Fake news Brigitte Macron : qu'est-ce que Faits et Documents, la "lettre confidentielle" d'extrême droite à l'origine de la rumeur ?
Les rumeurs complotistes autour de la prétendue transexualité de Brigitte Macron agitent les réseaux sociaux, mais de quel média proviennent-elles ?
Pour mieux comprendre le sens et l'objectif d'une rumeur, il est toujours intéressant de se pencher sur son origine. Depuis plusieurs années, les fake news autour de la prétendue transexualité de Brigitte Macron sont ainsi l'un des thèmes favoris de la sphère complotiste, notamment en France.
Ces dernières semaines, les insinuations et autres théories fumeuses ont repris de plus belle après la diffusion massive d'une vidéo dans laquelle Candace Owens, célèbre polémiste américaine n'hésitant pas à afficher son soutien à Donald Trump, affirme que l'épouse du président de la République est née homme et a ensuite changé de sexe. Après un nouveau buzz sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron a d'ailleurs réagi lui-même à la rumeur le 8 mars dernier, dénonçant des "scénarios montés" par des "fadas".
Faits et Documents, une "lettre d'informations confidentielles"
Mais d'où provient donc cette histoire surréaliste selon laquelle Brigitte serait en réalité son frère, Jean-Michel Trogneux ? À l'origine, la rumeur a été lancée à l'automne 2021, par une jeune femme du nom de Natacha Rey, se définissant comme "journaliste indépendante", dans les colonnes de Faits et Documents, média qui se présente comme "une lettre d’informations confidentielles (...) qui traite essentiellement de l’actualité politique, économique et culturelle, française et internationale".
Si le terme renvoie désormais principalement (via sa traduction anglaise "newsletter") aux bulletins en ligne envoyés périodiquement aux personnes inscrites sur une liste de diffusion, la "lettre d'information" désigne à l'origine, plus généralement, un périodique d’information destiné à un public déterminé. C'est dans cette acception que s'inscrit Faits et Documents, qui était au départ une publication de presse et qui s'est ensuite étendue sur internet.
Fondée par un ancien de Minute et de Valeurs Actuelles
La création de Faits et Documents remonte à l'année 1996. Son initiateur est le journaliste Emmanuel Ratier. Se revendiquant clairement d'extrême droite, ce dernier avait notamment écrit pour les hebdomadaires Valeurs Actuelles et Minute dans les années précédentes. Avec Faits et Documents, il fonde donc son propre média, dont le nom provient d'une maison d'édition de la mouvance nationaliste qu'il dirigeait depuis 1990.
Cette dernière s'était notamment rendue célèbre pour avoir publié plusieurs ouvrages du mentor d'Emmanuel Ratier, le journaliste et écrivain antisémite Henry Coston. Le bimensuel Faits et Documents s'inscrit ainsi très rapidement dans la lignée thématique de l'éditeur du même nom, résolument complotiste. "Chaque numéro vous apporte des dizaines de révélations exclusives, des documents confidentiels, des portraits uniques en leur genre, des informations criblées de haute qualité sur la France", promet ainsi la note d'intention d'Emmanuel Ratier.
Débat d'idées entre un négationniste et le vice-président du FN
De fait, le bimensuel va principalement proposer à ses lecteurs des contenus ("enquêtes" et autres dossiers) à caractère antisémite et antimaçonnique, tout en ne revendiquant pas ouvertement cette ligne éditoriale passible de poursuites judiciaires. En 1999, Faits et Documents héberge par exemple un débat d'idées entre l'écrivain négationniste Robert Faurisson et le vice-président du Front National Bruno Gollnisch.
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Au fil des années, Faits et Documents se pérennise et s'installe parmi les publications populaires des réseaux d'extrême droite. "Elle est lue dans les ministères (plus de 170 exemplaires 'photoco-pillés' rien qu’au ministère de l’Intérieur…) comme par les sociétés d’intelligence économique", revendique même la note d'intention d'Emmanuel Ratier, bien que rien ne prouve cette affirmation.
Repris par des proches d'Alain Soral
En 2015, le décès soudain de son fondateur et auteur principal, Emmanuel Ratier, aurait pu mettre un coup d'arrêt à la parution de Faits et Documents, mais le bimensuel est sauvé par Arnaud Soyez, autre figure de l'extrême droite française qui exerçait depuis l'année précédente la fonction de directeur de production de la chaîne TV Libertés, web TV à forte tendance nationaliste. En 2017, Arnaud Soyez cède ensuite sa place à la tête de Faits et Documents à Xavier Poussard.
Proche de l'écrivain antisémite Alain Soral, ce jeune journaliste (né en 1988) devient donc le nouveau rédacteur en chef de la publication et va même s'investir encore plus personnellement. En 2018, Poussard entre ainsi au capital de la Société normande d’édition documentaire (Sned) qui édite le bimensuel, en compagnie d'un autre compagnon de route de Soral, Vincent Moysan.
Le rôle décisif joué par deux cadres du RN
Comme le précise Street Press, les parts de l'entreprise ont été mises en vente par la famille d'Emmanuel Ratier, à un prix particulièrement attractif (moins de 100 euros au total) et ont été rachetées en majorité par Emmanuelle Keruhel. Gérante d'une boutique de photocopie en Loire-Atlantique, cette dernière n'est encartée dans aucun parti politique, mais serait également une proche d'AIain Soral, selon le média indépendant.
Street Press ajoute d'ailleurs qu'à l'époque du rachat, les nouveaux propriétaires du titre ont reçu l'aide précieuse de deux cadres du Rassemblement National, Axel Loustau (conseiller régional Rassemblement National d’île de France) et Frédéric Châtillon (proche conseiller de Marine Le Pen et membre de son équipe de campagne en 2017, toujours très connecté au parti), afin de permettre à la structure de survivre. Depuis 2018, Xavier Poussard est en tout cas le seul maître à bord pour tout ce qui concerne l'éditorial.
Neuf numéros intégralement consacrés à Brigitte Macron depuis l'automne 2021
Comme Ratier avant lui, Poussard signe ainsi la plupart des articles de Faits et Documents. À l'automne 2021, c'est lui qui prend la décision de publier sous la forme d'un feuilleton les résultats de "l'enquête" menée par Natacha Rey sur la prétendue transexualité de l'épouse du président. Cinq numéros consécutifs seront ainsi consacrés au "mystère Brigitte Macron", puis encore deux autres au début de l'année 2022.
Pour continuer d'exploiter ce bon filon, qui lui a permis d'exploser en termes de notoriété, le bimensuel s'est même fendu d'un huitième épisode, paru à la toute fin de l'année 2023 dans le numéro 527, immédiatement suivi d'un numéro 528 qui propose cette fois en une de "Comprendre l’affaire Jean-Michel Trogneux". Au-delà des accointances de Faits et Documents avec l'extrême droite, difficile de ne pas voir dans cette récurrence le signe que la propagation des rumeurs farfelues autour de Brigitte Macron est devenue, pour cette publication, un gagne-pain plutôt rentable...