Guerre Israël-Hamas : le dilemme des influenceurs, entre injonction à s’exprimer et menaces
RÉSEAUX SOCIAUX - « Qui suis-je pour porter des messages politiques d’un conflit qui date depuis des années ? » Douze jours après l’attaque meurtrière du Hamas contre Israël, l’une des plus grandes influenceuses françaises, Léna Situations, posait la question à ses 4 millions d’abonnés le 19 octobre dernier.
La jeune femme avait été sommée de prendre la parole sur le sujet, après avoir reçu « des menaces de mort et des intimidations ». « Je me sens coupable, honnêtement, je ne sais plus comment communiquer depuis que mes plateformes ont pris autant d’importance et depuis qu’autant de gens me lisent », a-t-elle confié, à bout, dans son canal privé sur Instagram.
"Je ne sais plus comment communiquer depuis que mes plateformes ont pris autant d'importance".
Après avoir parler d'Israël, du Hamas et de la Palestine, Léna Situations se confie à sa communauté sur ses prises de parole sur Instagram ⬇️ pic.twitter.com/XFWbdLOvHJ— Myriam (@myriiamroche) October 19, 2023
« On a basculé dans une époque de polarisation et de violence qui encourage les internautes à sommer les influenceurs de s’exprimer », constate auprès du HuffPost Jerôme Bourdon, historien et sociologue des médias, enseignant à l’université de Tel Aviv. Depuis trois semaines, de nombreux internautes exigent de façon impérative que les influenceurs prennent la parole pour donner leur opinion sur la guerre qui oppose Israël et le Hamas. Et ce, peu importe s’ils sont habituellement amenés à parler de mode, de jeux vidéo ou de tout autre divertissement.
Des menaces dans tous les cas
C’est le cas de Squeezie, le plus suivi des youtubeurs français, pris à partie en raison des publicités de propagande israélienne qui sont parfois jouées avant ses vidéos. Ces publicités, qui ne sont pas choisies par les youtubeurs, ont également été vues sur plusieurs autres chaînes, notamment celles d’Amixem, du Joueur du Grenier ou de Bolchegeek, selon les informations d’Arrêts sur Images et du journaliste Vincent Manilève.
on vient de me signaler qu'une vidéo, postée il y a onze heures sur le compte officiel du ministère des affaires étrangères israélien, est diffusée en publicité pré roll de chaînes YouTube (on m'a cité celle du YouTubeur Amixem). pic.twitter.com/YN3FiYymd3
— vincent d'internet🐾 (@vincentmnv) October 8, 2023
Alors que ceux qui optent pour le silence, à l’image de Squeezie, sont pointés du doigt, d’autres choisissent au contraire de s’exprimer directement sur le conflit, proposant même à leur communauté d’en discuter via la fonction « questions » d’Instagram, à leurs risques et périls.
Après avoir donné quelques informations sur le conflit dans sa story, l’influenceur Louis Sznv rapporte, dans sa dernière vidéo, avoir reçu un torrent de réactions : « La moitié de mes messages, c’était : “Tu ne condamnes pas le Hamas donc tu fais l’apologie du terrorisme” ! » Difficile de prendre parole sur le sujet sans recevoir de critiques, voire d’« ouvrir la porte à du harcèlement », confirment les influenceuses du compte CamilleetJustine.
Informer des millions de jeunes
Les créateurs de contenus se retrouvent alors face à un dilemme. « Ils se disent : “si j’en parle, je vais me faire critiquer, parce que je le fais de la mauvaise façon. Mais si je ne parle pas, je me fais également critiquer parce qu’on attend de moi, vu que j’ai une belle visibilité, de parler de ces sujets-là pour informer” », résume la journaliste spécialisée sur les réseaux sociaux Myriam Roche, fondatrice du média spécialisé Les Gens d’Internet.
« C’est d’autant plus problématique que les influenceurs sont devenus un canal d’information pour les plus jeunes, ils ont donc aussi ce rôle, cette responsabilité malgré eux », ajoute-t-elle. Plusieurs solutions s’offrent alors aux influenceurs pour répondre à ce casse-tête.
« Puisque le conflit israélo-palestinien est un sujet qu’on ne connaît pas par cœur, nous privilégions les partages de comptes journalistiques, pour remettre le contexte, tout en donnant une idée ce vers quoi tendent nos opinions », expliquent Camille Giry et Justine Lossa, spécialisées sur les questions féministes.
Exprimer ses émotions, sans livrer son opinion
Autre option également largement répandue : exprimer ses émotions, sans pour autant prendre parti. « On attend aussi des influenceurs qu’ils se prononcent sur ces sujets car on les considère comme nos copains, le bon pote à qui on peut parler de tout », observe Myriam Roche.
À l’image de Léna Situations dans son message à ses followers, « des dizaines d’influenceurs ont partagé leur tristesse à leur communauté, pour dire que c’était des informations assez anxiogènes, qu’ils étaient tristes de ce qui se passait là-bas », indique Myriam Roche.
« Les actualités sont si lourdes en ce moment, j’espère que vous prenez soin de vous », a par exemple partagé Natoo sur son canal Instagram. En retour, ses followers réagissent avec des drapeaux israéliens et palestiniens, ou simplement avec un cœur en soutien. Un partage d’émotions qui relève finalement du principe initial des réseaux sociaux.
À voir également sur Le HuffPost :