Investiture de Trump: comment l'hymne gay "Y.M.C.A." des Village People a été récupéré par le camp républicain
La journée d'investiture de Donald Trump sera rythmée ce lundi 20 janvier par Y.M.C.A., ce tube du groupe Village People considéré depuis 1978 comme un hymne gay. Un mélange des genres surprenant alors que le futur 47e président des États-Unis inquiète de nombreuses personnes LGBT+, qui craignent un recul de leurs droits - le nouveau locataire de la Maison Blanche dit notamment vouloir "stopper le délire transgenre" dès son premier jour au pouvoir.
Reniant sa signification originelle, Donald Trump a fait du célèbre tube disco la chanson de sa victoire en novembre 2024. Les images de sa chorégraphie sur cette musique pendant sa campagne sont devenues virales. Et comme pour adouber le futur président, Village People a accepté de jouer lors des festivités entourant son investiture.
Pour justifier sa participation, le groupe a assuré sur Facebook "que la musique (devait) être jouée sans tenir compte des préférences politiques" pour "rassembler le pays après une campagne tumultueuse au cours de laquelle notre candidate favorite (Kamala Harris, ndlr) a perdu".
"Manifeste de fierté homosexuelle"
Interprété par six chanteurs costumés, chacun incarnant un personnage stéréotypé de l'imaginaire homoérotique (cowboy moustachu, plombier, motard vêtu de cuir...), Y.M.C.A. est "un manifeste de fierté homosexuelle", avait affirmé dans le documentaire Secret Disco Revolution Henri Belolo, le co-créateur du groupe Village People.
Titre phare du troisième disque de Village People, Cruisin' ("la drague" en argot homosexuel), Y.M.C.A. fait référence à la Young Men’s Christian Association, un mouvement de jeunesse chrétien qui met des lieux de sport et d'hébergement à disposition des jeunes hommes. Mais ces lieux servaient aussi de lieux de rencontres homosexuelles.
Les paroles co-écrites par Henri Belolo, Victor Willis et Jacques Morali, qui était lui-même homosexuel, évoquent sans ambiguïté la communauté gay: "C'est amusant de séjourner au Y.M.C.A./Ils ont tout pour que les jeunes hommes s'amusent/Tu peux passer du temps avec tous les garçons", entonne ainsi le groupe.
Un groupe pour les gays
Imaginé en 1977 par le français Jacques Morali, le groupe Village People était à l'origine destiné "uniquement au marché gay", avait-il raconté à la revue Rolling Stone. Le nom du groupe fait par ailleurs référence à Greenwich Village, le quartier gay new-yorkais.
"Je me suis dit que les gays n'avaient pas de groupe, qu'il n'existait personne pour personnifier les gays", avait détaillé Jacques Morali dans les colonnes du magazine. "Je n'aurais jamais cru que les hétéros s'en empareraient."
Depuis sa diffusion initiale, Y.M.C.A. est indissociable de la communauté gay. Au cinéma et à la télévision, il est souvent employé pour souligner l'homosexualité d'un personnage. En 2017, le chanteur britannique Boy George avait aussi conçu une nouvelle version du morceau avec le YMCA Australia pour soutenir le mariage pour tous.
Récupération
Village People a longtemps soutenu cette interprétation de Y.M.C.A.. David Hodo, l'ouvrier du bâtiment dans le groupe musical, et Randy Jones, le cowboy, avaient estimé en 2008 sur le site Spin qu'il était possible de voir dans le morceau un hymne gay en raison de l'ambiguïté de ses paroles.
"Si vous êtes un athlète hétéro, vous pouvez interpréter les paroles de Y.M.C.A. d'une manière. Et si vous êtes un homme gay et que vous avez l'habitude de draguer, vous pouvez interpréter le morceau d'une autre manière", avait ainsi assuré Randy Jones.
Mais la réappropriation du morceau par le camp Trump a brouillé le sens original de la chanson. En 2020, lors de sa campagne, Donald Trump change les lettres "YMCA" par l'acronyme "MAGA", soit "Make America Great Again", son slogan. Une utilisation politique dénoncée alors par Victor Willis, le co-compositeur du morceau.
Plusieurs millions de bénéfice
Ce chanteur, qui incarne le policier dans les Village People, avait alors attaqué en justice Donald Trump avant de se rétracter, pour profiter des royalties gagnées grâce à la campagne. "Les avantages financiers ont été considérables", a-t-il assumé sur Facebook le 2 décembre dernier.
"On estime que Y.M.C.A. a rapporté plusieurs millions de dollars depuis que le président élu a décidé d’utiliser la chanson", écrit-il. "Finalement, je le remercie d’avoir choisi d’utiliser ma chanson." Dans le même message, Victor Willis avait assuré que le morceau n'avait rien d'un hymne gay:
"C'est une fausse supposition qui vient du fait que mon co-auteur était gay, de même que certains membres de Village People (mais pas tous), et que le premier album de Village People parlait très clairement de la vie gay."
Paroles ambiguës
Le chanteur réfute "totalement" l'idée d'un double-sens homosexuel. "J'ai écrit Y.M.C.A. au sujet de ce que je savais de ceux qui étaient localisés à San Francisco: des lieux pour nager, jouer au basket-ball, faire de l'exercice, et où trouver de la nourriture et des chambres pour pas cher."
C'est justement cette ambiguïté qui en fait pourtant un hymne gay, soulignait en 2018 sur le site Gothamist Karen Tongson, professeure en études queer à l'Université de Californie du Sud: "La culture queer s'est longtemps exprimée à travers les sous-entendus, dans des œuvres dotées de multiples sens."
"C'était une manière de communiquer publiquement sans que personne ne soit au courant", avait ajouté cette spécialiste. Des sous-entendus contre lesquels se bat Victor Willis, qui entend désormais poursuivre en justice "tous les organes de presse (...) qui présenteront Y.M.C.A. comme un hymne gay".