Les infirmiers de blocs opératoires, ces soignants de l’ombre dont la mort est programmée

Notre profession, habituellement si peu visible, a également bénéficié d’une médiatisation sans pareil, qui rappelle à quel point les infirmiers constituent un maillon essentiel de notre système de soins. Un maillon essentiel et humain, partout en France, au plus près des patients. Mais après la crise, qui saura se souvenir du rôle joué par les infirmiers au quotidien? (image d'illustration)

INFIRMIERS - NOUS, nous sommes les IBODE : les Infirmier(e)s de Bloc Opératoire Diplômé(e)s d’État. Nous sommes environ 7 000 en France, infirmier(e)s spécialisé(e)s au bloc opératoire. Après nos études d’infirmière de plus de trois ans à l’époque, nous avons dû exercer 2 ans avant de pouvoir passer le concours pour intégrer l’institut de formation à la spécialité en bloc opératoire qui était de dix-huit mois. Depuis septembre 2022, elle a été portée à 24 mois (grade Master) et les deux ans obligatoires avant de passer le concours ont été abrogés. Nous travaillons en collaboration avec les chirurgiens et le reste de l’équipe.

Sans nous aucune chirurgie n’est possible

Notre mission principale est d’assurer la sécurité du patient au bloc opératoire. Cela recouvre des champs de compétences très vastes comme l’hygiène hospitalière, la mise en condition de sécurité de la salle d’opération avec ses nombreux appareils, la conformité du dossier du patient (check-list) , la traçabilité des actes effectués, la préparation des opérations (commande du matériel spécifique, procédure de stérilisation, rigueur de l’asepsie), la réponse adaptée et efficace à tous les incidents et bien sûr notre présence en salle d’opération en tant que circulant, instrumentiste, aide opératoire ou assistant du chirurgien.

Nous sommes les seuls professionnels à vous accompagner tout au long de votre parcours opératoire au sein des plateaux techniques interventionnels.

Notre travail demande des connaissances spécifiques en stérilisation, anatomie et techniques chirurgicales. Il nécessite aussi une grande dextérité qui s’acquiert notamment pendant les stages de notre cursus de formation.

Nous exerçons le jour, la nuit, les week-ends, les jours fériés… H24, 365 jours par an !

Une profession reconnue par aucun acteur de santé

Hélas, notre profession n’est pas reconnue, ni par nos instances, ni par nos employeurs ou proches collaborateurs. Ceci a pour conséquence la fuite de nombreux IBODE, aussi bien en secteur public que privé. Pire, devant le manque d’IBODE, des réformes visent à brader notre savoir et notre diplôme, en attribuant aux collègues infirmiers de soins généraux « faisant fonction » d’infirmiers de bloc l’autorisation d’exercer les mêmes actes que nous avec une simple formation de 21 heures ! Serait-il imaginable qu’on puisse devenir chirurgien avec 60 heures de formation au lieu de 6 ans d’internat ? Bien sûr que non ! À l’origine, notre métier en bloc opératoire s’apprenait uniquement « sur le tas » sans formation spécifique existante. Le compagnonnage était le seul moyen de pouvoir se former. L’apparition d’un système de formation particulier a permis de renforcer les connaissances, de développer des compétences et combler les nombreux manques théoriques. Il aurait dû conduire à terme à ce qu’il n’y ait que des IBODE dans les blocs opératoires.

Serait-il imaginable qu’on puisse devenir chirurgien avec 60 heures de formation au lieu de 6 ans d’internat ? Bien sûr que non !

Mais presque trente ans après ce n’est toujours pas le cas. Nous n’avons toujours pas d’exclusivité de fonction comme cela peut être le cas pour d’autres spécialités.

Il est indispensable à l’heure d’aujourd’hui que les infirmiers qui œuvrent dans les blocs opératoires soient tous IBODE, à l’instar de la Suisse ou du Canada.

La perte des compétences, du savoir faire et du savoir être, engendreront inéluctablement des incidents et les soucis en cours d’opération vont augmenter. Quand on rajoute à cela le turnover important dans les équipes (lié aux conditions de travail, à la pénibilité, aux contraintes sur la vie familiale et au salaire trop faible), la morbi-mortalité dans les blocs opératoires va exploser.

C’est le patient en bout de chaîne - VOUS - qui en paiera les conséquences.

Les IBODE sont épuisés, écœurés et les effectifs trop réduits dans cette course effrénée au rendement.

Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à mettre en place un système qui fonctionne depuis longtemps dans d’autres pays occidentaux ?

Pourquoi lorsque les raisons de la fuite des IBODE sont connues, les instances n’agissent pas sur de vrais leviers ? L’augmentation des effectifs passe forcément par une meilleure attractivité du métier en termes de salaire (le Ségur de la Santé a profondément déçu en n’atteignant pas les attentes minimums des IBODE, et les démissions se sont accélérées), d’articulation entre la vie de famille et la vie professionnelle (plannings respectés, heures supplémentaires payées, nuits et week-end réellement valorisés), et de cadre de travail (matériel en bon état, effectifs en nombre suffisant). Un régime spécial est nécessaire !

On médiatise à juste titre les problématiques des services des urgences car elles se voient. Celles des blocs opératoires sont cachées.

Aujourd’hui une voix s’élève pour alerter sur la mort programmée de la spécialité IBODE.

Défendre sa santé, c’est aussi soutenir les IBODE !

Cette tribune a été publiée avec la participation du Collectif Inter-Blocs dont : Rachid Digoy, Virginie Cabuy, Stéphanie Huillet, Camille Le Roux, Grégory Chakir, Mathilde Bourguet.

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