce mouvement qui s’est « répandu à l’ensemble des groupes sociaux » et à la « mobilisation qui continue malgré la répression », le régime « ne sait plus comment faire ».
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« Une révolution est en marche », affirme même à 20 Minutes Mariam Pirzadeh, spécialiste de l’Iran pour la chaîne France 24. Après avoir reçu à l’Élysée quatre dissidentes iraniennes, Emmanuel Macron a aussi salué la « révolution qu’elles sont en train de conduire » dans leur pays.
Jonathan Piron acquiesce. Mais en partie seulement. « J’ai l’impression que le pouvoir ne comprend pas la puissance de ce mouvement, révolutionnaire d’un point de vue sociétal, pointe l’historien. Le régime ne perçoit pas la profondeur et l’ampleur de la fracture avec le peuple, qui déconsidère la structure politique en place. »
La chute du régime attendra
Cependant, il refuse de parler de révolution politique : « On est devant ce que j’appelle une ’’protestation liquide’’. C’est une protestation collective mais sans leadership ni structure politique forte qui pourrait renverser le régime. » Les manifestants ne sont pas (encore) soutenus par les membres de l’armée ni les Gardiens de la révolution, le pouvoir continue donc de faire bloc.
La survie de ce dernier est malgré tout remise en cause au vu des mouvements d’ampleur qui se multiplient ces dernières années. D’abord en 2009, après la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad, puis en 2017-2018 contre la situation économique, en 2019-2020 après la hausse des carburants...
Ces séquences n’ont pas abouti à des changements dans le pays, mais cette fois « la longévité du mouvement montre qu’on assiste à la création d’une nouvelle mobilisation sociale qui crée une histoire, une expérience pour nourrir d’autres contestations dans le futur », affirme Jonathan Piron. « Même si on ne voit pas 100 000 personnes défiler dans les rues de Téhéran, on est en présence d’un mouvement qui pénètre la société iranienne et qui aura un impact énorme sur le long terme. »
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