Grève au JDD : comment expliquer la timidité de la Macronie face à l’appétit médiatique de Bolloré

Caisse de grève des journalistes du JDD photographiée lors d’une soirée de soutien le 27 juin (illustration)
Caisse de grève des journalistes du JDD photographiée lors d’une soirée de soutien le 27 juin (illustration)

POLITIQUE - Pour le quatrième dimanche consécutif, les lecteurs de l’hebdomadaire ne trouveront pas le JDD en kiosque ou, pour les abonnés, dans leur boîte aux lettres. Les journalistes de cette institution dominicale ont voté, ce samedi 15 juillet, la poursuite de leur grève. Un mouvement entamé le 22 juin en réaction à l’annonce du recrutement comme directeur de la rédaction de Geoffroy Lejeune, tout juste remercié de Valeurs actuelles pour une ligne jugée trop proche d’Éric Zemmour, ainsi que de piètres résultats économiques.

Un prolongement de la grève qui a immédiatement fait réagir à gauche. « Il est où l’arc républicain pour soutenir la rédaction ? Députés Renaissance, qu’avez vous fait de votre mandat, celui de consacrer votre énergie à faire barrage à l’extrême droite ? », a tweeté le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, en interpellant directement une Macronie particulièrement discrète sur tout ce qui touche à la croisade médiatique de Vincent Bolloré, lequel injecte dans le débat des idées réactionnaires en quantité industrielle.

Une démonstration de cette frilosité a été faite ces derniers jours, avec le bras de fer opposant Pap Ndiaye et CNews, qualifiée de chaîne « d’extrême droite » par le ministre de l’Éducation nationale. Malgré une avalanche d’attaques venant des antennes bolloréennes, l’intéressé n’a reçu qu’un soutien famélique des troupes macronistes. Du côté du gouvernement, seul le ministre des Transports Clément Beaune (représentant de l’aile gauche) a publiquement pris la défense de son collègue au nom du respect des convictions. À l’inverse du ministre de la Fonction publique Stanislas Guérini, qui s’est désolidarisé en direct sur Europe 1. Une radio appartenant… à la galaxie médiatique du milliardaire breton.

« On ne va jamais se prendre une balle pour un homme mort »

Parmi quinze ministres de plein exercice sollicités par Le Monde en milieu de semaine, aucun n’a accepté de prendre position. Au HuffPost, un conseiller ministériel analysait ainsi cette timidité : « Il y a deux trucs. Premièrement, certains ne veulent pas donner l’impression d’interférer dans les questions de presse. Mais surtout, ils ne veulent pas se couper de ces médias pour leurs interventions. » Et de livrer une observation plus terre à terre, liée au sort de Pap Ndiaye, qui figure sur la liste des ministres pressentis pour être remplacés. « En politique, on ne va jamais se prendre une balle pour un homme mort. » Ambiance.

Il a donc fallu attendre le Conseil des ministres, et un soutien formulé par Emmanuel Macron en personne pour briser — pour un temps seulement — le silence gêné qui règne au sein des troupes présidentielles. « Pap, c’est son choix et ne pas le soutenir maintenant, c’est se renier », décrypte un conseiller de l’exécutif, laissant entendre que le chef de l’État n’avait pas d’autre solution que de voler au secours de son ministre, qu’il souscrive (ou non) au constat d’évidence fait par ce dernier.

Du côté de l’Assemblée, ce n’est pas la cohérence sur ce sujet qui saute aux yeux. « Les propos du ministre me dérangent », enfonçait sur LCP le député Renaissance du Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl, issu des Républicains. Un avis que ne partage pas sa collègue du Loiret, Caroline Janvier, qui a jugé sur Twitter que Pap Ndiaye avait eu « raison » de rappeler que « CNews est bien un média d’extrême droite qui contribue à normaliser des discours xénophobes et à banaliser les idées du Rassemblement national et de Reconquête ». Comprendra qui pourra.

États généraux

Pour ce qui est du JDD, Violette Spillebout, élue dans le Nord, apparaît bien seule à exprimer régulièrement son inquiétude, préférant pour autant aller sur le terrain de l’indépendance de la rédaction que sur celui de la lutte contre l’extrême droite. Interrogée sur le sujet après sa rencontre avec les syndicats, la Première ministre Élisabeth Borne a royalement botté en touche : « Il n’appartient pas au gouvernement d’interférer dans la gestion des médias, quels qu’ils soient ».

Dimanche 25 juin, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak s’était bien inquiétée de la nomination de Geoffroy Lejeune au nom des « valeurs républicaines », mais elle est restée bien silencieuse depuis, au grand dam des journalistes du JDD qui réclament des expressions politiques fortes, dont celles du chef de l’État. Ce n’est pas vers cela que l’on se dirige, l’Élysée préférant manifestement agir en discrétion plutôt que d’entrer en guerre ouverte avec Vincent Bolloré.

Comme le souligne ce samedi Libération, Emmanuel Macron (dont les relations avec le milliardaire sont glaciales) est pris dans un dilemme qui l’oblige à jouer les équilibristes entre lutte contre l’extrême droite et distance vis-à-vis des entreprises privées et de leur fonctionnement.

En outre, le lancement, jeudi 13 juillet, des « États généraux du droit à l’information » est vendu au sein du camp présidentiel comme une réponse plus ou moins subtile à la situation, à travers notamment le choix de nommer le président de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, pour copiloter le projet. Une personnalité notoirement opposée à l’activité médiatique de Vincent Bolloré, cet « ogre qui digère les médias et les transforme en organes d’opinion ». Une initiative, faisant suite à une promesse de campagne du candidat Macron, qui a été saluée par les journalistes grévistes du JDD. Reste à savoir si elle suffira à répondre à l’urgence de leur situation.

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