“Les esprits sont empoisonnés” : chronique d’une radicalisation de la société russe

En 2014, depuis leurs confortables loges VIP, les dirigeants de la planète avaient pu voir Irina Rodnina, ancienne star médaillée du patin à glace, allumer la flamme olympique et donner le coup d’envoi des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi. La cérémonie d’ouverture baignait dans la rhétorique traditionnelle de “paix et tolérance”, et était censée servir de point culminant à la résurrection de la Russie, Vladimir Poutine ayant choisi le soft power pour éblouir le monde.

Dix ans plus tard, c’est de nouveau à Rodnina qu’a été confié le soin d’inaugurer un événement sportif hivernal. Cette fois, elle a tiré le coup de feu du départ tandis que des centaines de skieurs russes, interdits de compétition en Occident, formaient un gigantesque Z proguerre au début d’une épreuve de ski de fond qui a lieu chaque année en banlieue de Moscou.

Adversaire d’un Occident “satanique”

Ce contraste frappant est le reflet d’une décennie durant laquelle Poutine a annexé la Crimée, puis a déclenché, huit ans plus tard, le plus grand conflit que l’Europe ait connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et il a ouvert un deuxième front dans son propre pays, où il attise la ferveur nationaliste à l’aide d’un mélange de nostalgie tant pour le passé impérial de la Russie que pour l’époque soviétique. Se présentant comme l’unique garant de la souveraineté et des valeurs traditionnelles de la Russie, Poutine s’est fermement positionné en tant qu’adversaire de l’Occident, qu’il traite de “satanique”.

Alors que la guerre entre dans sa troisième année, le quotidien des Russes est refaçonné par leur président à un rythme sans précédent. Les enfants lisent des manuels d’histoire tout neufs qui défendent l’invasion russe de l’Ukraine et apprennent à manipuler des drones militaires. Les anciens combattants, souvent des repris de justice qui ont servi dans le tristement célèbre groupe paramilitaire Wagner, se rendent dans les écoles pour y prôner les “valeurs patriotiques”.

À Krasnodar, le 7 mars 2024. Vladimir Poutine pose avec des diplômées de l’école militaire supérieure d’aviation. . PHOTO MIKHAIL METZEL/AFP
À Krasnodar, le 7 mars 2024. Vladimir Poutine pose avec des diplômées de l’école militaire supérieure d’aviation. . PHOTO MIKHAIL METZEL/AFP

Dans les théâtres et les musées, autrefois au cœur d’une scène culturelle indépendante en effervescence, les spectacles et les expositions critiques sont limités, des artistes et des directeurs se retrouvent derrière les barreaux ou en exil. Certains musées proposent des expositions où sont exhibés les effets personnels de soldats ukrainiens tués au combat.

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