La gifle de Will Smith fait de l'ombre à "Emancipation", son nouveau film sur l'esclavage
Ce devait être un film poignant sur la fuite d'un esclave à travers les marais de Louisiane, mais avant sa sortie, Emancipation s'est vu accoler une étiquette inattendue: il s'agit du premier film de Will Smith depuis sa gifle aux Oscars. Ce qui inquiète son réalisateur, Antoine Fuqua.
Les professionnels de Hollywood misaient plutôt sur un report à cause du scandale, mais Apple, qui produit le long-métrage, a décidé de le sortir ce week-end sur les écrans américains, malgré les craintes d'un possible boycott du public. Le film sera disponible en France le 9 décembre prochain sur Apple TV+.
"Je suis très inquiet à ce sujet", confie à l'AFP Antoine Fuqua, qui espère que le message de son film ne va pas être englouti par la controverse entourant son acteur principal. "J'espère que nous avons assez de compassion (...) pour au moins aller voir le travail qu'il a fourni, car son travail dans le film est extraordinaire", ajoute le réalisateur.
Avant de choquer le monde entier en giflant sur la scène des Oscars l'humoriste Chris Rock, à cause d'une blague douteuse concernant la perte de cheveux de sa femme, Will Smith a conquis Hollywood depuis les années 1990 et "a été un homme bien, devant nous tous, pendant 37 ans", rappelle le cinéaste.
Inspiré de faits réels
Emancipation s'inspire de l'histoire de "Whipped Peter", ou "Peter le fouetté", un esclave noir passé à la postérité pour le traitement barbare que lui ont infligé ses maîtres, avant qu'il ne s'échappe d'une plantation de coton pendant la guerre de Sécession américaine. Les photos de son dos, complètement lacéré par les coups de fouets, sont restées dans l'histoire comme une preuve indélébile de la brutalité de l'esclavage.
Will Smith incarne ce personnage s'échappant des griffes de maîtres cruels, et dont Antoine Fuqua imagine la fuite à travers les marais poisseux de Louisiane, remplis d'alligators, de serpents et d'autres dangers. Le réalisateur filme cette quête de liberté à la manière d'un thriller à suspense, plus que d'un drame historique, et montre de front les sévices infligés aux esclaves. Brutales, les scènes de violence rappellent celles du film multi-oscarisé 12 years a Slave.
Malaise, un an après son accès de violence en pleine cérémonie
La performance de Will Smith est indéniable, mais de nombreux critiques se demandent si le retour de l'acteur sur les écrans n'est pas prématuré, à peine huit mois après sa gifle.
Interdit de cérémonie des Oscars pendant 10 ans, après avoir lui-même démissionné de l'Académie, l'ancien Prince de Bel Air peut en théorie toujours être nommé et remporter une statuette. La sortie d'Emancipation en décembre permet d'ailleurs à Apple de proposer son film aux Oscars 2023.
Débats mémoriels
Will Smith, qui s'est publiquement excusé, "a eu tort" de s'emporter lors des derniers Oscars, insiste Antoine Fuqua, en espérant qu'il se réconcilie avec Chris Rock loin des projecteurs. Mais "Will est un bon gars, je le soutiens", ajoute le réalisateur. Pendant le tournage difficile dans les marais de Louisiane, l'acteur "ne s'est jamais plaint", souligne-t-il.
Le cinéaste insiste sur le besoin impérieux de sortir Emancipation, à un moment où les questions mémorielles autour de l'esclavage provoquent de multiples crispations aux Etats-Unis.
"Il y a des discussions pour ne pas enseigner l'esclavage dans certaines écoles (...), comme s'ils voulaient effacer le passé", s'indigne le cinéaste.
Question de société
Le parti républicain s'est fermement opposé à des réformes qui envisageaient de modifier la manière dont l'esclavage était enseigné et d'aborder la question du racisme systémique. Les enfants américains ne devraient pas "apprendre que notre pays est mauvais par nature", ont estimé l'an dernier le patron des conservateurs au Sénat, Mitch McConnell, et d'autres parlementaires.
Antoine Fuqua dresse, lui, un parallèle entre ces résistances et les clichés de "Whipped Peter", qui ont été nécessaires pour faire taire les voix qui tentaient de minimiser les horreurs commises au nom de l'esclavage à la fin du XIXe siècle.
"C'est pour ça qu'il est si important de garder les musées ouverts, de faire vivre toutes ces choses", juge-t-il. "Beaucoup d'enfants ne savent même pas ce qu'est l'esclavage."