Guerre Israël-Hamas : « Ce n’est pas possible que le peuple de Gaza vive tout ça pour rien » - TÉMOIGNAGE

Le soleil se couche en Égypte, à la frontière avec le sud de la bande de Gaza, sur des tentes abritant les Palestiniens déplacés par le conflit, le 18 décembre 2023.
MAHMUD HAMS / AFP Le soleil se couche en Égypte, à la frontière avec le sud de la bande de Gaza, sur des tentes abritant les Palestiniens déplacés par le conflit, le 18 décembre 2023.

TÉMOIGNAGE - Cette année, dans ma famille, on a décidé d’annuler Noël. Cela fait huit jours que je suis sans nouvelles de mes proches à Gaza, bombardée sans relâche par l’armée israélienne : ma belle-sœur, mon beau-frère, leurs deux enfants âgés de 4 et 7 ans, et les grands-parents de mon mari.

Ici, en territoire occupé, la tension continuelle est encore plus forte depuis la reprise du conflit : les colons se promènent dans les rues armes à la main, et s’en prennent à nos voitures, nos fermes, nos villages en toute impunité. C’est moins violent qu’à Gaza, bien sûr, mais nous avons peur, nous ne sortons plus de chez nous. Je n’ai pas été à mon bureau à Jérusalem depuis deux mois, alors que normalement je vais y travailler au moins une fois par semaine.

Depuis le 7 octobre, ce matin d’horreur où mon mari m’a dit au réveil « Gaza est en guerre », nous tentons de maintenir un contact avec ma famille. La dernière fois que je les ai eus au téléphone, ils étaient au centre de la bande de Gaza. Ils ont dû laisser leur maison de Gaza City, où ils vivaient heureux, dans une magnifique rue bordée d’arbres et de cafés, à quelques minutes de la mer.

Là où ils sont désormais, ils se chauffent au bois, faute d’électricité, et la dernière fois que nous nous sommes parlé, ils avaient pris une douche en trois semaines tant l’accès à l’eau est compliqué. Ils sont affamés. Il y a quelques jours, Salma* m’a dit qu’elle n’avait pas mangé pendant deux jours pour être sûre que ses enfants puissent se nourrir.

Ironie du sort : avant la guerre, nous faisions toutes les deux des missions de solidarité et des distributions auprès des habitants de Gaza, à Noël ou à l’Aïd. Aujourd’hui, alors que c’est à son tour d’avoir besoin d’aide, les camions humanitaires sont presque tous bloqués à la frontière. En trois mois, ils ont reçu une seule fois de l’aide : une livraison de boîtes de conserve, d’eau, de farine, et de quelques produits ménagers.

Des scènes d’horreur qui me hantent

Ce qui me marque le plus, ce sont les images qu’ils me décrivent. Pendant l’un de nos appels, mon beau-frère Youssef* m’a raconté leur passage par l’hôpital Al-Shifa. L’endroit était devenu une morgue où les réfugiés mangeaient au milieu des cadavres et des blessés. Quand il me racontait cela, sa voix était méconnaissable, comme éteinte. Il n’est pas possible de rester soi-même après avoir vu de telles horreurs.

L’horreur, c’est aussi la longue marche qu’ils ont subie tous les six pour fuir les bombardements. Une marche de plus de six heures sous le soleil. Durant au moins deux heures, ils m’ont raconté qu’il a fallu marcher avec leurs bras tendus vers le haut, leur carte d’identité à la main. L’humiliation. Mon beau-frère m’a dit une phrase qui m’a tellement marqué que je l’ai notée : « On entendait nos grands-parents nous raconter leur déplacement forcé en 1948 [à la création de l’État d’Israël]. Je n’arrive pas à croire que l’histoire se répète, que je suis déplacé par la force aujourd’hui. »

« Ce n’est pas possible qu’un peuple vive tout ça pour rien »

Quand je lui demande s’il lui reste de l’espoir, il me dit que oui, que « ce n’est pas possible qu’un peuple vive tout ça pour rien ». En moi-même, je sais que le monde voit ce qui se passe : les mobilisations pour la Palestine à travers la planète entière en témoignent, les pressions politiques internationales aussi. Depuis Gaza, ils ne peuvent pas le voir, mais moi je lis toute la presse, américaine, européenne, arabe, et tout cela me donne aussi de l’espoir.

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Je crois que la paix peut revenir si un travail de fond est fait sur la justice. Nous n’avons pas seulement besoin de solutions économiques, il faut arriver au respect du droit international et à la fin de l’occupation militaire. C’est aussi dans le respect des droits de l’Homme – c’est-à-dire les droits les plus basiques comme le droit à l’eau, à avoir une maison, à l’éducation, à se déplacer librement – que la paix pourra venir.

J’espère que ce jour arrivera le plus vite possible. Alors je pourrais emmener mon fils de 5 ans rencontrer pour la première fois hors d’un écran son grand-père et sa grand-mère, sa tante et son oncle, et nous irons passer le week-end chez eux à Gaza, au bord de la mer.

*Le prénom a été modifié

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