Guerre en Ukraine : à Kiev et Moscou, sept pays africains attendus pour une mission de paix

Relativement proche du chef d’État russe, le président sud-africain Cyril Ramaphosa va mener une délégation de paix à Kiev et Moscou.
Relativement proche du chef d’État russe, le président sud-africain Cyril Ramaphosa va mener une délégation de paix à Kiev et Moscou.

GUERRE EN UKRAINE - « Face à un tel drame, l’Afrique ne peut pas rester silencieuse ou indifférente ». Partant de ce constat résumé par le président congolais Denis Sassou Nguesso, sept pays africains ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps en se rendant eux-mêmes à Kiev et Moscou pour y mener leur propre « mission de paix ».

Une délégation constituée de plusieurs chefs d’États africains est donc arrivée ce vendredi 16 juin, dans la capitale de Volodymyr Zelensky après une étape par la ville martyre de Boutcha. La délégation constituée du président sud-africain Cyril Ramaphosa, des présidents sénégalais Macky Sall et zambien Hakainde Hichilema, du président comorien Azali Assoumani et des représentants congolais, ougandais et égyptien se rendra samedi à Saint-Pétersbourg pour y rencontrer Vladimir Poutine.

Rare, voire inhabituel d’observer des acteurs africains s’impliquer dans des dossiers géopolitiques extérieurs ? Il s’agit d’un « changement de paradigme dans le rapport de l’Afrique à la scène internationale, après avoir longtemps été écartée des débats », estime Caroline Roussy.

Pour Le HuffPost, la directrice de recherche responsable du programme Afrique/s pour l’IRIS décrypte les enjeux et les potentielles conséquences de cette médiation africaine pour mettre fin à la guerre en Ukraine.

Que viennent-ils faire à Kiev et Moscou ?

En première ligne face à la hausse des prix de l’alimentaire et de l’énergie, l’Afrique entend bien avoir son mot à dire dans cette guerre. D’autant qu’un certain nombre de pays du continent dépendent économiquement de leurs échanges avec la Russie et des exportations de céréales, de mais ou d’huile venus d’Ukraine.

« L’Afrique subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine. La mission aura sans doute pour objectif de discuter entre autres de l’enjeu céréalier essentiel, aujourd’hui, pour le continent », note Caroline Roussy, qui prend pour exemple la forte augmentation du prix du pain au Sénégal.

La présidence sud-africaine a promis que durant les échanges, les parties russes et ukrainiennes pourront « expliquer leur point de vue sur la guerre ainsi que leurs exigences minimales ». De la même manière, les pays africains pourront eux aussi s’exprimer sur la façon dont ils perçoivent « l’incidence de cette guerre au sujet des prix alimentaires, des prix des céréales et du carburant, ainsi que sur l’Europe et le reste du monde car c’est devenu un type de conflit plutôt mondialisé ».

En visite officielle à Abidjan le 12 juin, le président du Congo a aussi évoqué l’objectif suivant : faire « comprendre aux belligérants quelles sont les souffrances causées par cette guerre aux peuples faibles du monde et en particulier aux peuples d’Afrique ».

Une contribution plus symbolique que concrète

Quant aux contours de cette mission de paix, ils restent très flous. Un communiqué de la présidence sud-africaine indique seulement que les pays « ont convenu de proposer des éléments » à la Russie et à l’Ukraine « pour un cessez-le-feu et une paix durable dans la région », comme le relate Le Point Afrique.

Malgré cela, Caroline Roussy juge la mission relativement « inédite » et « intéressante à suivre dans cette période de recomposition géopolitique ». Et même si cette première étape n’aboutit pas concrètement, elle pourra toujours servir de précédent.

« L’Afrique veut compter sur la scène internationale et obtenir des sièges au Conseil de sécurité de l’ONU par exemple. Cette mission peut sans doute plaider en ce sens, d’autant que la Chine, la Russie et les États-Unis y sont favorables », remarque Caroline Roussy. L’Afrique du Sud s’est d’ailleurs dit « ouverte à la possibilité » d’accueillir des pourparlers de paix sur son sol, après cette première étape de médiation.

Un dialogue Russie-Afrique bien engagé

Le projet ambitieux pour lequel le président sud-africain dit vouloir construire « un chemin vers la paix », risque de se heurter au principe de réalité. Certains pays de la délégation n’ayant pas condamné l’invasion russe seront inaudibles du côté de Kiev.

Le président Vladimir Poutine a affiché la volonté du Kremlin d’approfondir les liens entre Moscou et les pays africains, lors d’une conférence sur les relations russo-africaines à Moscou le 20 mars 2023.
Le président Vladimir Poutine a affiché la volonté du Kremlin d’approfondir les liens entre Moscou et les pays africains, lors d’une conférence sur les relations russo-africaines à Moscou le 20 mars 2023.

La chercheuse de l’IRIS est, à cet égard, « plutôt pessimiste quant aux conséquences de cette démarche qui n’a que peu de chance d’aboutir sur des gages d’apaisement de la part de Poutine et Zelensky ». D’autant que la Russie continue de dérouler le tapis rouge à l’Afrique, avec plusieurs rendez-vous cet été. À commencer par un sommet des BRICS où Vladimir Poutine sera présent, protégé du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale grâce à une immunité diplomatique mise en place par Pretoria. Il sera suivi d’un nouveau sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg en juillet, comme le rappelle justement Caroline Roussy.

La Russie a d’ailleurs promis de livrer gratuitement les pays africains les plus nécessiteux en cas de non-prolongation de l’accord céréalier au-delà du 17 juillet, comme le note RFI. Ce qui pourrait arriver plus vite que prévu, au regard des récentes déclarations du Kremlin menaçant de quitter l’accord céréalier avant son terme.

« Est-ce qu’une vraie médiation pourra avoir lieu dans ces conditions ? Sans commission ad hoc, sans mandat particulier. J’ai quelques doutes… », conclut la chercheuse.

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