En Bulgarie, retour en force des conservateurs après six législatives en trois ans

Une femme vote lors des élections législatives et européennes à Sofia le 9 juin 2024 (Nikolay DOYCHINOV)
Une femme vote lors des élections législatives et européennes à Sofia le 9 juin 2024 (Nikolay DOYCHINOV)

A peine un tiers des Bulgares se sont déplacés dimanche pour élire leurs députés, parallèlement aux européennes, des sixièmes législatives en trois ans qui ont donné la victoire aux conservateurs, sans garantie cependant d'une sortie de l'impasse.

Le vent de changement qui soufflait sur le pays des Balkans à l'été 2020 est bel et bien retombé. Et celui qui avait été chassé du pouvoir après des manifestations contre la corruption, l'ex-Premier ministre Boïko Borissov, revient en force.

Son parti Gerb recueille près de 25% des voix, selon les projections publiées dans la soirée par les instituts de sondage sur la base de dépouillements partiels.

Il devance nettement les réformateurs de la coalition Continuons le changement/Bulgarie démocratique (de 14 à 15%) qui n'ont pas réussi à maintenir l'élan après des manifestations massives contre la corruption à l'été 2020.

M. Borissov va-t-il pour autant réussir à former une majorité pour gouverner ? Le Parlement est extrêmement morcelé et les négociations s'annoncent compliquées, les analystes évoquant déjà le spectre d'un septième vote à l'automne.

Dans les bureaux de vote de Sofia, les habitants ont confié leur exaspération et "lassitude".

Pour l'expert Ognyan Minchev, directeur de l'Institut d'études régionales, "il n'y a pas de vainqueur" tant le taux de participation est faible (autour de 30%), du jamais vu depuis des décennies. "C'est une dernière mise en garde des électeurs à la classe politique, un ultimatum" pour qu'enfin un accord soit trouvé, a-t-il commenté à la télévision.

- "Homme fort" -

Devant la succession de scrutins et une crise politique sans précédent depuis la fin du communisme, le camp réformateur a subi une claque, alors que le vétéran "Boïko" a tiré son épingle du jeu.

Ancien pompier et garde du corps, ce colosse au crâne rasé renvoie l'image d'un "homme fort", et c'est ce que recherchent précisément 49% des Bulgares selon une récente étude de l'Institut Open Society.

En votant dans une école en périphérie de la capitale, le responsable de 64 ans s'est posé en garant de la "stabilité", à un moment de grandes incertitudes en Europe avec la guerre en Ukraine.

De quoi séduire dans ce pays le plus pauvre de l'Union européenne, où le marasme actuel a mis en suspens les réformes, repoussé l'adhésion à la zone euro et compromis l'accession pleine et entière à l'espace de libre circulation Schengen.

"Il faut que la situation se calme enfin. On a tenté toutes sortes d'expériences pour remplacer Boïko Borissov mais personne n'a réussi", lance Blagovesta Petkova, une institutrice de 44 ans.

Mais les détracteurs de M. Borissov brandissent ses liens avec le député Delyan Peevski, un ancien magnat des médias visé par des sanctions américaines et britanniques pour corruption.

A la tête du parti de la minorité turque MDL (quelque 16% des voix), M. Peevski pourrait former une coalition avec Gerb. Il a évoqué dimanche la nécessité d'un "nouveau départ" pour que "le pays puisse se développer".

- Montée des forces prorusses -

Leurs adversaires mettent en garde contre un retour en arrière, sous l'influence de "forces de l'ombre".

"Nous sommes à la croisée des chemins", avait averti dans la journée Kiril Petkov, co-fondateur de CC qui a brièvement dirigé le gouvernement en 2022, tandis que son allié Hristo Ivanov appelait à "ne pas laisser la Bulgarie entre les mains de Peevski".

Pari perdu : ils ont été sanctionnés dans les urnes pour avoir accepté de gouverner avec leurs ennemis de Gerb, après les avoir tant voués aux gémonies.

Les deux forces avaient mis de côté en juin 2023 leurs différends pour former un gouvernement pro-occidental et barrer la route aux cabinets intérimaires mis en place par le président Roumen Radev sensible aux thèses du Kremlin. Mais cette fragile union n'aura duré que neuf mois.

Le scrutin a par ailleurs été marqué par une poussée des forces favorables au Kremlin sur fond de désinformation foisonnante dans un pays où la nostalgie de l'époque communiste reste forte.

Les nationalistes prorusses de Vazrajdane (Renaissance) ont récolté environ 14% des voix, tandis qu'un nouveau parti de même sensibilité, Velichie (Grandeur), devrait faire son entrée au Parlement.

ds-vs-anb/thm