Frappes sur Gaza, Washington menace de freiner l'aide militaire à Israël

L'armée israélienne a bombardé jeudi la bande de Gaza, au moment où les Etats-Unis menacent pour la première fois de cesser des transferts d'armements à Israël en cas d'offensive majeure dans la ville surpeuplée de Rafah, à la frontière égyptienne.

Il s'agit de l'avertissement le plus sévère des Etats-Unis, un proche allié d'Israël et son principal fournisseur d'armements, depuis le début de la guerre contre le Hamas dans le territoire palestinien, déclenchée le 7 octobre par une attaque sanglante du mouvement islamiste sur le sol israélien.

Jeudi, une équipe de l'AFP a fait état de frappes et de nombreux tirs d'artillerie à Rafah.

"Les chars et les avions tirent", a témoigné Tarek Bahloul, un habitant dans une rue déserte: "Toutes les minutes, on entend une roquette et on ne sait pas où elle va atterrir".

Défiant les mises en garde internationales, l'armée israélienne a mené depuis mardi des incursions qualifiées de "ciblées" dans l'est de Rafah et pris le contrôle du passage frontalier avec l'Egypte, verrouillant la principale porte d'entrée pour les convois d'aide humanitaire vers le territoire assiégé.

L'armée a indiqué avoir rouvert mercredi Kerem Shalom, un point de passage entre Israël et la bande de Gaza, proche de Rafah, fermé durant trois jours après des tirs de roquettes revendiqués par le Hamas.

Mais l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, l'Unrwa, affirme ne pas pouvoir récupérer d'aide: "Nous n'avons pas reçu de carburant depuis dimanche", a expliqué à l'AFP Juliette Touma, une porte-parole.

- "Des vies perdues" -

La menace d'une offensive d'ampleur sur Rafah et la fermeture des points de passage font redouter à de nombreuses capitales et organisations internationales une aggravation de la situation humanitaire dans le territoire, dévasté et menacé de famine.

"La situation est désastreuse", a lancé jeudi la directrice exécutive de l'Unicef, Catherine Russell.

"Si les passages de Kerem Shalom et Rafah ne sont pas rouverts au carburant et à l'aide humanitaire, les conséquences se feront sentir presque immédiatement: les appareils de réanimation pour les bébés prématurés ne seront plus alimentés, des enfants et des familles seront déshydratés ou boiront de l'eau non potable, les égouts déborderont en propageant des maladies. En un mot, le temps perdu deviendra bientôt des vies perdues", a-t-elle ajouté.

Pour pallier en partie l'insuffisance de l'aide arrivant par voie terrestre, plusieurs pays participent à des parachutages, dont le Hamas a réclamé jeudi l'arrêt après deux nouveaux décès accidentels.

Un porte-conteneurs américain chargé d'aide humanitaire a par ailleurs quitté Chypre vers Gaza.

Selon l'Unrwa, environ 80.000 personnes ont fui Rafah après l'appel à évacuer lancé lundi par l'armée.

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, menace de lancer une offensive terrestre d'ampleur sur cette ville où sont massés, selon l'ONU, 1,4 million de Palestiniens, afin de vaincre les derniers bataillons du Hamas.

"Les déclarations sur la portée limitée de l'opération militaire dans les quartiers est de Rafah ne sont qu'un mensonge, contredit par (...) les bombardements aériens, terrestres et navals qui visent tous les secteurs du gouvernorat", ont affirmé jeudi les autorités du Hamas.

Des frappes ont aussi visé jeudi des infrastructures militaires du Hamas à Zeitoun, un quartier de la ville de Gaza, dans le nord, selon l'armée.

- "Difficile à entendre" -

"Des civils ont été tués à Gaza à cause" de bombes américaines, a reconnu le président Joe Biden dans un entretien à CNN, au cours duquel il a pour la première fois posé des conditions à l'aide militaire à Israël.

Si les soldats israéliens "entrent à Rafah, je ne leur livrerai pas les armes qui ont toujours été utilisées (...) contre des villes", a déclaré M. Biden, citant notamment des "obus d'artillerie".

L'ambassadeur d'Israël à l'ONU a déclaré jeudi que cette menace était "difficile à entendre et très décevante".

Un haut responsable américain a aussi confirmé la suspension, la semaine dernière, d'un transfert vers Israël "de 1.800 bombes de 2.000 livres (907 kg) et de 1.700 bombes de 500 livres (226 kg)".

La guerre a éclaté le 7 octobre quand des commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza ont mené une attaque contre Israël, sans précédent dans l'histoire du pays, qui a fait plus de 1.170 morts, majoritairement des civils, selon un bilan de l'AFP établi à partir de données officielles israéliennes.

Plus de 250 personnes ont été enlevées et 128 restent captives à Gaza, dont 36 seraient mortes, selon l'armée.

En riposte, Israël a promis de détruire le Hamas, au pouvoir à Gaza depuis 2007, et lancé une offensive qui a fait jusqu'à présent 34.904 morts, selon le ministère de la Santé du Hamas.

- Exigences contradictoires -

Au Caire, une session de pourparlers indirects visant à négocier une trêve et éviter un assaut à Rafah, s'est achevée jeudi avec le départ des représentants d'Israël et du Hamas, selon le média Al-Qahera News, proche du renseignement égyptien.

Les efforts des pays médiateurs, Qatar, Egypte et Etats-Unis, "se poursuivent", selon Al-Qahera.

Lundi, quelques heures avant le déploiement de troupes israéliennes à Rafah, le Hamas avait donné son feu vert à une proposition prévoyant une trêve associée à la libération d'otages retenus à Gaza en échange de Palestiniens détenus par Israël.

Mais les deux camps affichent jusqu'à présent des exigences contradictoires.

Israël a répondu que cette offre était "loin de ses exigences" et répété son opposition à un cessez-le-feu définitif tant que le Hamas, qu'il considère comme une organisation terroriste de même que les Etats-Unis et l'Union européenne, ne serait pas vaincu.

Le mouvement islamiste de son côté réclame un cessez-le-feu définitif en préalable à tout accord.

Selon un membre du bureau politique du Hamas, Ezzat al-Rishq, les incursions israéliennes à Rafah "visent à entraver les efforts des médiateurs".

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