Guerre en Ukraine: le cessez-le-feu pour le Noël orthodoxe, une ruse de Poutine?

À quoi joue Vladimir Poutine? Le président russe a ordonné à ses soldats déployés en Ukraine de respecter un cessez-le-feu, ce vendredi et samedi, dans le cadre du Noël orthodoxe. C'est la première trêve d'ampleur, depuis le début de l'invasion russe, le 24 février dernier. Jusqu'à présent, seuls des accords locaux ont été conclus, comme par exemple pour l'évacuation des civils de l'usine Azovstal à Marioupol, en avril.

La décision, prise unilatéralement par Moscou, intervient après un entretien entre Vladimir Poutine et le patriarche Kirill, ex-membre du KGB et primat de l'Église orthodoxe russe.

"Compte tenu de l'appel de Sa Sainteté le patriarche Kirill, je charge le ministre russe de la Défense d'introduire un régime de cessez-le-feu sur toute la ligne de contact entre les parties en Ukraine à partir de 12h le 6 janvier (10 heures, heure française( de cette année jusqu'à minuit (22 heures, heure française) le 7 janvier", a indiqué Vladimir Poutine.

Le maître du Kremlin a également appelé les forces ukrainiennes à respecter cette trêve afin de donner la possibilité aux orthodoxes, la confession majoritaire en Ukraine comme en Russie, d'"assister aux offices la veille de Noël, ainsi que le jour de la Nativité du Christ".

Une stratégie de communication

Le cessez-le-feu a rapidement été fustigé par Kiev, le président ukrainien Volodymyr Zelensky dénonçant une "excuse dans le but d'au moins arrêter l'avancée de nos troupes dans le Donbass et apporter équipements, munitions, et rapprocher des hommes de nos positions". "La Russie doit quitter les territoires occupés, c'est alors seulement qu'il y aura une 'trêve temporaire'. Gardez votre hypocrisie", a abondé sur Twitter un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak.

"C'est de la communication", balaye sur BFMTV Sergueï Jirnov, ancien officier de renseignement du KGB. "C'est du cynisme", analyse de son côté Ulysse Gosset, notre éditorialiste spécialiste de politique internationale.

"Vladimir Poutine sait très bien que les Ukrainiens ne peuvent pas accepter cette trêve unilatérale", "il essaye de convaincre les Russes que c'est un homme de paix et non un homme de guerre", assure notre expert, un discours "inaudible" en Ukraine, en Europe et aux États-Unis.

Condamnations internationales

La communauté internationale a d'ores et déjà fait part de son scepticisme à l'annonce de Vladimir Poutine. Le président américain Joe Biden a estimé que Vladimir Poutine cherchait "à se donner de l'air", rappelant qu'il "était prêt à bombarder des hôpitaux, des crèches et des églises (...) le 25 décembre et lors du Nouvel an". Ce cessez-le-feu "ne fera rien pour faire avancer les perspectives de paix", a de son côté réagi le ministre britannique des Affaires étrangères James Cleverly, en réclamant un retrait définitif des forces russes. Une telle trêve n'apportera "ni liberté ni sécurité" en Ukraine, a abondé la diplomatie allemande.

Le cessez-le-feu, décidé à la suite de la proposition du patriarche Kirill, intervient également après un appel entre Vladimir Poutine et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, qui se rêve en médiateur depuis le début du conflit. Le chef d'État turc avait ainsi proposé un "cessez-le-feu unilatéral" destiné à soutenir "les appels à la paix et les négociations entre Moscou et Kiev".

Avant d'annoncer la trêve, le président russe avait ainsi indiqué à Recep Tayyip Erdogan que Moscou était prêt à un "dialogue sérieux" avec l'Ukraine à condition que celle-ci se plie aux exigences russes et accepte les "nouvelles réalités territoriales" nées de l'invasion de ce pays en février.

Gagner du temps pour préparer une "contre-offensive"?

Un écran de fumée pour les experts, avec comme objectif, pour l'homme du Kremlin, de se présenter comme "un homme de paix".

"Cela laisse le bon rôle à Poutine, qui veut montrer qu’il ne bloque pas les négociations. Mais on sait très bien que les Ukrainiens ne vont pas l’accepter, les bases de négociations ne sont pas tenables", analyse le général Jean-Paul Paloméros, ancien patron de la transformation des capacités militaires de l’Otan, dans les colonnes du Parisien.

Car, selon Michel Goya, consultant défense de BFMTV, un cessez-le-feu de 36 heures "ne va pas changer la face de la guerre".

Pour les experts, c'est surtout ce qui viendra après la trêve qui sera déterminant dans la suite du conflit.

"Après cette soit-disant trêve, est-ce qu'il va y avoir une contre-offensive russe, ou une nouvelle offensive ukrainienne?", s'interroge Ulysse Gosset. Depuis plusieurs semaines, les rumeurs se multiplient à propos d'une éventuelle contre-offensive russe, dès le printemps.

"Plus Vladimir Poutine gagne de temps, plus il a le temps de se réorganiser et de préparer la grande contre-offensive dont tout le monde parle pour le printemps", ajoute notre éditorialiste.

À Moscou, "il y a des rumeurs", affirme le journaliste Paul Gogo, correspondant dans la capitale russe. Selon lui, en privé, les Russes "craignent une nouvelle mobilisation générale".

Article original publié sur BFMTV.com