"La Fifa nous ignore": adaptation, combativité et amour du jeu... Le patron du Shakhtar Donetsk Sergey Palkin décrit un quotidien difficile en Ukraine

Sergey Palkin, quel bilan tirez-vous de la saison du Shakhtar Donetsk?

Le bilan de la saison est très bon: nous avons remporté le championnat, la coupe. Nous avons réussi à montrer de bonnes choses en Ligue des champions. Surtout que le début de saison avait été compliqué et que nous avons décidé de changer d'entraîneur. Marino Pušić est arrivé en octobre, beaucoup nous prédisaient une saison blanche et difficile. Mais ce choix fut le bon, lui et l'équipe ont fait du très bon travail, en pratiquant un jeu plaisant. Et ce fut une grande réussite.

Justement concernant Marino Pusic, va-t-il rester sur le banc du club?

Il a encore deux ans de contrat, il va donc rester et poursuivre son travail.

Cette saison faite de deux titres et d'une participation en Ligue des champions est d'autant plus remarquable qu'elle a été menée dans un contexte toujours aussi compliqué, en pleine guerre...

Vous savez, rien n'est facile pour notre club et notre pays. Pour les joueurs par exemple: il faut bien se rendre compte qu'ils logent à l'hôtel, loin de leurs familles qui sont soient à l'étranger, soit ailleurs dans le pays. Il y a aussi les nombreux déplacements pour jouer nos matchs: pour se rendre à l'étranger ou en revenir, cela prend souvent deux jours, à la fois pour quitter le pays en passant tous les contrôles puis pour rejoindre notre destination. Ce sont autant de contraintes supplémentaires par rapport à d'autres clubs, notamment dans un contexte de compétition européenne avec un adversaire qui n'a pas ces désavantages à gérer.

Il faut aussi avoir en tête que cette situation ne dure pas seulement depuis deux ans: il faut remonter à 2014 et l'invasion du Donbass par la Russie. Il a alors fallu quitter Donetsk, notre ville, notre région, notre stade, pour Lviv. 2022 a été une nouvelle étape et nous sommes devenus presque des nomades: c'est la seule solution pour continuer.

Concernant les matchs européens: continuerez-vous à jouer à Hambourg vos "matchs à domicile"?

Nous disputerons toujours ces matchs en Allemagne, mais cette fois à Gelsenkirchen: Schalke nous a en effet proposé de jouer dans son stade.

Le Shakhtar a d'ailleurs décroché sa qualification pour la Ligue des champions...

Oui et c'est une joie et une fierté de disputer de nouveau cette compétition, surtout avec la nouvelle formule de l'UEFA. C'est aussi un enjeu d'ordre financier car disputer ces matchs, en gagner, est un apport non négligeable pour le club, surtout dans un contexte aussi compliqué.

"Lyon a récupéré de l'argent sur un joueur qui ne lui appartenait pas"

Vous sentez-vous soutenus, aidés par la Fifa?

La Fifa nous ignore. Elle ignore littéralement nos appels et sollicitations, notamment concernant les joueurs qui sont partis après l'invasion de la Russie, comme Tete à Lyon ou Manor Solomon à Tottenham: ils sont partis en prêt et ne sont pas revenus malgré leurs contrats, sans que le Shakhtar ne reçoive de compensation financière.

Vous êtes d'ailleurs lancés dans une procédure judiciaire contre l'Olympique lyonnais...

Oui et nous espérons avoir une réponse dans le mois. Rendez-vous compte: Tete était un joueur du Shakhtar, il est parti à Lyon en 2022 sous la forme d'un prêt mais son contrat était toujours chez nous. Et l'OL a récupéré de l'argent en envoyant notre joueur dans un autre club, en considérant que Tete était désormais leur joueur, sans concertation avec nous et surtout en s'attribuant les compensations financières. Lyon a donc récupéré de l'argent sur un joueur qui ne lui appartenait pas.

Que vous répond l'OL?

Nous avons essayé de discuter avec Lyon et j'ai été plusieurs fois en contact avec John Textor. Mais la nouvelle direction répond en disant que ces opérations dépendaient de l'ancienne direction... sans rien nous proposer en compensation. C'est pour cela que nous avons ouvert une procédure judiciaire. Nous n'avons pas eu ce problème avec le Real Madrid par exemple pour Vinicius Tobias: il a été possible de négocier avec les dirigeants madrilènes et Florentino Perez et nous sommes parvenus à trouver un terrain d'entente. Ce ne fut pas le cas avec l'OL.

Et comment la Fifa a réagi?

La Fifa ne nous a pas aidés. Nos demandes ont été laissées sans réponse alors que la situation n'était pas normale. La Fifa ne s'intéresse pas à nous et agit pour ses intérêts sans se préoccuper de notre situation ou de nos difficultés. Nous sommes obligés de nous débrouiller sans pouvoir compter sur la Fifa, qui a visiblement d'autres préoccupations.

"De Zerbi à l'OM? Je pense que c'est un bon choix"

Un mot concernant Roberto De Zerbi, qui va devenir le nouvel entraîneur de l'OM: quel souvenir gardez-vous de lui?

Un très bon souvenir. Il a fait pratiqué un jeu plaisant à l'équipe et c'est surtout un grand meneur d'hommes: il emmène tout le monde avec lui, tous les joueurs étaient derrière lui, adhéraient à son discours. Ce qui me fait dire que c'est un bon choix de la part de Marseille.

L'Ukraine vient d'être éliminée de la phase de poules de l'Euro dans un groupe un peu fou: est-ce tout de même une réussite?

Nous sommes évidemment tous déçus du scénario du groupe, de voir que d'autres équipes sont qualifiées avec moins de points que nous (quatre, quand le Danemark a terminé deuxième de son groupe avec trois points ndlr). Mais c'est ainsi, c'était un groupe très disputé. Nous sommes fiers, heureux de voir ce que l'équipe a produit durant ses deux derniers matchs, notamment cette victoire contre la Slovaquie.

C'est aussi assez symbolique de voir l'Ukraine disputer un tournoi comme l'Euro...

Oui c'est important de voir les Ukrainiens participer, de montrer que l'équipe est toujours là, pratique du beau jeu, gagne des matchs malgré les événements.

Dans quelques semaines, ce seront les Jeux olympiques de Paris 2024 et les athlètes ukrainiens seront présents pour participer aux épreuves. Là aussi c'est une fierté?

Nous sommes très heureux de la présence de l'Ukraine, de voir que des sportifs ukrainiens peuvent prendre part aux épreuves et faire de grandes choses malgré les difficultés. Oui c'est important, c'est aussi une façon de dire au monde qu'il ne faut pas oublier l'Ukraine.

En revanche le Comité international olympique n'a pas interdit la présence de sportifs russes et certains participeront sous bannière neutre. Est-ce une blessure pour vous, pour l'Ukraine?

Nous sommes contre la participation de la Russie à ces compétitions, quelles que soient les conditions. La Russie a déclenché une guerre contre l'Ukraine en envahissant le pays. C'est incompréhensible de voir des athlètes russes participer à de grands événements, même sans afficher le drapeau. Cela ne devrait pas être le cas.

Que pensez-vous de la posture de la France concernant la situation en Ukraine? Craignez-vous les élections législatives qui se déroulent les 30 juin et 7 juillet prochains?

La France est, depuis l'invasion russe, un vrai ami, un grand allié de l'Ukraine. Le président français a toujours été d'un grand soutien et nous aide beaucoup. Je ne pense pas que cela puisse changer avec les prochaines élections en France, quel que soit le résultat: les Français savent le danger que représente la Russie et l'importance de soutenir l'Ukraine. Je ne vois pas pourquoi cela changerait. Nous avons en tout cas besoin de la France et de l'Europe pour nous aider dans ce conflit.

Article original publié sur RMC Sport