Guerre Israël-Hamas: le difficile décompte des morts dans la bande de Gaza

Un mois après les attaques meurtrières - plus de 1.400 morts, majoritairement des civils - menées par le Hamas en Israël et la riposte lancée par les forces israéliennes, la situation humanitaire dans la bande de Gaza ne cesse d'empirer. L'enclave palestinienne, où le mouvement terroriste retient 240 otages capturés le 7 octobre, est désormais "coupée en deux".

Lundi 6 novembre, le Hamas a affirmé que le cap des 10.000 morts - parmi lesquels plus de 4.000 enfants - avait été franchi. Depuis le début du conflit, son ministère de la Santé publie quotidiennement un bilan actualisé du nombre de victimes estimé dans la bande de Gaza, en précisant le nombre de femmes et d'enfants concernés.

"Aucune confiance dans les chiffres" du Hamas

Ce décompte, réalisé par l'organisation au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007, est le seul bilan officiel existant actuellement - aucun décompte indépendant ne peut être réalisé sur place. Mais, alors que le Hamas est classé comme groupe terroriste, notamment par l'Union européenne et les États-Unis, ces bilans sont contestés. Fin octobre, les États-Unis ont ainsi mis publiquement en doute la véracité du bilan fourni par le Hamas.

"Je suis sûr que des innocents ont été tués, et c'est le prix à payer pour faire la guerre. Mais je n'ai aucune confiance dans les chiffres utilisés par les Palestiniens", déclarait le président américain Joe Biden le 24 octobre.

Même réticence outre-Rhin. Interrogé sur la question, un porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Christian Wagner, dit trois jours plus tard considérer avec "une certaine prudence" les bilans publiés par le Hamas depuis le début des bombardements israéliens sur la bande de Gaza.

"Nous ne pouvons pas vérifier de façon indépendante les déclarations du Hamas", précise-t-il lors d'un point presse à Berlin, tout en assurant ne pas "contester (...) la terrible souffrance de la population dans la bande de Gaza".

Après la sortie du président Joe Biden, le Hamas a décidé de répondre. Deux jours plus tard, le groupe terroriste publiait ainsi une liste détaillée des victimes de la riposte israélienne, qu'il affirme avoir identifiées.

L'agence de presse américaine Associated Press (AP) a pu avoir accès à une copie de ce document, daté du 27 octobre. Elle indique que le rapport, long de 212 pages, recense 6.747 noms, auxquels s'ajoutent pour chacun le sexe, l'âge, ainsi qu'un numéro d'identité - mais jamais de distinction entre civils et combattants. Figurent également 281 corps que le Hamas affirme avoir retrouvés, mais sans pouvoir les identifier.

Un "outil de propagande" dans les conflits

Pour le porte-parole de Médecins du monde Jean-François Corty, il est "assez classique, dans un conflit, que la question des chiffres soit mise en avant comme outil de propagande", dit-il auprès de BFMTV.com.

"Ça peut être un outil de propagande des deux côtés. On peut exagérer des chiffres pour dire que l'adversaire est faible ou les sous-évaluer pour surjouer son statut de victime", développe-t-il.

"Il est impossible d'avoir des données précises du nombre de victimes dans un conflit", avance de son côté Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord pour l'organisation Human Rights Watch, auprès de BFMTV.com - la guerre étant par définition une situation de chaos lors de laquelle les organisations politiques et publiques ne fonctionnent pas normalement.

Dans le cas de la bande de Gaza, l'agence AP indique que le ministère de la Santé du Hamas comptabilise les victimes en se basant principalement sur les données fournies par les hôpitaux et les morgues. L'identité des victimes n'est pas toujours communiquée par les hôpitaux, mais le porte-parole du ministère assure que les numéros d'identification des victimes sont vérifiés.

Des chiffres repris par l'ONU

L'Organisation des Nations unies (ONU) rappelle qu'elle a déjà, avant le 7 octobre, dans les précédents conflits impliquant les territoires palestiniens, repris les chiffres donnés par le Hamas.

"Dans le passé, dans les cinq, six cycles de conflit dans la bande de Gaza, ces chiffres étaient considérés comme crédibles. Personne ne les a jamais vraiment contestés", a déclaré fin octobre le patron de l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, lors d'une conférence de presse à Jérusalem.

Ce dernier a également rappelé que, parmi les victimes, "au moins 57" salariés de l'ONU étaient recensés. Un chiffre élevé et qui montre que les civils sont eux aussi touchés dans le conflit.

Y a-t-il, en raison de l'escalade du conflit le mois passé au Proche-Orient, des raisons de reconsidérer la véracité des chiffres fournis par le Hamas? Liz Throssell, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme estime, auprès de BFMTV.com, qu'avec le contexte actuel "le processus d’enregistrement des victimes prend plus de temps, compte tenu du nombre élevé de décès quotidiens" et est rendu plus complexe car "Israël a coupé l’électricité et les communications".

Pour autant, "les chiffres du ministère de la Santé (du Hamas) sont considérés comme un reflet raisonnablement précis de la situation à ce jour", encore aujourd'hui.

Elle rappelle par ailleurs que les Nations unies "évaluent la validité des informations et les utilisent, avec d’autres sources, à des fins de corroboration". Parmi les sources fréquemment utilisées, les journalistes et médecins sur place, les familles des victimes, l'imagerie satellite ou encore les documents des hôpitaux.

"Probablement réaliste"

Le porte-parole de Médecins du monde, dont les équipes sont présentes à Gaza, estime pour sa part que les chiffres communiqués par le Hamas sont "probablement réalistes".

Pour étayer son propos, il évoque notamment "la densité de population" dans la bande de Gaza, qui est la plus élevée au monde, mais aussi "le type d'armes employées et leur nombre, et l'armée israélienne communique là-dessus, mais aussi la façon dont les habitations sont organisées".

"Tout laisse penser à une mortalité exceptionnelle", dit-il.

L'agence AP, qui fait partie des rares médias à disposer encore de journalistes présents dans la bande de Gaza, indique ne pas pouvoir fournir un bilan indépendant, mais assure elle aussi que ses équipes sur place ont constaté un "grand nombre de corps sur les sites de frappes aériennes, dans les morgues et lors des funérailles".

Précisant être en contact avec d'autres organisations humanitaires, comme le Croissant-Rouge palestinien et des médecins dans des hôpitaux de Gaza, Jean-François Corty, de Médecins du monde, ajoute que les estimations données par le Hamas pourraient même, selon lui, être potentiellement inférieures à la réalité.

"(Les chiffres) peuvent être sous-calibrés, avec des corps non comptabilisés qui sont encore sous les décombres", suppose-t-il.

Par ailleurs, il rappelle "qu'il y a des maladies chroniques et aigües qui ne sont pas prises en charge avec le blocus total" imposé dans la bande de Gaza, ce qui peut indirectement alourdir le nombre de victimes.

Un bilan "jamais connu"?

Le bilan fournit par le Hamas reste toutefois relativement imprécis. Il ne détaille pas si la victime est un civil ou un combattant du Hamas, ne donne pas les circonstances de la mort, ni le lieu où a été retrouvé le corps.

"Si les chiffres disent que 100 personnes ont été tuées, cela inclut les personnes tuées par des frappes israéliennes, mais ça n'exclut pas celles tuées par des roquettes palestiniennes qui ont manqué leur cible", note Eric Goldstein de Human Rights Watch.

"Les chiffres en temps réel ont généralement tendance à être inférieurs aux chiffres évalués lorsque le temps permet un meilleur accès à l'information", rappelle par ailleurs Liz Throssell. La représentante du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme souligne que "l'enregistrement des victimes est un processus continu" et "laborieux".

"Il implique systématiquement la collecte et la vérification des informations sur les décès individuels, ainsi que sur les blessures dans des situations complexes et de conflit", souligne-t-elle.

Pour Liz Throssell, la complexité du sujet est telle que connaître avec certitude le nombre de morts est probablement vain. "Les chiffres réels définitifs ne seront peut-être jamais connus", reconnaît-elle - la situation, ajoute-t-elle, est similaire pour le conflit entre Ukraine et Russie.

Article original publié sur BFMTV.com