Guerre en Ukraine : deux réfugiées racontent à quel point leur vie a basculé en 2022

Refugees from Ukraine are seen as they cross the Ukrainian-Polish border at the border crossing in Medyka, southeastern Poland on April 8, 2022. - The flow of people escaping Russia's war in Ukraine has slowed but those now fleeing have often spent weeks in dire conditions, the United Nations said on April 8. UNHCR, the UN refugee agency, said 4,382,316 Ukrainians had fled the country since the war began on February 24. (Photo by Wojtek RADWANSKI / AFP) (Photo by WOJTEK RADWANSKI/AFP via Getty Images)

UKRAINE - Comment penser aux fêtes de Noël quand on est séparé des siens et que son pays est en guerre ? Comment formuler des bonnes résolutions alors que l’on ne sait toujours pas où la vie nous mènera l’année prochaine ? Ces questions sans réponses, des millions d’Ukrainiens comme Anastasiia, une réfugiée de 32 ans partie vivre à Berlin pour fuir l’invasion russe dans son pays, se les posent ces jours-ci.

La jeune femme préfère éloigner les idées sombres et imaginer son retour au pays, tel Ulysse à Ithaque : « Je pleurerai et j’embrasserai le sol lorsque je retournerai à Kiev », assure-t-elle dans une interview au HuffPost avec un regard pensif.

« Très choquée »

De son côté, lorsqu’elle jette le regard sur année 2022, Natalia, mère de deux enfants aujourd’hui réfugiée près de Rennes, en Bretagne, manque de qualificatifs. Dans un français approximatif, qu’elle a réappris ces derniers mois, cette chanteuse et comédienne de 34 ans raconte au HuffPost le traumatisme des premières bombes, et les bouleversements qui se sont abattus sur son quotidien lorsque Vladimir Poutine a annoncé le lancement de son « opération militaire spéciale » en Ukraine, le 24 février dernier.

Elle habite alors à Bila Tservka, une ville d’environ 200 000 habitants située à 80 km de Kiev, la capitale. « J’étais très choquée, comme incapable de bouger pendant plusieurs minutes », se remémore-t-elle. Les Russes visaient une base armée, située à quelques kilomètres de son lotissement. Natalia se souvient d’un flash de lumière, puis du bruit assourdissant de l’explosion une seconde plus tard.

Sortie de sa torpeur, elle attrape sa fille Yeva, 13 ans, et son fils Nikita, 3 ans, pour aller se réfugier dans la salle de bains, la seule pièce sans fenêtre de son appartement situé au 9e étage. Elle y restera la journée et n’en sortira que pour préparer un repas à ses enfants. « L’endroit n’était vraiment pas sûr, alors nous sommes rapidement partis nous réfugier dans le pavillon de mes parents, dans une petite ville de banlieue du nord de Kiev », raconte Natalia.

Très rapidement, l’intensité des combats lui fait envisager le départ. Elle rejoint la frontière Polonaise, puis enchaîne les navettes, direction la France. Moins de deux semaines plus tard, le 7 mars 2022, elle pose ses valises en France. Son compagnon, Taras, réformé par l’armée, la rejoint un mois et demi après.

« La solidarité, seule chose positive »

Anastasiia a mis plus de temps à quitter son pays. Lorsque la guerre s’est déclarée, la jeune réalisatrice habitait la « si belle ville » de Kiev. Elle y menait alors une vie fourmillante de jeune active, similaire à celle que les trentenaires peuvent connaître dans les grandes métropoles européennes. « À l’époque, j’avais des projets de vie, de travail, de voyage… En quelques jours, tout ça a disparu, déplore-t-elle dans un anglais courant. C’est terrible de perdre ce sentiment de sécurité, de stabilité… Jamais je n’aurais pensé connaître la guerre. »

Lorsque les premières bombes s’abattent sur la capitale, Anastasiia et son mari se réfugient chez sa famille dans la ville de Vinitsa, au centre de l’Ukraine. Pour tenir malgré le « chaos », le couple se plonge dans le volontariat. « La solidarité est sûrement la seule chose positive à retenir de cette guerre », dit-elle. Ils réunissent des vivres pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, planifient des départs, récoltent de l’argent… Pendant plus d’un mois et demi, les deux Ukrainiens agissent pour ne pas penser à leur malheur.

Une journée, alors que retentissaient les sirènes anti-bombes, une femme a fait un début d’arrêt cardiaque dans le sous-sol de la maison d’Anastasiia. Elle improvise un massage cardiaque et parvient à la maintenir en vie jusqu’à l’arrivée des secours. Une expérience « aussi traumatisante qu’enrichissante » pour la jeune femme, qui ne s’en serait jamais crue capable avant la guerre. Vers la fin du mois d’avril, Anastasiia comprend qu’elle ne peut pas entièrement laisser sa vie professionnelle de côté. Faire des films paraît futile en temps de guerre, il n’y a pas de travail pour elle en Ukraine.

« On trouve des raisons »

Elle abandonne sa famille et son mari restés à Vinitsa, puis rejoint Berlin en train, où elle trouve rapidement un appartement grâce à des amis. Là-bas, elle peut « se concentrer sur sa carrière », « gagner de l’argent » et « préparer son futur », même si le bonheur n’est pas forcément au rendez-vous : « Je ne pourrais pas dire que je suis totalement heureuse, mais je vais bien. On trouve des raisons d’aller bien quand on est en vie ». Tous ses amis n’ont pas eu cette chance.

En France, Natalia n’est pas pleinement comblée non plus. Elle pleure souvent quand elle repense à sa vie en Ukraine et à ce collègue du théâtre décédé dans un bombardement. Sa fille s’est bien fait des amis au collège, mais l’apprentissage du français n’est pas simple. Au moins, elles ont rencontré des « gens en or ».

Comme Laurence et Tavite Patea, ce couple de Bretons qui l’a accueilli elle et sa famille, en attendant qu’elle trouve un hébergement d’urgence, dans la banlieue de Rennes. Son fils de trois ans, Nikita, a même fini par appeler leur bienfaitrice « babouchka », soit « mamie » en Ukrainien.

Au mois de novembre dernier, au moins 5 millions d’Ukrainiens avaient fui leur pays d’origine pour se réfugier en Europe, selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Pourront-ils rentrer chez eux avant la fin de l’année prochaine ? Ni Anastasiia, ni Natalia ne sont en capacité de donner une réponse…

À voir également sur Le HuffPost :

Lire aussi