Europe : pourquoi les médecins vont mal
En Europe, de nombreux médecins généralistes se voient obligés d’accepter toujours plus de patients, récupérant la patientèle de leurs collègues partis en retraites, ou en burn-out, qui ne sont pas remplacés.
“L’impact ? Il est réel. C’est un renoncement et une perte de qualité des soins, et des prises en charge plus tardives” s'inquiète le Docteur Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil français de l’ordre des médecins.
Une surcharge de travail qui peut tuer ?
En France comme au Portugal (lien en anglais) plus d’une personne sur dix n'a pas de médecin traitant, ce qui ralentit les prises en charge et les envoi vers d’autres spécialistes.
“En 2022, nous avons eu une surmortalité en légère augmentation, qui n'était pas attendue après la pandémie. Certains diront que c’est dû à la grippe, ou au réchauffement climatique… Mais il y a quelque chose qui n’est pas mesuré, et qui est très complexe, qui est probablement une surmortalité évitable, à cause de prises en charge trop tardives”, explique le Docteur Mourgues.
Même constat en Espagne. Pour le Docteur Gabriel del Pozo Sosa, secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux espagnols, la qualité des soins est largement dégradée : “ce n’est pas parce qu’on ne veut pas prendre soin de nos patients. C’est parce que nous avons en moyenne huit minutes à leur accorder, et nous en voyons jusqu'à quatre-vingt [par jour]. A la fin, nous n’avons pas assez d’heures de sommeil pour pouvoir bien travailler.”
Il constate une augmentation des arrêts maladie chez les médecins à cause du surmenage au travail.
Pourquoi la profession peine-t-elle autant à recruter ?
Chaque pays possède ses spécificités concernant la formation des futurs médecins, ainsi que des salaires (lien en anglais) fixés.
Les médecins interrogés par Euronews font cependant les mêmes constats : les nouvelles générations sont découragées d’entreprendre de longues études pour des salaires trop bas à la clé.
“C’est en partie dû aux bourses étudiantes qui sont pratiquement gelées depuis 1999”, déplore le Dr Federico di Renzo, membre du Syndicat autonome des médecins italiens.
Au Portugal, les médecins généralistes ont fait grave début septembre 2023, dénonçant leurs salaires particulièrement bas au sein des pays de l’UE et de l’OCDE.
“_Un spécialiste qui travaille quarante heures par semaine gagne environ 1800 euros net [mensuels]. Il est impossible de louer une maison avec deux chambres pour moins de 1200 euros…_” , se lamente le Docteur Jorge Roque Cunha, du Syndicat indépendant des médecins portugais. Pour lui, la crise du logement portugaise ne leur permet plus de vivre décemment, malgré un salaire plus élevé que la moyenne.
Quelles solutions ?
“_Il faut rééquilibrer tout le système_” soupire le Docteur di Renzo, qui partage les constats amers de ses collègues européens. Pour lui, tout se joue du côté des chiffres : salaires, et surtout recrutements.
“Il faut investir dans la planification de la main d'œuvre dans les milieux de la santé”, martèle Sarada Das, secrétaire générale du Comité permanent des médecins européens.
Pour elle, il est inadmissible de s’habituer à voir des médecins faire des heures supplémentaires afin de combler le manque d’effectif.
“Si un pays se rend compte de ça à l'heure actuelle, cela veut dire qu’il est déjà en situation de pénurie de main-d'œuvre. Il appartient aux États de jauger la demande future en termes de soins, et de se demander : de quelle main d'œuvre aura-t-on besoin ; a-t-on besoin de former davantage ?”
Problème : il faut près de dix ans pour former un médecin généraliste, davantage pour des spécialistes.
Un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, publié le 14 septembre 2023, met en garde : ces problèmes de main d'œuvre dans le milieu de la santé sont une bombe à retardement en Europe, qui pourrait engendrer le pire si aucune action immédiate n’est entreprise.