« On a fait un enfant entre amis et ce n’était pas un choix par dépit »
TÉMOIGNAGE - En 2020, j’avais 38 ans, un profond désir de parentalité, et beaucoup de questionnements. Je me disais souvent « si je n’ai pas de partenaire maintenant, ça va être difficile d’avoir un enfant ». C’est à ce moment que j’ai rencontré Alexis, dans le cadre du travail.
Lui aussi se sentait prêt à être père, et au gré de nos échanges, une amitié profonde s’est créée entre nous. Quelques mois plus tard, nous avons décidé de faire un enfant ensemble, en coparentalité : nous n’avons jamais été - et ne serons jamais - un couple amoureux, mais cela ne nous empêche pas d’être une famille.
Collègues, amis, puis coparents
Tout a commencé en tant que collègues. Il y avait une telle impression de facilité et de fluidité dans nos échanges, des points communs dans notre manière de voir le monde que petit à petit, nous sommes devenus amis. Durant des temps plus informels, nous avons échangé sur nos projets, nos déboires amoureux… Et leur influence sur notre désir de parentalité.
L’idée d’« horloge biologique » me trottait en tête et, malgré mon désir de maternité, j’étais presque en train de faire le deuil de la possibilité d’avoir des enfants. Alexis, quant à lui, se sentait prêt à être père et me parlait souvent des freins auquel il faisait face : accéder à la parentalité, en tant qu’homme gay et célibataire, ce sont d’autres types de portes fermées. Une coûteuse GPA à l’étranger ? L’attente d’une rencontre, sans connaître les projets de son partenaire potentiel ? L’adoption - mais est-il vraiment possible d’adopter quand on est un homme seul et homosexuel en France ?
« Si tu cherches quelqu’un avec qui faire un enfant, je suis là ! »
Par hasard, en riant, je lui ai dit « si tu cherches quelqu’un avec qui faire un enfant, je suis là ! ». Il m’a répondu merci par courtoisie, me pensant un peu folle de lui proposer ça alors que nous nous connaissions si peu. Les mois sont passés, et notre amitié s’est renforcée. Dans le même temps, avec une amie commune, nous avons créé une nouvelle habitude : celle de vivre ensemble les expériences que nous avions toujours attendu d’être en couple pour faire. Les week-ends ou les voyages, tester certains restaurants… Mais à ce stade, nous étions encore très loin de penser aux enfants.
Jusqu’à un soir où, en festival, Alexis s’est tourné vers moi et m’a dit : « Tu as raison, on va finir par faire un enfant ensemble. » Son annonce m’a choquée et je crois même que j’en ai pleuré.
Le point de départ de notre coparentalité
On a bu un verre, et on en a parlé un peu. Dans les jours qui ont suivi, je suis restée sur la réserve : j’étais habituée aux déclarations à la volée auxquelles les gens ne donnent pas de suite. Pour un choix aussi important, je voulais le laisser prendre son temps ! Finalement, deux semaines plus tard, Alexis m’a relancée. « Ce que je t’ai dit au festival, ce serait bien qu’on en reparle. »
Autour d’un verre, nous avons parlé de notre vision de la coparentalité, des valeurs que nous avions envie de transmettre. Et naturellement, tout se correspondait. Nos attachements à nos familles se ressemblaient, notre envie d’éduquer notre enfant dans la tolérance et de lui inculquer l’amour de la musique aussi. Dans la pratique, c’était pareil : nous n’envisagions pas de vivre dans deux endroits différents avec une garde alternée, nous voulions une vie semi-commune et faciliter au maximum les choses pour le bébé.
Nous imaginions une maison qu’on pourrait diviser en deux, avec la chambre de notre enfant au milieu et un espace indépendant chacun, de chaque côté. Comme à notre habitude, la conversation était fluide et c’est fou, mais pour l’un comme pour l’autre, faire ce projet ensemble était une évidence. Nous avons passé la nuit à en parler, et c’était un très beau moment. Nous avons décidé de commencer les essais quelques semaines plus tard, après les fêtes.
« Il y a des gens qui se marient avec moins de certitudes que nous »
Pour tester notre faculté à cohabiter, Alexis est venu vivre dans mon appartement, puis nous avons commencé les essais, par insémination artisanale. Une pipette, un petit pot, et c’est parti ! La gêne palpable à ce moment-là s’est vite transformée en rires.
Je suis tombée enceinte du deuxième coup. Bien sûr, nous avons eu quelques inquiétudes les premiers mois : la peur d’une fausse couche, ou d’un problème de santé éventuel chez notre enfant, par exemple. Mais nous n’avons jamais manqué de confiance l’un envers l’autre. J’étais certaine de ne pas vouloir d’autre père qu’Alexis pour cet enfant, et il ne voulait pas d’autre mère. Il y a des gens qui se marient avec moins de certitudes que nous.
La naissance de notre fille, Anaë
Quelques mois avant la naissance de notre fille, nous avons déménagé dans une maison, en colocation. Ce n’est pas exactement celle que nous imaginions, mais elle est suffisamment grande pour accueillir toute notre famille sans se marcher dessus. À l’étage, il y a d’un côté l’espace papa, de l’autre, l’espace maman, et la chambre d’Anaë au milieu. Côté finances, nous avons créé un compte commun pour partager nos charges, et quand nous faisons des gros achats, nous partageons les frais.
Alexis a été présent à chaque étape de la grossesse, des rendez-vous médicaux aux séances de préparation à l’accouchement. C’est lui qui a tout géré, en retenant les moindres détails, pendant que je me laissais porter. L’accouchement a été un très beau moment.
Quand nous sommes rentrés chez nous avec Anaë, les choses ont été une fois de plus très fluides. Nous avons dormi tous les trois les deux premières semaines, en alternant pour les biberons la nuit, puis Alexis a eu envie de retrouver son espace. Nous nous sommes adaptés un peu : pour qu’il prenne ses tours de biberon la nuit, l’appeler par téléphone ne suffisait pas à le réveiller, donc nous sommes passés aux talkies-walkies !
« Notre famille n’a rien d’un choix par dépit »
Aujourd’hui, notre fille va sur ses six mois et au fil de l’eau, nous nous sommes adaptés, toujours avec cette facilité qui est notre marque de fabrique. On fait du cododo au feeling, en fonction des horaires de chacun. Parfois, elle dort avec moi, parfois avec Alexis selon qui doit l’emmener chez la nounou, ou qui se lève le plus tôt.
Notre histoire, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre, celle qui nous a permis de se trouver en tant qu’amis, puis en tant que parents. Elle ne rentre peut-être pas dans le schéma classique des relations amoureuses qui mènent à la parentalité, mais au final, pourquoi est-ce que ce serait indispensable ? Notre famille n’a rien d’un choix par dépit. Il y a beaucoup d’amour entre nous, et pour notre fille. Nous sommes très fiers de notre chemin vers la parentalité, et nous sommes fiers des parents que nous sommes devenus ensemble : pour nous, cette vie de coparents, ça coulait de source, et c’est encore le cas.
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