« How to have sex » va parler aux femmes mais pas forcément aux hommes, et c’est bien le problème
CINÉMA - La musique électronique est assourdissante et les néons colorés dansent à l’écran. Mais How to have sex ne donne pas envie de faire la fête. Et contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, le film n’a rien d’une comédie romantique pédagogique pour adolescents à la découverte de leur corps. Avec son premier long-métrage, la réalisatrice britannique Molly Manning Walker parle de consentement dans une jeunesse post Me too, pas forcément plus armée dans son approche de la sexualité.
À Cannes, Molly Manning Walker a bien failli rater sa remise de prix
How to have sex est au cinéma depuis le 15 novembre après avoir remporté le prix Un Certain Regard au Festival de Cannes. Le film suit Tara, Skye et Em, trois amies d’enfance britanniques qui partent en vacances en Crète à la fin du lycée. Leur programme : boire, sortir danser, vomir, et pour Tara, faire l’amour pour la première fois. Dans leur hôtel, elles rencontrent un groupe de jeunes un peu plus âgés et se rapprochent de deux garçons, Paddy et Badger.
La perte de la virginité a longtemps été tournée en dérision au cinéma, surtout quand il s’agit de celle d’un homme (American Pie aura marqué une génération). Lorsque le personnage principal est féminin, elle devient au contraire sacralisée et romantisée.
Molly Manning Walker ne tombe dans aucun de ces deux écueils. Dès le début, elle montre avec justesse la pression sociale que cristallise la première fois. Tara a hâte de passer à l’acte, pas tant parce que le sexe l’attire, mais par honte d’être encore vierge. Ses amis et la société lui font croire qu’elle ne sera bientôt plus désirable si elle n’est pas expérimentée.
« How to have sex » : la difficile question du consentement
Lors d’une soirée, des défis graveleux sont organisés, jusqu’à une compétition de fellation sur scène, devant un public hilare. Le malaise est palpable dans les yeux de Mia McKenna-Bruce, l’actrice qui joue Tara. Cette scène n’a rien d’anecdotique, c’est elle qui a inspiré tout le film à la réalisatrice, elle-même témoin d’une fellation en publique en vacances.
Plus tard dans la soirée, Tara est seule sur la plage avec Paddy, qui se « rend seulement compte maintenant à quel point elle est jolie ». La première fois de la jeune fille sera une agression vécue en silence. Molly Manning Walker illustre ce qui est qualifié par certains de « zone grise » : elle n’a pas dit non, mais était-elle consentante pour autant ?
Après une nuit à errer seule avec le poids de ce qu’elle vient de subir, Tara rentre se coucher. Le jeune homme la viole à nouveau, pendant qu’elle dort. La zone n’a désormais plus rien de gris, comme pour convaincre les spectateurs qui douteraient encore qu’il est un agresseur.
Et selon la réalisatrice, certains en doutent toujours après avoir vu le film. « Les réactions de nombreux journalistes hommes à Cannes m’ont surprise : ils évoquaient l’alcool pour excuser les agressions ou le fait que Tara ne dise pas non, la responsabilité à leurs yeux semblait partagée », raconte-t-elle dans le dossier de presse.
Culture du viol et sororité
Ce que vit Tara est susceptible de remuer des souvenirs douloureux chez de nombreuses spectatrices (pour rappel, une femme sur trois a déjà subi de la violence sexuelle selon l’ONU). Ces réactions partagées sont la preuve que même en 2023, la notion de consentement n’est pas perçue de la même manière par les hommes et les femmes.
Plutôt que de la résumer à un oui ou un non, How to have sex montre une réalité plus nuancée. Le film rappelle que la culture du viol s’étend bien au-delà de l’agresseur et sa victime. Badger, l’ami de Paddy, sait que ce dernier se comporte mal avec les filles mais ne dit rien. Skye met la pression à Tara pour qu’elle couche avec un garçon et ne lui laisse pas l’espace de raconter sa « première fois ». L’alcool coule à flots, les filles s’habillent de façon hypersexualisée et les jeux sexuels sont encouragés.
Mais le film met aussi en scène la sororité qui émane d’une société où les femmes ne se sentent pas en sécurité. En lendemain de soirée, Em et Skye se demandent immédiatement où est Tara et s’inquiètent de ne pas la voir dans leur chambre d’hôtel. Et lorsque cette dernière se retrouve seule et ivre dans une boîte de nuit, une inconnue la prend sous son aile, refusant de la laisser seule dans cet état. Ces détails paraîtront peut-être anodins pour les spectateurs. Les spectatrices, elles, savent que ça veut dire beaucoup.
À voir également sur Le HuffPost :