INTERVIEW. "Sans la mort, la vie n'aurait pas de sens"

Lutter contre toutes les morts, et par tous les moyens : tel est selon le philosophe le but des vivants. Une mission à la fois tragique et joyeuse car elle implique amour, plaisir et création.

Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°211 daté octobre/ décembre 2022.

Frédéric Worms est philosophe spécialiste de Bergson, directeur de l'École normale supérieure (ENS) et membre du Comité national consultatif d'éthique. Il s'intéresse également à la question des relations vitales aujourd'hui.

Sciences et Avenir - Les Indispensables : Au fond, qu'est-ce que la mort ?

Frédéric Worms : Ma position va peut-être vous surprendre : on ne peut définir ni la vie ni la mort en général, mais seulement l'une par rapport à l'autre. La vie, c'est ce qui peut s'interrompre par la mort. Et la mort ne peut se définir sans la vie, ou plutôt sans les vivants, des vivants singuliers. La mort, c'est l'interruption définitive d'une vie concrète, individuelle. Certaines philosophies comme celles de Schopenhauer ou de Nietzsche disent que seuls les vivants meurent, mais non la vie, qui les traverse tous. Ils en concluent à tort que la mort est une illusion. C'est le contraire ! Je ne sais pas ce qu'est la vie en général, mais je sais que les morts et les vivants individuels sont bien réels. Chaque vivant se définit par et contre la mort. La biologie en témoigne : le but des vivants, c'est d'abord de lutter contre la mort.

Ce qui est tout à fait nouveau, c'est que nous vivons désormais sous la menace d'une extinction collective. La mortalité s'étend au-delà de ce qu'on pouvait penser. Et notre responsabilité également : nous devons lutter contre la mort de la planète.

En quoi cette menace impacte-t-elle les individus ?

Par le passé, de grandes philosophies de l'être humain visaient à montrer qu'il ne se réduit pas à un vivant. Par exemple, la plupart des religions sont plus ou moins fondées sur un dualisme, avec une survie après la mort ; la modernité est basée sur l'idée que l'être humain n'est pas seulement mortel mais rationnel, qu'il construit une histoire, s'arrachant à la nature, peut-être au point de dépasser la mort. Mais il y a un retourneme[...]

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