Guerre en Ukraine: l'offensive russe à Kharkiv constitue-t-elle un point de bascule du conflit?

Un front ravivé après plus de 800 jours de guerre. Depuis vendredi 10 mai, les Russes mènent une intensive offensive dans la région de Kharkiv dans le nord-est de l'Ukraine. Ce mercredi, l'armée ukrainienne a annoncé se replier "dans certaines zones" du front nord.

La veille, l'armée de Poutine a assuré avoir avancé "en profondeur dans les défenses" ukrainiennes. Et avoir pris un nouveau village, Bougrouvatka, qui s'ajoute aux six autres revendiqués comme "libérés" ces derniers jours. L'état-major ukrainien a lui-même reconnu ce lundi des "succès tactiques" de la part de la Russie.

Un réel point de bascule dans la guerre ou une illusion, si les avis des experts divergent à ce sujet, il est sûr que le calendrier de cette offensive a rigoureusement été pensé par Moscou.

"Une fenêtre d'opportunité pour les Russes"

Il s'agit d'une "fenêtre d'opportunité pour les Russes", analyse le général Jérôme Pellistrandi auprès de BFMTV.com. "L'armée ukrainienne est affaiblie après deux ans de guerre, ils manquent de munitions. Ils ont un déficit en armement car l'aide américaine a été suspendue pendant longtemps."

Il ajoute: "C'est le moment ou jamais pour la Russie d'obtenir des gains tactiques significatifs pour la suite".

Les États-Unis, sur fond de disputes intestines entre républicains et démocrates, ont en effet mis des mois à voter une enveloppe de 61 milliards de dollars d'aide promise par la Maison Blanche.

Trois semaines après le déblocage de cette assistance, le chef de la diplomatie américaine, en visite surprise en Ukraine ce mardi, a assuré que "l'aide était en route".

"Une partie est déjà arrivée, plus arrivera. Et cela fera une réelle différence sur le champ de bataille", a promis Antony Blinken à Volodymyr Zelensky.

Les Russes "n'ont pas les moyens" de s'emparer de Kharkiv

Cette aide occidentale sera plus que nécessaire si les Russes continuent de grignoter du terrain jusqu'à ce que Kharkiv, la deuxième plus grande ville d'Ukraine, soit à portée de leur artillerie.

"Ce serait une pression terrible pour Kiev et cela pourrait se solder par un exode massif de la population", prévient le général Jérôme Pellistrandi, également consultant défense de BFMTV. Alors qu'une trentaine de villages sont sous le feu ennemi à des dizaines de kilomètres de Kharkiv, environ 7.000 personnes ont été évacuées.

Il ne serait toutefois pas question pour la Russie de s'emparer de cette ville de près de 1.5 million d'habitants. "Ils n'ont pas les moyens", nous affirme Guillaume Ancel, spécialiste et ancien officier de l'armée française, qui insiste sur le fait que nous n'assistons pas "à une percée vers Kharkiv".

Pour ce spécialiste, la stratégie est claire: les Russes veulent mettre la pression aux Ukrainiens qui revendiquent régulièrement des attaques dans la région de Belgorod, de l'autre côté de la frontière.

"Une manœuvre de diversion"

Cette offensive serait aussi "une manœuvre de diversion" de la part de Moscou alors que Kiev est en train de "mobiliser ses forces pour agir dans le Donbass".

Le Kremlin oblige ainsi les Ukrainiens à déporter leur regard de cette région du sud-est du pays pour le braquer sur nord-est. Selon le chef de la sécurité nationale ukrainienne, Oleksandr Lytvynenko, "plus de 30.000" soldats russes sont mobilisés sur ce nouveau front.

"Cela pose un dilemme stratégique. Ils obligent les Ukrainiens à mettre des renforts sur Kharkiv et à dégarnir les autres fronts", explique Jérôme Pellistrandi.

Ce à quoi abonde Guillaume Ancel: "la confrontation des moyens est un des principes essentiels de l'art de la guerre. Ils ne peuvent pas correctement se défendre s'ils répartissent leurs forces équitablement sur tous les fronts, ils sont obligés de faire des choix".

Volodymyr Zelensky a toutefois assuré sur X ce mardi qu'ils ne "détourneront pas l’assistance et les prestations nécessaires des directions de Donetsk, en particulier de celles de Kramatorsk et de Pokrovsk".

"On s'attendait à une offensive russe au printemps", affirme le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense Nationale. D'après les experts, Kiev savait depuis plusieurs semaines que la région de Kharkiv était dans le viseur du Kremlin.

Une inscription de la guerre dans la durée

Cette offensive russe est également vue comme une tentative pour Vladimir Poutine de redorer l'image de son "opération spéciale".

Le chef du Kremlin était "très humilié lors de la fête de la victoire le 9 mai en Russie de ne pas pouvoir annoncer la moindre avancée [...] Les objectifs ne sont clairement pas atteints", commente Guillaume Ancel, auteur de Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette (Ed. Flammarion) qui estime que les Ukrainiens sont "en train de reprendre l'ascendant".

Comme "signe d'un malaise"? Le limogeage ce dimanche de son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, en poste depuis 2012 pour le remplacer par Andreï Belooussov, un économiste de formation. Un remaniement également perçu comme une volonté d'inscrire la guerre dans la durée.

"Cela suggère que Poutine planifie une guerre pour une longue période à venir", a déclaré Oleksandre Lytvynenko, expert de la Russie à l'AFP. "Une guerre non seulement contre l'Ukraine mais aussi contre l'Occident dans son ensemble, une guerre contre l'Otan."

Article original publié sur BFMTV.com