"Hibou": comment le film le plus personnel de Ramzy Bedia est devenu son pire flop

Ramzy Bedia dans le film
Ramzy Bedia dans le film

C'est l'histoire d'un des plus gros flops du cinéma français. Avec Hibou, Ramzy Bedia a ouvert son cœur comme jamais, mais personne n'a répondu à l'invitation: "Personne ne l'a vu. Il est passé inaperçu, même chez mes amis, dans ma famille. C'est terrible. C'était un film trop personnel et trop sincère." Avant Hibou, l'humoriste s'était toujours caché derrière son personnage de grand dadais burlesque. Pour la première fois de sa carrière, il dévoilait une facette inédite de sa personnalité: plus douce, plus poétique.

Ramzy Bedia raconte dans ce film l'histoire d'un homme discret, presque transparent, qui revêt un costume de hibou pour trouver sa place dans la société. "Cette histoire, c'est vraiment moi!", s'exclame l'acteur, qui s'est inspiré de son enfance. Envoyé dans une école privée catholique par ses parents "pour éviter l’échec scolaire", le jeune Ramzy était "toujours le seul arabe de la classe". Un souvenir qui l'a longtemps hanté et qu'il a pu exorciser grâce à son film.

L'idée du personnage déguisé en hibou lui est venu des années plus tard en découvrant sur Internet une pub virale en 2010, Never Say No to Panda, où un panda géant terrorise des gens parce qu'ils ne veulent pas essayer le fromage Panda Cheese. "Je ne sais pas pourquoi, ça m'a rappelé mon enfance. Ça m'a rappelé qui j'étais. Ce qui m'avait choqué, c'est qu'il y avait un panda dans le bureau et que personne ne le remarquait. Tout le monde faisait comme si c'était normal. C'est ça que j'ai vécu."

"Une formidable histoire d'amour"

Mais avec Hibou, Ramzy Bedia ne veut pas basculer dans le misérabilisme. Il voit dans son idée le potentiel pour "une formidable histoire d'amour", car l'unique personne à remarquer son personnage dans son costume de hibou est une femme déguisée en panda. Il est toujours surpris d'avoir insisté à porter cette histoire à l'écran, lui qui n'a pas particulièrement d'affinité pour le genre de la comédie romantique, qu'il n'avait alors pratiqué qu'une seule fois dans sa carrière, dans ​​Il reste du jambon? (2010).

"Je n'en regarde jamais. On sait qu'à la fin, ils vont s'embrasser. Donc c'est nul. Je déteste ça. Et j'en ai fait mon premier film", s'amuse le réalisateur, qui a tenu à ne filmer aucun baiser dans sa romance entre un hibou et un panda: "Je ne voulais pas. Je suis très pudique. J'ai été élevé de cette manière. Au cinéma, quand deux personnes se regardent et qu'on voit qu'ils vont se pécho, on ferme la porte, on a compris! J'ai jamais compris pourquoi on filmait la baise. C'est quelque chose que je ne comprends pas."

"Steak nous a changé à vie"

Hibou n'est pas uniquement une comédie romantique. C'est avant tout un film sur la gentillesse, insiste Ramzy Bedia. Un message qui a pu déstabiliser le public habitué à le voir dans des rôles de roublard. "Ce n'est pas forcément le film dans lequel les gens l'attendaient", acquiesce sa co-scénariste Fadette Drouard. "Les gens pensent que Ramzy, c'est l'idiot de La Tour Montparnasse infernale. Je ne vais pas mentir, il l'est. Mais heureusement, dans la vie, il n'est pas que ça. Hibou ressemble plus à ce qu'il est."

Hibou correspond aussi parfaitement à la nouvelle impulsion qu'il souhaite apporter à sa carrière depuis Steak, comédie conceptuelle de Quentin Dupieux qui a brisé son image avec Éric Judor. "Steak nous a changé à vie. C'était un vrai choix. On faisait partie d'une génération avec Gad Elmaleh et Franck Dubosc à faire que des grosses comédies qui fonctionnaient. Avec Éric, on en a eu marre. Artistiquement, il fallait qu'on se barre."

Mais étonnamment, Ramzy Bedia rencontre quelques difficultés à écrire Hibou. "Les producteurs n'étaient pas si heureux que ça", se souvient Fadette Drouard. "Il y avait un truc étrange. Ramzy me parlait d'un personnage hyper positif, hyper poétique et dans le scénario il était tout dépressif, tout gris. Le geste de se mettre à nu à ce point-là était très difficile." Il faut dire aussi que la figure du hibou évoque son père, dont les expressions ressemblaient à celles d’un Grand-duc.

"J'avais besoin d'Éric"

Avec ce film, Ramzy Bedia change de registre de jeu et propose quelque chose de plus atone. Il a presque des allures de pantin désarticulé. Avec l'âge, l’envie de rejouer les "gogoles" de La Tour Montparnasse infernale s'est érodée: "Tu ne peux plus jouer à 50 ans comme tu jouais à 25 ans. Je ne peux plus faire le fou. Rappelle-toi de Mickey Rooney, cet acteur qui a toujours fait le bébête même à 70 ans… Je ne cherche plus ça."

Loin de son humour burlesque habituellement très rentre-dedans, Ramzy Bedia privilégie l'ambiguïté (le film a d’ailleurs une fin ouverte). Bien que le costume gigantesque de hibou porté par Ramzy Bedia soit propice aux pires catastrophes, le film ne contient presque aucun gag visuel, puisque le personnage est censé être invisible aux yeux du monde.

Un parti pris un peu radical, que Ramzy Bedia n'assume pas tout à fait. Hibou s'ouvre en effet sur un plan où son personnage regarde l'air abattu en direction de la caméra. Ce moment tendre et introspectif est brutalement interrompu par un figurant surexcité incarné par Éric Judor. Une séquence qui résume Hibou, et montre le paradoxe du comique qui se lance dans la réalisation solo sans pouvoir se détacher de son vieux compère. "Il fallait qu'Éric arrive. J'avais besoin d'Éric."

Katerine et Bouchez au casting

Le casting est composé de personnalités atypiques. Ramzy Bedia retrouve Élodie Bouchez presque dix ans après Seuls Two. La comédienne, qui incarne le panda dont tombe amoureux le hibou, devait à l’origine être un suricate. Actrice rare, elle apporte toute sa fantaisie au rôle: "Il y a quelque chose qui me bouleverse chez elle."

L'actrice accepte aussi cette proposition très étrange de ne pas apparaître à l’écran de tout le film, puisqu’elle joue toutes ses scènes, à l’exception d'une, dans le costume du panda. "C'est fou, quand tu connais les actrices", remarque-t-il. "Je me suis rendu compte après le film que je lui avais proposé un rôle masqué alors que son mari [Thomas Bangalter de Daft Punk, NDLR] est justement connu pour son casque..."

Ramzy Bedia fait aussi appel à Philippe Katerine, le terrifiant colonel Janouniou de La Tour de Contrôle Infernale. Il joue cette fois un chanteur hypersensible aux sons, vivant reclus. "Katerine est la personne la plus proche de mon univers", précise Ramzy Bedia. A l'origine, il avait envisagé de confier le rôle au chanteur Gérard Lenorman, connu pour son tube Gentil Dauphin Triste.

"C'est un film qui a du caractère"

Pour donner vie à son histoire, Ramzy Bedia a des références bien précises, qui vont du film d'animation Mary et Max (2009) à Ken Loach (Looking for Éric) en passant par Her (2013). Il a été particulièrement marqué par cette comédie romantique de Spike Jonze où un homme (Joaquin Phoenix) tombe amoureux d'une IA. "C'était ce personnage qui me tuait. C'est un peu Hibou. Il est gentil. La vie lui passe dessus, mais lui il continue d'avancer. La gentillesse dans la voix de cette femme, ça me bouleversait."

Ramzy Bedia aime tant ce film de Spike Jonze, couronné d’un Oscar du meilleur scénario original en 2014, qu'il en reproduira le look éthéré dans Hibou. "Je ne savais pas comment faire passer la gentillesse et je me suis dit qu'il nous fallait une lumière spéciale et pas une lumière normale de comédie."

Pour ce faire, il fait appel à des techniciens au CV prestigieux. Son chef opérateur, Jean-Louis Vialard, a éclairé Tropical Malady d'Apichatpong Weerasethakul, tandis que son étalonneur, Didier Le Fouest, a travaillé sur Amélie Poulain et 2046 de Wong Kar-wai. Grâce à eux, le film a des allures de conte. Signe que le film bascule dans une autre forme de réalité, l'image vire au magenta lorsque le hibou débarque.

"Dans Her, il y a pas mal de monochromie. On a reproduit ça grâce à des rouleaux de gélatine qu’on accrochait aux fenêtres. Ça permettait de faire un univers assez fantasmagorique tout en restant dans une réalité", explique Jean-Louis Vialard, qui connaissait Ramzy Bedia de longue date, et avait travaillé avec le duo sur les fameuses publicités Quick des années 1990. "On n'a pas été petit bras. C'est un film qui a du caractère."

"Que ce film soit un petit nuage"

Pour renforcer l’aspect merveilleux de ce conte, le tournage a lieu au Québec. "Je voulais vraiment que ce film soit un petit nuage." Pour brouiller les pistes, il va jusqu'à changer les plaques d'immatriculation. "Et quand on écoute le son dans la rue, j'ai mis des sirènes de police japonaises." Dans les rues de Montréal, personne ne fait attention au comédien déguisé en hibou, s'amuse Jean-Louis Vialard. "C’était comme dans le film: les gens ne le calculaient pas tant que ça."

Déjà co-réalisateur avec Éric Judor de Seuls Two et de La Tour de Contrôle Infernale, Ramzy Bedia trouve "très difficile" l’exercice de la réalisation en solo. "Je n'arrive pas à jouer une scène, à dire moi-même couper pendant que je joue, aller au combo, me regarder et dire 'Ah, je suis bien là, c'est bon, on passe à la suivante'. Je ne peux pas me voir, je me dégoûte et là j'étais obligé d'aller me voir à chaque prise. Je me suis fait violence."

Il refuse pourtant de laisser un autre comédien enfiler le costume du hibou. "En termes de jeu, ce n’était pas possible", note Jean-Louis Vialard. "Il avait une manière bien particulière de marcher, qu'il avait en tête, et qui était difficile à raconter." La chaleur, écrasante, complique aussi le tournage, complète le technicien: "On a eu un été indien incroyable. Il faisait 28 degrés tous les jours. Le pauvre, il perdait trois kilos chaque fois qu'il mettait son costume une demi-heure."

Les deux mois de montage sont tout aussi difficiles pour le comédien qui doit gérer en parallèle celui de La Tour de Contrôle Infernale et passer ses journées à se regarder. "C'est horrible de devoir passer toute la journée à se voir. Je ne sais pas comment font les autres réalisateurs pour arriver à se regarder, à se juger, à améliorer des trucs. Je n'y arrive pas. Je trouve que je suis nul tout le temps."

De Cannes au piratage

Alors que la date de sortie se profile, Gaumont soutient Hibou et décide de l'envoyer au festival de Cannes. "Ils ont fait tout le lobbying pour que le film passe et pendant qu'ils font tous du lobbying, on ne réfléchit pas à la sortie du film, on ne réfléchit pas à l'affiche", regrette Ramzy Bedia. Hibou manque de peu la Semaine de la Critique, révèle Fadette Drouard: "Le film leur plaisait beaucoup. Mais ils se sont demandé si c’était lui rendre service de le sélectionner."

Malgré le soutien de la presse, Hibou sort dans l’indifférence totale le mercredi 6 juillet 2016, pendant l'Euro 2016. Seulement 8.882 spectateurs se déplacent. Le jour de la sortie, Ramzy Bedia subit un second affront. "Dans la rue, en bas de chez moi, je vois mon film chez le Pakistanais qui vend des DVD sous cellophane. Un film qui fait 8.000 entrées. Comment ça l'intéresse de le vendre?! Il ne doit pas être très bon en vente! J'aurais pris Les Tuche! Mais à la place, il vendait mon film. Je me suis dit que c'était mort."

"Avec le recul, [je me dis que] jamais ça n'aurait pu marcher", philosophe-t-il. "Je ne m'attendais pas à faire 2 millions d'entrées avec ça. Un petit 350.000 me suffisait." À présent, il ne cherche plus le succès avant tout: "Parfois, tu penses que des trucs vont marcher et ça se plante. Je ne me prends plus la tête avec ça." "On a eu toute la presse avec nous. Pourquoi les gens n'y sont pas allés, c’est très mystérieux", ajoute Fadette Drouard.

Ramzy Bedia blâme l'affiche: "C'est Luc Besson qui m'avait dit le jour de la sortie, 'Ton film ne marchera pas'. Ça m'avait blessé. Il m'avait dit, 'Tu sors ton premier film et il n'y a pas ta tête sur l'affiche. Il n’y a même pas ton nom. Et il avait entièrement raison. Je ne regrette pas d'avoir fait ce film, parce que je l'adore, mais je regrette cette affiche. Je me suis laissé avoir par le marketing de la Gaumont qui a voulu faire ça. Je n'ai pas géré ça. S'il y avait eu ma tête, on aurait fait un peu plus de chiffres."

Bientôt son "vrai premier film"

Hibou vole désormais de ses propres ailes. "On m'en parle encore. Je sais qu'il touche encore des gens", assure Fadette Drouard. "Je regrette que pas plus de monde ne l'ait vu, mais je suis tellement heureuse qu'il existe. C'est un petit miracle. Trouvez-moi aujourd'hui des producteurs qui s'engagent sur un film aussi chelou." Ramzy Bedia est très reconnaissant envers Gaumont. "Comme quoi, les grandes maisons comme ça ne courent pas forcément après l'oseille. Ils veulent aussi faire des films."

Pour Ramzy Bedia, Hibou est "une carte de visite". Il prépare son "vrai premier film", un road movie intitulé Le Jour où tous les Arabes sont partis où l'on verra "ce que la France devient sans les Arabes": "Je vois les hommes politiques parler de laïcité et d'immigration. Ils disent que le problème, c'est les Arabes. J'aimerais bien savoir si une fois qu'il y a plus d'Arabes ça va régler tous les problèmes de la France: les problèmes de logement, de pauvreté, de climat..." Tournage prévu en septembre.

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Article original publié sur BFMTV.com