Guerre en Ukraine : une fin pacifiste du conflit est-elle envisageable ?

A mechanic of the Ukrainian Army’s 14th Mechanised Brigade passes beside their main battle tank at the brigade's workshop in Kharkiv region on February 20, 2023, amid the Russian invasion of Ukraine. (Photo by YASUYOSHI CHIBA / AFP)
YASUYOSHI CHIBA / AFP A mechanic of the Ukrainian Army’s 14th Mechanised Brigade passes beside their main battle tank at the brigade's workshop in Kharkiv region on February 20, 2023, amid the Russian invasion of Ukraine. (Photo by YASUYOSHI CHIBA / AFP)

UKRAINE - Lorsque Vladimir Poutine lançait son « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine il y a tout juste un an, peu d’experts imaginaient que les troupes de Kiev résisteraient à l’assaut « éclair » de Moscou davantage que quelques jours. Douze mois plus tard, ce vendredi 24 février, les deux camps s’affrontent pourtant toujours aussi férocement. Des dizaines de milliers de personnes ont péri, des dizaines de milliers d’autres ont été blessées et la paix, qui semblait acquise depuis la fin de la Seconde guerre mondiale en Europe, n’a jamais paru aussi éloignée.

Sur le terrain, dans l’est de l’Ukraine, la ligne de front « active » s’étend toujours sur 1 500 km du nord au sud du pays. Les Russes, qui revendiquent deux territoires dans le Donbass (les Républiques autoproclamées de Louhansk et Donetsk), tentent tant bien que mal de progresser, tandis que leur aviation vise inlassablement les infrastructures stratégiques ukrainiennes, sans jamais réussir à provoquer une percée. Les forces de Kiev, elles, résistent en attendant l’armement, les blindés et les systèmes de défense promis par leurs alliés occidentaux afin d’organiser la riposte.

Un conflit qui s’inscrit sur la durée

Si ces armements promis par l’Occident doivent s’avérer essentiels dans le futur, ils sont aussi le signe d’un conflit qui s’inscrit sur la durée, probablement même au-delà de l’année 2023. « Les chars européens ne seront pas disponibles avant l’été, tandis que les blindés américains, en cours de construction, n’arriveront pas avant le mois de décembre ou de janvier prochain », estime le général Vincent Desportes, joint par Le HuffPost. Les avions de combats réclamés par le président Volodymyr Zelensky, nécessiteraient quant à eux une formation d’un an au minimum pour les pilotes, et ne représentent donc pas une solution miracle.

Malgré tout, « c’est un accélérateur de mouvement », juge auprès du HuffPost Dimitri Minic, docteur en histoire des relations internationales et spécialiste de la pensée stratégique russe à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Ifri). D’abord car certains armements pourraient « faire la différence à court et moyen terme ». À l’image des GLSDB (Ground-Launched Small Diameter Bomb), qui « vont permettre aux HIMARS (des lance-roquettes multiples américains de haute précision) ukrainiens de doubler leur portée et frapper bien plus efficacement l’arrière russe en Ukraine ». Ou encore du système de défense aérienne MAMBA, qui « limitera les effets des frappes russes sur les infrastructures civiles ukrainiennes ».

De plus, l’annonce de leur livraison force déjà Moscou à « précipiter le déclenchement de ses prochaines offensives, notamment dans le Donbass, poursuit Dimitri Minic. Si elles échouent, Kiev cherchera probablement à prendre l’initiative et à conduire des contre-attaques, même si elle n’a pas encore reçu les chars occidentaux ».

La Russie et l’Ukraine atteints du « syndrome du parieur »

Néanmoins, en l’état, nul ne semble en position de remporter la guerre et ni l’Ukraine, ni la Russie, ne paraissent enclines à mettre fin au conflit de manière pacifique. Pour le général Vincent Desportes, les deux belligérants souffrent actuellement du « syndrome du parieur » : « Chacun a beaucoup joué, beaucoup parié et beaucoup perdu, aucun n’est donc prêt à aller au compromis », observe-t-il. « Tant qu’ils auront le sentiment de pouvoir gagner, ni l’un ni l’autre n’ira vers la paix », juge encore cet ancien directeur de l’École supérieure de guerre, aujourd’hui professeur de stratégie à Sciences Po et HEC.

Selon l’ancien général de l’armée de terre, seule une défaite stratégique de la Russie pourrait mener à une paix durable entre les deux pays. « On ne peut certes pas exclure la possibilité d’une percée russe, mais compte tenu de l’état d’esprit des Ukrainiens, il est clair que cela se traduirait par un mouvement de résistance ». Un point de vue partagé par Dimitri Minic : « Seule la défaite militaire de la Russie permettra à l’Ukraine d’atteindre ses objectifs politiques légitimes : chasser l’occupant russe et recouvrer totalement son intégrité territoriale. »

Afin d’éviter l’escalade nucléaire en cas de défaite russe sur le terrain, le général Vincent Desportes juge ainsi absolument nécessaire la mise en place d’une « stratégie de sortie ». « Si la Russie n’a que comme choix la pendaison de Poutine ou la destruction, elle ne fera pas la paix, explique-t-il. Il ne suffit pas de lui insuffler l’idée qu’elle ne peut plus gagner, il faut aussi lui donner une possibilité de sortie qui lui paraisse acceptable. »

Stratégie de sortie et concessions territoriales

Au mois de septembre 2022, le président Volodymyr Zelensky a pourtant bien présenté un plan de paix. Ce dernier, décliné en dix points et soutenu par la France et les États-Unis, demande notamment la libération des prisonniers de guerre, le retrait des forces russes de son territoire, ou encore la mise en place d’un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre. Mais ce dernier ne fait aucune concession à la Russie. « Ce n’est pas un plan de paix, juge Vincent Desportes. Ce sont les buts de guerre de l’Ukraine ».

Pour le général, il n’est pas envisageable que l’un des deux principaux belligérants propose une « stratégie de sortie », puisque cette dernière ne pourra jamais être jugée acceptable par les deux parties. Il juge ainsi « tout à fait urgent que des gens raisonnables réfléchissent aux conditions qui un jour pourraient être acceptées par la Russie de manière qu’en temps utile, elle puisse s’en saisir. » Pour cela l’Occident doit selon lui continuer à mettre la pression sur la Russie en soutenant l’Ukraine, mais également en organisant « rapidement » une grande conférence internationale afin de prendre en main politiquement ce conflit qui s’enlise.

Quelles concessions doit donc faire l’Ukraine ? Devra-t-elle renoncer à une partie de son territoire pour espérer obtenir la paix ? La question relève du dilemme. Ce mercredi, alors que la Chine, inquiète de l’évolution du conflit, doit justement présenter un « plan de paix » en fin de semaine, le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Koulebaa, a tracé une nouvelle fois ses lignes rouges. Les territoires occupés par la Russie dans l’est et le sud du pays, notamment la Crimée, ne pourront être cédés à Moscou, a-t-il prévenu.

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