Fin de vie : comment Emmanuel Macron a évolué sur le sujet entre ses deux quinquennats
Le chef de l'État a dévoilé ce dimanche son "modèle français de la fin de vie": une "aide à mourir" qui doit permettre à certains patients, selon des "conditions strictes", de recevoir une "substance létale".
Il assume de "prendre le temps". Emmanuel Macron a annoncé ce dimanche 10 mars dans un entretien à La Croix et Libération qu'un projet de loi portant sur une "aide à mourir" sous "conditions strictes" sera présenté en avril en Conseil des ministres avant d'être examiné en première lecture à l'Assemblée nationale à partir du 27 mai.
Le chef de l'État est revenu sur sa volonté de porter ce projet de loi. Il a toutefois longuement repoussé ce moment. Soucieux de ne pas se hâter et de ne pas heurter des sensibilités, il a multiplié les rencontres et les échanges, longtemps sans jamais donner sa vision sur le sujet.
Si l'opinion publique est majoritairement favorable à une évolution des pratiques sur la fin de vie, Emmanuel Macron dit avoir "retenu de ces échanges cette crainte légitime qu'on assigne une valeur à la vie, qu’on laisse entendre qu’il y aurait des vies devenues inutiles".
"Il fallait accepter de prendre un peu de temps. Je suis très sensible aux oppositions, philosophiques et religieuses, qu’il faut entendre et respecter", explique le locataire de l'Élysée.
• Angle mort du premier quinquennat
En 2017, Emmanuel Macron n'avait pas pris d'engagement au cours de la campagne présidentielle concernant la fin de vie. Il avait déclaré dans l'émission Quotidien que ce n'était pas "une priorité sur le plan de la loi". Sur C8, il expliquait vouloir "d'abord faire pleinement appliquer la loi Claeys-Leonetti" et disait être favorable à un débat "dans un temps apaisé", mais qu'il ne fera pas de loi en arrivant à l'Élysée.
Il avait toutefois affirmé: "Moi, je souhaite choisir ma fin de vie".
Durant son premier quinquennat néanmoins, Emmanuel Macron échange plusieurs fois à ce propos, à l'instar d'un dîner organisé en 2018 à l'Élysée avec une douzaine de dignitaires religieux, des soignants et des personnalités investies sur le sujet.
Peu après la mort de Vincent Lambert, symbole des débats sur la fin de vie, le chef de l'État écrit: "Sur cette question, qui touche à la part intime de chacun, il n'y a aucune réponse simple ou univoque", ajoutant qu'il ne lui "appartient pas" de s'opposer aux décisions des médecins et de la justice.
Malgré la distance du président, des députés s'activent à l'Assemblée nationale dès le premier quinquennat, avec une proposition de loi visant à légaliser l'aide médicale active à mourir. Celle-ci n'est finalement pas adoptée face à des milliers d'amendements déposés par des élus LR et un temps contraint.
Le Premier ministre Jean Castex indique alors au Parisien que le débat sur la fin de vie est "évidemment légitime, mais arrive tard". "Le calendrier parlementaire est extrêmement serré. La priorité du gouvernement est d'aller au bout du vote de la loi sur la bioéthique, qui comporte notamment la PMA pour toutes", cette fois une promesse de campagne d'Emmanuel Macron.
• Un nouveau chantier en 2022
Comme le rapporte La Croix, les demandes des députés macronistes ne font pas infléchir le président. "Il ne serait pas de bonne méthode de mettre ce sujet sur la table à la fin du quinquennat", explique ce dernier dans l'avion qui l’amène au Vatican en 2021 pour y rencontrer le pape François.
C'est bien au moment de briguer un nouveau mandat qu'Emmanuel Macron change de discours. Il se prononce en faveur d'une évolution de la loi Claeys-Leonetti de 2016, qui admet une "sédation profonde et continue" en cas de souffrances intolérables lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.
Durant cette campagne de 2022, lors d'un bain de foule en Charente-Maritime, Guy, atteint de la maladie de Charcot, interpelle le président de la République et fait part de son incompréhension de ne pas pouvoir mettre fin à ses jours en France et de devoir partir en Belgique. Cette séquence pousse Emmanuel Macron à se positionner sur le sujet de la fin de vie en se disant "favorable à avancer vers le modèle belge".
Plus tard, il est revenu sur ces propos tenus, évoquant les "limites du modèle belge" même s'il affirme avoir la "conviction qu'il faut bouger". En septembre 2022, il promet d'ailleurs à Line Renaud, grande défenseuse de l'aide à mourir: "On le fera".
• La convention citoyenne en faveur d'une "aide active à mourir"
Peu après sa réélection, Emmanuel Macron demande la constitution d'une convention citoyenne sur la fin de vie, sur le même modèle que celle du climat, toujours dans sa volonté d'arriver le plus possible à une forme de consensus, en passant par des échanges et des rencontres.
Les 184 membres tirés au sort, qui ont longuement écouté des dizaines d’experts et débattu, se prononcent au printemps 2023 dans un avis non contraignant pour l'ouverture d'une "aide active à mourir".
À l'issue, Emmanuel Macron annonce alors un plan national décennal pour la prise en charge de la douleur et les soins palliatifs ainsi qu'un projet de loi sur la fin de vie d'ici la fin de l'été 2023. Il entend s’appuyer sur les travaux de la convention citoyenne pour établir un texte "co-construit" avec le Parlement.
Après avoir été reporté à décembre 2023, le projet de loi est encore repoussé à début 2024.
• Un long processus à venir
L'annonce faite ce dimanche met ainsi fin à une longue attente. Dans le détail donné à La Croix et à Libération, Emmanuel Macron tempère toujours. À titre d'illustration, il n'utilise jamais les termes "euthanasie" ou "suicide assisté" mais parle "d'aide à la fin de vie".
Il explique par ailleurs qu'il veut concilier "l'autonomie de l’individu" et la "solidarité de la nation", signe de sa volonté de ne pas heurter les sensibilités, notamment religieuses.
Il semble également ne pas vouloir faire de cette loi un symbole. "Elle ne crée, à proprement parler, ni un droit nouveau ni une liberté", indique-t-il.
Emmanuel Macron dicte également des "conditions strictes" pour demander une aide à la fin de vie: patients majeurs, "capables d'un discernement plein et entier", atteints d'une "maladie incurable" avec "pronostic vital engagé à court ou moyen terme" et subissant des souffrances "réfractaires".
Enfin, le processus parlementaire s'annonce long et l'aboutissement n'interviendra probablement pas avant 2025.
Article original publié sur BFMTV.com
VIDÉO - Fin de vie : Euthanasie, suicide assisté, aide à mourir… Quelles différences ?