La France doit se mobiliser pour protéger toutes les filles et les femmes de l’Union Européenne

Photo d’illustration prise le 19 novembre 2022 lors d’une manifestation de l’association contre les violences sexistes et sexuelles Nous Toutes, à Paris.
Photo d’illustration prise le 19 novembre 2022 lors d’une manifestation de l’association contre les violences sexistes et sexuelles Nous Toutes, à Paris.

DROITS DES FEMMES -

Monsieur le Président,

Il est urgent et nécessaire que vous preniez la peine de nous lire, indispensable que vous écoutiez les voix nombreuses et insistantes qui réclament sans succès votre oreille.

Ces voix vous les connaissez : ce sont celles que vous disiez avoir entendues lors de votre campagne de 2017, au cours de cette grande marche qui a fait de vous le Président de la République française. Ces voix dénonçant les violences contre les filles et les femmes avaient été si fortes qu’elles vous avaient conduit à faire de ce sujet la grande cause de votre premier quinquennat. Après avoir déclaré notre cause au cœur du débat public, vous l’avez à présent déclassée, reléguée, pour préserver quelques sombres équilibres politiques, en France et au niveau européen.

Venons-en aux faits : le 8 mars 2022, profitant de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, la Commission européenne a lancé le projet d’une directive européenne sur les violences contre les femmes et les violences domestiques. En tant que féministes, nous y avons vu une opportunité majeure pour la diplomatie féministe française.

La Commission européenne a lancé le projet d’une directive européenne sur les violences contre les femmes. Nous y avons vu une opportunité majeure pour la diplomatie féministe française. C’était une occasion... une occasion manquée.

C’était l’occasion d’étendre à l’ensemble de l’UE, les principes du refus de l’exploitation et de la marchandisation des femmes qui figurent dans notre corpus juridique.

C’était l’occasion d’harmoniser la criminalisation du viol en Europe, crime sexuel dont les femmes et les filles sont victimes de manière disproportionnée et dont les conséquences psychotraumatologiques impactent les vies de manière dramatique.

C’était l’occasion de défendre et protéger les femmes les plus précarisées : femmes migrantes, racisées, porteuses de handicap, jeunes femmes et mineures, femmes victimes de violences, femmes en zones de conflit ou de catastrophes naturelles… Ces mêmes femmes qui sont ciblées et exploitées par les proxénètes et des réseaux de traite des êtres humains, comme l’a démontré l’OSCE quelques mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine.

C’était l’occasion de véritablement entériner les principes de solidarité et d’égalité qui fondent l’Union Européenne, de s’assurer que les droits fondamentaux qu’elle défend ne bénéficient pas seulement à ceux et celles qui sont les plus privilégiés mais véritablement à chacune et à chacun.

C’était l’occasion… Une occasion manquée.

Les associations françaises se sont mobilisées auprès du Parlement Européen et du Conseil de l’Europe tout au long du processus des négociations. Nous avons alerté les différents ministères pertinents sur les enjeux de défendre un texte qui portait beaucoup d’espoir. Nos efforts ont fait face au double discours de la France sur les droits des femmes.

Nos efforts ont fait face au double discours de la France sur les droits des femmes.

Venons-en au viol. Alors que la criminalisation du viol était intégrée dans la proposition de la Commission Européenne, le Conseil de l’Union Européenne, dans ses travaux, a décidé d’abandonner cette mesure essentielle, sans laquelle le projet de directive perd une immense partie de son intérêt et de sa substance. Parmi les États du Conseil, certains se mobilisent : la Grèce, le Luxembourg, l’Italie, la Belgique protestent. Ils insistent pour préserver cette mesure qui mettrait toutes les filles et les femmes résidant sur le sol de l’Union Européenne sur un pied d’égalité quant au traitement de cette violence sexuelle qui, entre tabou et acceptation sociale, reste trop souvent impunie et honteuse pour celles qui la subissent. Certains États se mobilisent, oui, mais pas la France !

Monsieur le Président, la France que vous dirigez et représentez ne se mobilise pas pour que le viol devienne un crime dans l’intégralité des pays de l’UE, abandonnant ainsi les filles et femmes qui attendent depuis trop longtemps cette avancée précieuse dans certains pays.

Pour justification à cette position inacceptable, la France met en avant un prétendu défaut de fondement juridique à l’inclusion de la criminalisation du viol dans le projet de directive. Pourtant, les différents articles concernant la définition d’infractions pénales portent soit sur la criminalité informatique, soit sur l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants. Dans le projet de texte, les mutilations sexuelles sont reconnues comme tombant sous le champ de l’exploitation sexuelle. Comment justifier que cette interprétation ne s’étende pas au viol ? Quel est le véritable choix politique de la France vis-à-vis de cette directive, instrument précieux, historique et tant attendu ?

Nous appelons la France à devenir le porte-parole des droits des filles et des femmes. Nous avons besoin de la France pour avancer dans le chemin tortueux de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Au niveau du Parlement Européen, même abandon français : certains eurodéputés de notre pays, appartenant au groupe Renew (Renaissance), ont fait front pour empêcher que la criminalisation du proxénétisme et de l’achat d’actes sexuels soit intégrée au projet de directive. Ce même groupe a déposé un amendement proposant l’inclusion du concept de « prostitution forcée », laissant dangereusement croire qu’une « prostitution choisie » pourrait exister, à contre-courant de la loi française d’abolition de la prostitution de 2016 qui reconnaît la prostitution comme un système au sein duquel la violence est inhérente. Nous comptions pourtant sur notre pays, figure de proue sur la scène internationale dans la lutte contre la marchandisation des femmes. Faut-il rappeler qu’en France plus de 75 % des personnes prostituées sont entrées dans la prostitution avant 17 ans et que 70 % des personnes prostituées en Europe sont issues des migrations ?

Il n’est pas trop tard : le Parlement européen votera sa version du texte le 13 juillet, suite à quoi auront lieu les trilogues, les négociations entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil de l’Union Européenne. Cette étape est clef ! Au cours de ce processus, nous appelons la France à tenir ses engagements et à devenir le porte-parole des droits des filles et des femmes. Nous avons besoin de la France pour avancer dans le chemin tortueux de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, pour que toutes les filles et toutes les femmes d’Europe et du monde jouissent pleinement de leurs droits fondamentaux et d’une vie sans violence.

Monsieur le Président, en 2017, vous disiez nous avoir entendues. Six ans plus tard, nous en attendons la preuve tangible.

Retrouvez ci-dessous la liste des cosignataires de ce texte :

Signataires de la Tribune :... by LeHuffPost

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