Eurovision 2023: pourquoi les candidats (sauf La Zarra) font campagne en Europe avant le jour J

Coup de tonnerre à l'Eurovision. Samedi dernier à Amsterdam, un mois avant l'édition 2023, le 13 mai prochain à Liverpool, la candidate tricolore La Zarra a annulé une prestation dans la capitale hollandaise. Évoquant des "soucis personnels", elle a également fait faux bond au public londonien qui l'attendait le lendemain.

Dans les deux cas, la chanteuse québécoise était attendue pour interpréter Évidemment, le titre avec lequel elle défendra la France lors de la finale. Elle devait se produire aux côtés de dizaines d'autres candidats lors d'un concert promotionnel, face à un public composé de fans du télé-crochet international.

Deux apparitions avortées qui rappellent que contrairement à ce que pourrait penser le téléspectateur lambda, l'Eurovision ne se résume pas à une soirée, et commence bien avant le mois de mai pour les artistes.

"C'est une campagne électorale qui se passe pendant cinq mois avant l’Eurovision", se souviennent ainsi pour BFMTV.com Jean-Karl Lucas et Émilie Satt, les deux moitiés du duo Madame Monsieur.

Ceux qui ont défendu la France en 2018 avec leur titre Mercy racontent avoir "chanté (leur) chanson un peu partout en Europe pour la faire découvrir aux fans". Car c'est un véritable marathon d'allers-retours, de bains de foule, de prestations et d'interviews à travers le Vieux Continent qui attend chaque année les artistes choisis pour représenter leur pays. Avec un enjeu de taille: partir à la rencontre du public international et charmer les potentiels électeurs avant le jour-J.

Les "pré-fêtes", étape cruciale

Outre les émissions de télé et de radio auxquelles participent les artistes dans leur propre pays, l'essentiel de leur promotion internationale s'effectue lors d'événements appelés pre-parties. Ces courts festivals, indépendants de l'Eurovision, se déroulent chaque année aux quatre coins de l'Europe (et même au-delà) entre mars et avril. Très prisés des fans du concours, ils accueillent de nombreux chanteurs de l'édition concernée.

Certaines pre-parties sont devenues des rendez-vous incontournables: Eurovision in Concert à Amsterdam et la London Eurovision Party à Londres, les deux auxquelles La Zarra devait participer, mais aussi Israel Calling à Tel Aviv ou PrePartyES à Madrid.

"Assister à l'Eurovision est devenu tellement cher", regrette Benoît Blaszczyk, secrétaire d'Eurofans, l'association française des fans de l'Eurovision.

"Les pre-parties sont un ersatz: ceux qui ne peuvent pas aller à la finale peuvent y rencontrer les artistes et les voir sur scène."

Apparitions stratégiques

Elles permettent aussi aux chanteurs, qui s'y rendent accompagnés de leur délégation, de faire vivre leur chanson lors des mois qui précèdent le concours. En l'interprétant sur scène lors d'un concert groupé, en rencontrant les fans et la presse et en bénéficiant ainsi de retombées médiatiques internationales.

Un coup de projecteur intéressant, quand on sait que les règles du concours interdisent aux pays de voter pour leur propre représentant. Si les candidats veulent récolter des voix, ils doivent aller les chercher ailleurs:

"Les fans apprécient beaucoup que les artistes fassent le déplacement, prennent le temps de se présenter et passent du temps avec eux avant le concert", assure auprès de BFMTV.com Jakob Traxler, co-organisateur de la Barcelona Eurovision Party, lancée en 2022.

Pour le jeune homme de 27 ans, leur présence ou non lors de ces événements peut avoir un impact sur les résultats de l'élection. Il en veut pour preuve la participation de Loreen, la candidate suédoise, qui a participé à plusieurs pre-parties ces dernières semaines malgré une victoire que certains estiment déjà assurée. Superstar du concours - qu'elle a remporté une première fois en 2012 avec le tube international Euphoria - elle est favorite des bookmakers avec Tattoo, le titre qu'elle défendra cette année.

La Barcelona Eurovision Party, qui s'est tenue en mars dernier, proposait des billets entre 38 et 65 euros pour son édition 2023. Elle a accueilli plus d'une vingtaine d'artistes sur trois jours et revendique 5000 visiteurs "venus d'Espagne mais aussi d'Allemagne, de France, du Royaume-Uni, de Suisse et d'Italie".

Sans compter les 90.000 visionnages en direct sur YouTube grâce à la retransmission du concert en streaming et les 130.000 replays qui ont suivi en 48 heures. De quoi offrir aux artistes une belle exposition auprès des fans les plus investis dans le concours, et donc prompts à voter le jour-J.

"Tourbillon" médiatique, artistique... et politique

Ces déplacements "ont un côté un peu politique", ajoute le duo Madame Monsieur, qui avait joué le jeu des pre-parties en se produisant "à Amsterdam, Londres, Kiev, en Israël, au Portugal et en Espagne":

"Le chef de la délégation est là aussi pour parler aux autres chefs de délégation, pour essayer de créer un environnement autour de la chanson, qu’on en parle de plus en plus, convaincre les journalistes d'en parler..."

Ils se souviennent aussi d'avoir rencontré l'ambassadeur de France à Lisbonne: "C'est très fort, pour ça, l'Eurovision. Ça crée des ponts entre les langues, la curiosité d'un pays envers un autre."

"Notre attachée de presse nous avait dit que c'était l'un des tourbillons médiatiques les plus importants qui soient, que quel que soit le niveau de carrière on n'a jamais autant de promotion concentrée dans un laps de temps aussi court", se souvient Émilie Satt.

Tous les deux racontent une expérience "ahurissante", "énorme", faite de "fans hyper bienveillants" et de rencontres. Chaque prestation opère comme une répétition: "En termes de confiance et de maîtrise du métier, on apprend énormément". Mais ils évoquent également un rythme "physiquement épuisant" et une "pression de participer à un grand concours".

Bien placés par les bookmakers avant la finale, et malgré une promotion menée tambour battant, Madame Monsieur avait terminé 13e. Un score honorable mais éloigné de ce que la couverture médiatique laissait espérer. Ce qui selon Émilie Satt traduit un "décalage" entre les fans dévoués de l'Eurovision, qui suivent les évolutions du concours en amont, et les téléspectateurs de la finale qui attribuent les points.

"Être bon le jour-J peut suffire"

"C'est le téléspectateur lambda qui choisit", explique Benoît Blaszczyk. "Et souvent, ce téléspectateur découvre toutes les chansons ce soir-là. L'Italie le prouve: elle ne fait quasiment jamais de pre-parties et ça ne l'a pas empêchée de gagner en 2021 (avec le groupe Måneskin, NDLR)."

De quoi mettre en perspective l'impact de ces pre-parties. L'Eurovision rassemble approximativement 180 millions de téléspectateurs chaque année, selon le site Statista. Le nombre de votants n'est jamais révélé, mais difficile de croire que 5000 fans réunis lors d'une pre-party puissent faire le poids. Pour le spécialiste, les fans français qui redoutent les conséquences des annulations de La Zarra peuvent se rassurer:

"Ce qui s'est passé à Amsterdam peut lui faire mauvaise presse, mais ce n'est absolument pas préjudiciable", estime-t-il. "Être bon le jour-J peut suffire."

Deux soirées comptent désormais. Le 12 mai, l'ultime répétition, durant laquelle les jurys de professionnels de chaque pays attribueront leurs points qui comptent pour 50% de la note. Le lendemain, les téléspectateurs voteront à leur tour lors de la finale. Les votes seront dévoilés en fin de soirée.

Article original publié sur BFMTV.com