Pour Halloween, les déguisements de Jeffrey Dahmer soulèvent un débat moral

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HALLOWEEN - Vampire, zombie ou squelette… Au milieu de ces classiques d’Halloween, un costume a particulièrement la cote cette année : celui du tueur en série américain, Jeffrey Dahmer, qui a sévi entre 1978 et 1991. Mais la tendance des déguisements ne passe pas auprès de tout le monde, et particulièrement les familles des victimes. Elle soulève même un véritable débat moral.

À l’origine de la folie autour de Dahmer, la série éponyme de Ryan Murphy, véritable carton de l’automne sur Netflix. Elle raconte le parcours de celui surnommé le « cannibale de Milwaukee », qui a fait 17 victimes, principalement des jeunes hommes noirs et homosexuels, avant d’être assassiné en prison en 1994.

En France, la polémique s’est cristallisée autour d’une soirée Halloween, intitulée « Dahmer is back » et organisée par une boîte de nuit d’Aix-en-Provence, le Complex club. Le gérant, Fabrice*, joint par Le HuffPost, dit avoir voulu « surfer sur le succès Netflix » mais avoir commis une erreur : il a repartagé en story le montage d’un « client maladroit » sans se rendre compte que de vraies images des cadavres des victimes du tueur avaient été ajoutées au visuel de la soirée - qui reprenait uniquement le visage du Dahmer de la série. Ce qui lui a valu une flopée de critiques, « des dizaines de messages haineux et des menaces. »

Mais la mania Dahmer ne s’arrête pas là. D’après l’outil Google Trends, la recherche comprenant les mots-clefs « Dahmer costume » est en constante augmentation dans le monde depuis le 21 septembre dernier… Soit le jour de sortie de la série. Sur TikTok et Twitter, des internautes enthousiastes ont partagé leurs costumes ou leurs bons plans pour acquérir les accessoires nécessaires à sa bonne réalisation.

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Le retour de bâton a été violent. Nombreux sont ceux à les avoir interpellés sur les réseaux sociaux, dénonçant un fétichisme morbide et clamant qu’il est irrespectueux de porter le déguisement d’un serial killer ayant réellement existé, dans la mesure où les familles des victimes sont encore en vie. Ebay a même interdit la vente des costumes de Dahmer, selon un article de BuzzFeed. Car s’emparer d’une figure réelle pour en faire un déguisement d’Halloween ou un thème de soirée soulève plusieurs débats éthiques.

Une histoire réelle

« Ce qui me semble dérangeant, c’est qu’on a affaire à une histoire réelle où certains protagonistes sont encore de ce monde. Ils ont eu à se reconstruire après cette histoire, il leur reste un traumatisme. Ça les remet dans quelque chose… Et pour le spectacle », avance Patrick Avrane, psychanalyste joint par Le HuffPost, aussi auteur de Les Faits divers. Une psychanalyse.

« Halloween, ça permet une fois par an de jouer avec la mort et de s’en dédouaner. Ça a un côté anxiolytique », rappelle-t-il, avant d’avertir : « Se déguiser en personne réelle, sans tenir compte des proches qui sont là, ce n’est pas pareil que de se déguiser en citrouille ou en squelette. Il y a quelque chose d’irrespectueux. »

Lui aussi contacté par nos soins, le psychologue Samuel Dock dénonce « l’immoralité totale de ce choix qui est d’autant plus flagrante que Dahmer ne s’en prenait qu’à une cible précise : les homosexuels. Ce costume porte cette abjection, un discours de haine. »

Pourquoi se déguise-t-on ?

Il rappelle la fonction du déguisement : « On s’empare de ce qui nous fait peur pour pouvoir le mettre à distance en devenant le monstre. » Mais il pointe une différence : « Jeffrey Dahmer n’est pas une figure mythologique, ni une icône culturelle. Il a réellement existé. » Le psychologue s’interroge alors : « Quand on se déguise en vampire, on symbolise un mythe qui a traversé les âges et qui ouvre toute une narration. »

Pour lui, un déguisement de Jeffrey Dahmer « ne symbolise rien. On s’empare de la représentation d’une personne psychopathe » avant de le comparer à un autre célèbre tueur en série : « Jack l’Éventreur, c’est une figure devenue éminemment littéraire. Le côté mythique se constitue avec le temps. Il a un côté très mystérieux. Il existe dans une dimension symbolique, ce qui n’est pas le cas de Jeffrey Dahmer. Jack l’Éventreur, peu de personnes pourraient retracer la temporalité. »

Il invite alors à réfléchir à la question : « Qu’est-ce qu’on célèbre quand on choisit sciemment de revêtir les traits d’une personne ayant vraiment existé et commis des actes de barbarie ? » Selon lui, certaines personnes qui se déguisent en Dahmer sont peut-être victimes « d’un mécanisme d’identification à l’agresseur en revêtant l’apparence du monstre. » Il dénonce une « sorte de mode et de tendance à s’identifier à la figure du psychopathe », ce qui révélerait un sentiment d’impuissance qui conduit à se placer dans la position du bourreau plutôt que celui de la victime.

Une série qui soulevait déjà des débats

Mais selon Samuel Dock, le débat moral autour de ce déguisement est biaisé dès le départ par « la posture du réalisateur dans la manière de faire les choses. » Il fait référence à une autre polémique autour de la série : Rita Isbell, la sœur d’une des victimes, reproche à la série de ne pas l’avoir consultée avant de recréer presque à l’identique une scène du procès où elle perd ses moyens face à Jeffrey Dahmer. « Ça fausse le débat. Dans la mesure où même la série fait déjà l’objet d’un débat éthique, on peut se poser la question de choisir un déguisement de cette personne. »

Une série qui accentue aussi le côté voyeurisme de certains spectateurs, selon Patrick Avrane : « Les affaires criminelles, ça interroge car on se demande ce qu’il se passe, on a toujours peur que ça nous arrive. S’interroger dessus est une manière de se protéger. Dans le cas de Dahmer, je pense que la mise en scène transforme la curiosité en voyeurisme. » Malgré ces polémiques, les affaires criminelles sordides de ce style ont toujours généré de l’intérêt et ces questions éthiques s’appliquent aussi aux autres tueurs en série.

Quant au gérant du Complex club, il assure comprendre la colère de certains. Mais il estime ne pas pouvoir toucher les familles des victimes aux États-Unis, du fait de la portée limitée de son club : « On a 5 000 followers sur nos réseaux. » Malgré la polémique, il maintient la soirée, changeant quand même le nom qu’il juge maladroit, de « Dahmer is back » à « Dahmer will not be back. »

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* Le gérant de la boîte de nuit a souhaité rester anonyme.

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