Comment Hollywood peaufine les titres de ses blockbusters pour cacher son manque d'inspiration

Détail de l'affiche de
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Hollywood manque peut-être d'inspiration pour ses scénarios, mais pas pour ses titres de films. Dans un contexte de multiplication des superproductions et des suites, où l’originalité s'est raréfiée, la "Mecque du cinéma" a trouvé une astuce pour séduire un public de plus en plus critique et de plus en plus difficile à satisfaire.

Exit les twists imprévisibles, les destinations exotiques et les effets spéciaux novateurs. Pour donner l'impression que les énièmes suites d'Ant-Man ou de Scream valent la peine de se déplacer en salles, les studios soignent plus que jamais leurs titres, et y glissent des messages subliminaux visant à rassurer le public.

Avec les "legacyquel" (des films entre le reboot, la suite et l'hommage rétro), cet art du titre est l'une des méthodes les plus sûres pour attirer la nouvelle génération sans se couper des fans d'origine.

S'amuser avec les attentes

Par essence réducteur, le titre doit souligner toutes les nuances d'une œuvre. Le théoricien de la littérature Gérard Genette distinguait ainsi dans son ouvrage Seuil d'une part les "titres littéraux, qui désignent sans détour [...] le thème ou l'objet central de l'œuvre". C'est le cas de la majorité des blockbusters contemporains, de Black Panther: Wakanda Forever à Donjons et Dragons: L'Honneur des voleurs (en salles le 12 avril).

Il y a également les "titres proleptiques", selon Gérard Genette, qui "s'attachent à un objet moins indiscutablement central, parfois délibérément marginal". Ant-Man et la Guêpe: Quantumania est de ceux-là, tout comme Avatar: La Voie de l'eau, Star Wars, épisode VIII: Les Derniers Jedi ou Prometheus, le préquel d'Alien signé Ridley Scott.

Les titres ont, par ailleurs, une indéniable dimension marketing. Pour convaincre les fans de Scream que le cinquième volet était une vraie proposition cinématographique et non un opportuniste "legacyquel", le studio Paramount a choisi de le baptiser tout simplement Scream, comme le film d'origine.

La stratégie a fonctionné. Malgré de mauvaises critiques, déplorant l'absence d'originalité du produit, Scream a cartonné en salles et a relancé la franchise. Un sixième volet a été tourné dans la foulée. Sobrement intitulé Scream VI, il sort ce mercredi au cinéma, quatorze mois à peine après.

"La décision d'appeler Scream 5 juste Scream était liée à la dimension méta du film", explique à BFMTV le réalisateur Tyler Gillett. "Pour Scream VI, l'utilisation d'un chiffre latin était une manière de s'amuser avec les attentes du public - et stylistiquement, ça correspond parfaitement au côté 'tranchant' du film."

Cette stratégie remonte au Godfather Part II. Des années 1970 à 1990, la majorité des superproductions ou des suites ont adopté cette numérotation latine, comme si le recours à des chiffres arabes était inélégant. Tous les genres ont été touchés: boxe (Rocky II), horreur (Halloween II), SF (Star Trek II), policier (French Connection II)...

La latinisation des blockbusters

L'usage des chiffres romains s'est perdu à Hollywood dans les années 1990, après l'échec de plusieurs films adoptant cette stylisation (Beverly Hills Cop III), avant de revenir au début des années 2000 (Blade II, Bad Boys II) et 2020 (Creed III, A Quiet Place Part II). Une stylisation peu respectée dans les traductions françaises.

Cet usage récurrent des chiffres romains témoigne aussi du changement de statut de ces films, pour la plupart passés de simples séries B à des superproductions aux budgets démesurés. Pendant des années, les suites étaient réservées aux productions bis, ou horrifiques, comme Frankenstein ou Dracula.

Le recours à une numérotation latine permet ainsi d'apporter à ces films une forme de respectabilité. Associée aux États-Unis aux grands événements sportifs (World Series, Super Bowl), elle rassure tout en inscrivant l'œuvre dans la grande histoire, en créant une impression de continuité et de permanence.

Le latin apporte aussi une dimension littéraire au blockbuster, ainsi qu'une forme d'élégance. Le troisième John Wick s'intitule donc Parabellum, d'après une célèbre locution latine ("Si vis pacem, para bellum", soit "si tu veux la paix, prépare la guerre"). Une prétention qui colle à l'esprit sérieux dont se pare la franchise depuis ce volet.

Créer l'événement

Les chiffres romains offrent également la possibilité de s'amuser avec les titres en leur donnant des allures de logo - soit la nature même du blockbuster: une marque que l'on décline à l'infini. Comme pour MIIB (Men in Black 2), M:I-2 et M:I:III (Mission: Impossible 2 et 3), Jurassic Park III (le "III" est une griffure), Scream VI (le "VI" se fond dans le "m").

Mais le latin n'est pas l'unique coquetterie que les blockbusters s'autorisent. Les suites de John Wick sont ainsi des "chapitres". La très attendue suite de Joker, relecture sombre et réaliste du célèbre super-vilain, a été baptisé de son côté Folie à deux, une référence à un phénomène psychiatrique de psychose partagée.

Certains titres créent l'événement autant que les films. Chaque révélation d'un titre de Fast and Furious constitue un événement et suscite de nombreuses théories. Aussi fous qu'intraduisibles (2 Fast 2 Furious, Fast Five ou The Fate of the Furious), ces titres ont grandement participé à la popularisation de la Fast Saga.

Annoncé comme l'avant-dernier, le dixième volet affiche un titre plus sérieux que d'habitude, Fast X. Petite déception pour les fans qui espéraient un calembour comme Fas10 Your Seatbelts ("attachez vos ceintures"). Mais à en croire son titre japonais - le poétique Wild Speed: Fire Boost -, l'esprit fou de la saga devrait être au rendez-vous.

Méfiance

Marvel, enfin, a compensé le manque d'intérêt que pouvaient susciter les phases 4 et 5 de son univers cinématographique après le départ de Robert Downey Jr. et Chris Evans avec des titres beaucoup plus alléchants qu'à ses débuts: Multiverse of Madness, Love and Thunder ou Quantumania.

Peu importe la qualité finale des films, chacune de ces superproductions contient dès son titre la promesse d'un spectacle inédit dans un MCU de plus en plus aseptisé. Mais le public a vu clair dans le jeu de Marvel: aucun de ces films, hormis Doctor Strange, n'a égalé les chiffres du box-office de ses prédécesseurs.

Marvel comme Fast and Furious s'inscrivent dans la tradition de James Bond, dont l'incroyable longévité témoigne d'un art de la titraille particulièrement inventif. On ne vit que deux fois, Vivre et laisser mourir ou encore Mourir peut attendre... autant d'aphorismes qui sont la promesse d'aventures inédites et de dépaysement.

Mais si un titre possède avant tout une fonction "séductive", il faut éviter que cela se fasse "au détriment" de son contenu, pour Gérard Genette. Des titres trop ingénieux peuvent détourner d'un visionnage "éventuellement décevant", "faire [...] obstacle à la réception" de l'œuvre et à terme dissiper le mirage du blockbuster.

Article original publié sur BFMTV.com