Pour Fatou N’diaye, la discrimination capillaire envers les femmes noires est un problème bien réel

DISCRIMINATIONS - On peut aussi se faire discriminer à cause de sa coiffure. C’est le message que veut faire passer le député Olivier Serva (LIOT) avec sa proposition de loi concernant la discrimination capillaire. Un message qui prend en compte les personnes chauves, blondes et surtout celles aux cheveux non lisses.

D’après une étude américaine pour Dove et LinkedIn, deux tiers des femmes noires changent de coiffures avant un entretien d’embauche. Cette même étude révèle que leurs cheveux sont deux fois et demie plus susceptibles d’être considérés comme moins professionnels.

« Ce sujet n’a rien d’excentrique ou de corporatiste : il est universel. À l’image de la devise de la République, Liberté, Égalité, Fraternité’, nous entendons pouvoir permettre à chacun d’être qui il est, comme il l’entend, sans être discriminé, que ce soit au travail ou ailleurs », affirmait Olivier Serva au micro de FranceInfo le 27 avril dernier.

En France, les sondages et études ethniques ne sont pas autorisés, mais de nombreux témoignages dénonçant des cas de discriminations capillaires existent. Comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus, Le HuffPost a rencontré Fatou N’diaye (@blackbeautybag), créatrice de contenus depuis 2007, sur les réseaux sociaux et sur son blog, considéré comme le premier en France dédié à la beauté noire. Les cheveux sont l’un de ses sujets de prédilections et, à ses yeux, la discrimination capillaire est bel et bien réelle.

Des cheveux « difficiles » ? « À dompter » ?

« Durs », « difficiles », « indomptables »… Les cheveux crépus et frisés ont souvent été associés à des adjectifs péjoratifs par certaines marques de produits capillaires et la société. Pour Fatou N’diaye, le simple fait de parler de « cheveux texturés » est une manière de les mettre dans une autre case. « Pour les personnes caucasiennes, on va juste parler de cheveux », souligne-t-elle.

Selon elle, « quand on parle de beaux cheveux, c’est un cheveu qui est lisse, qui est blond, fin et qui vole dans le vent. Quand on n’a pas cette texture de cheveux on a l’impression qu’on ne fait pas partie de ce qu’on considère comme beau. »

La créatrice de contenus remarque aussi que les cheveux crépus et frisés sont très souvent associés à la saleté, la paresse et à la désinvolture. Des clichés qui peuvent avoir un impact dans le monde du travail.

« On a cru que j’étais en dépression »

C’est ce que Fatou N’diaye a pu directement constater, quand elle a arrêté de se lisser/défriser les cheveux en 2006. Une décision qui n’est pas passée inaperçue dans la boîte de pub où elle travaillait à l’époque. « Il y a eu beaucoup d’incompréhensions, se souvient-elle. On a cru que j’étais en dépression, que j’avais peut-être des problèmes financiers. […] On a même voulu m’intimider en me disant que je devais revenir avec les cheveux lisses parce que ça ne faisait pas très corporate. »

« Le cheveu c’est un peu comme le vêtement, on va vous juger par rapport à ce qu’on voit sur vous, poursuit-elle. Si le cheveu ne correspond pas aux standards de beauté européens, on estime qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans votre vie. »

Près d’une dizaine d’années plus tard, en 2017 la créatrice de contenus a été égérie pour une grande marque de cosmétique française. Sur le tournage d’une publicité, un coiffeur lui a demandé qu’elle se lisse les cheveux, ce qu’elle a refusé. « Il était un peu dubitatif, il m’a dit oui, mais bon comme c’est pour la télé, ça ne passera pas’. Je lui ai dit que c’était comme ça que mes cheveux étaient sur ma tête (...) l’afro, c’est ma coiffure préférée », se rappelle-t-elle.

Une discrimination qui affecte la santé mentale et physique

Selon Fatou N’diaye ce genre de discriminations a un impact direct sur l’estime de soi, « à force de dire à quelqu’un ’tes cheveux sont moches’, il emmagasine cette info et finit par se persuader que c’est vrai ». Ces personnes auront plus tendance à vouloir « effacer tout ce qui fait qui ils sont, pour ressembler à ce que la société considère comme étant beau ».

Des conséquences qui ne sont pas que psychologiques. D’après une étude américaine, publiée le 17 octobre 2022 dans le Journal of the National Cancer Institute, les produits défrisants augmentent les risques de cancer de l’utérus. L’étude a suivi près de 33 000 femmes sur 11 années.

« Parce que les femmes noires utilisent des produits de lissage ou de défrisage plus fréquemment et ont tendance à commencer plus jeunes (...), ces résultats pourraient être particulièrement intéressants pour elles », soulignait Che-Jung Chang, coauteure de ces travaux. Parmi les sondées, environ 60 % des femmes ayant utilisé des produits de défrisage dans l’année étaient noires.

Ces travaux ont aussi souligné une perturbation des mécanismes hormonaux. « Nous savons que ces produits de lissage contiennent de nombreux produits chimiques, dont des perturbateurs endocriniens, et on peut s’attendre a ce qu’ils aient un impact sur les cancers hormonodépendants », a expliqué à l’AFP Alexandra White, auteure principale des recherches. « L’inquiétude est que ces articles contiennent des produits chimiques qui pourraient agir comme l’œstrogène dans le corps », ajoutait-elle.

« Ce sont des produits nocifs (...) ils jouent sur le développement de beaucoup de filles au moment de l’adolescence, c’est pour ça qu’on déconseille de défriser les gamines », souligne Fatou N’diaye.

Les produits de défrisage pourraient favoriser l’absorption des produits chimiques via des lésions ou brûlures causées sur le cuir chevelu, ou par l’utilisation conjointe de fers à lisser dont la chaleur décompose les produits chimiques.

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