En Espagne, des élections législatives anticipées : les trois enjeux cruciaux du scrutin

Le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez et son adversaire du PP Alberto Núñez Feijóo avant un débat retransmis à la télévision, le 10 juillet.
Le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez et son adversaire du PP Alberto Núñez Feijóo avant un débat retransmis à la télévision, le 10 juillet.

ESPAGNE - La fin du match va-t-elle sonner pour le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, ancien basketteur amateur ? Le socialiste est en tout cas dans une position délicate dans les sondages, alors que se tiennent ce dimanche 23 juillet des élections législatives anticipées. Ce scrutin, convoqué par le chef du gouvernement au lendemain de la débâcle de la gauche aux élections locales du 28 mai, est scruté dans l’Europe tout entière.

D’abord parce qu’une victoire de la droite, donnée favorite, renforcerait la domination des partis conservateurs dans l’UE. Ensuite parce que ces élections pourraient ramener l’extrême droite au pouvoir à Madrid pour la première fois depuis la mort du dictateur Francisco Franco, il y a près d’un demi-siècle.

Le HuffPost fait le point sur les enjeux de ce scrutin.

  • Le Premier ministre et le « sanchisme » en mauvaise posture

Pedro Sanchez, au pouvoir depuis 2018, parle sans relâche de son bilan économique, qui, à l’échelle européenne, est plutôt bon : la croissance a atteint 5,5 % l’an dernier et l’Espagne est devenue en juin la première grande économie de l’UE où l’inflation est tombée sous la barre des 2 % (1,9 %). Mais la perception qu’ont les Espagnols de leur situation économique reste très négative, notamment parce que les prix du logement et de l’alimentation ont progressé – or ce sont ceux auxquels l’électorat « accorde le plus d’importance », selon l’économiste Omar Rachedi, interrogé par l’AFP.

Le Premier ministre, dont l’image est très mauvaise en dehors de la gauche, paie aussi certaines réformes portées par ses alliés de Podemos ayant eu un impact dévastateur dans l’opinion, comme une loi destinée à renforcer l’arsenal législatif contre les violences sexuelles mais qui a eu pour effet pervers d’entraîner des réductions de peines et des libérations anticipées de condamnés. Cela a facilité la campagne de ses opposants de droite du Parti populaire (PP), qui se résume à une formule choc : « Abolir le sanchisme », ce que le leader Alberto Núñez Feijóo a défini comme l’abolition de « toutes ces lois inspirées des minorités et qui portent atteinte aux majorités ».

Le leader du parti d’extrême droite Vox, Santiago Abascal, lors d’un discours à Palma de Majorque le 14 juillet.
Le leader du parti d’extrême droite Vox, Santiago Abascal, lors d’un discours à Palma de Majorque le 14 juillet.
  • L’extrême droite, faiseuse de roi ?

Pour se hisser au pouvoir à Madrid justement, Alberto Núñez Feijóo pourrait avoir besoin de soutien, aucun sondage ne lui accordant la majorité absolue de 176 députés. Et ce soutien pourrait venir de Vox, une formation d’extrême droite ultranationaliste et europhobe, formée en 2013 par des anciens du PP.

Vainqueur aux élections municipales et régionales de la fin mai, le PP s’est déjà allié à Vox pour diriger plusieurs communes et régions prises à la gauche. Et comme l’espérait Pedro Sánchez, le PP et son leader ne sont pas sortis indemnes de ces tractations, le parti d’extrême droite refusant de lâcher du lest sur ses priorités, qu’il s’agisse de son déni de l’existence de la « violence de genre », du retrait des drapeaux arc-en-ciel devant les institutions locales pendant le mois des fiertés, ou de la négation du changement climatique. Des positions extrêmes qui ne sont pas celles du PP, mais qui l’éclaboussent.

Alberto Núñez Feijóo a donc appelé les électeurs à lui accorder une majorité absolue, pour lui permettre de gouverner « en solitaire », sans dépendre de Vox.

De son côté, l’actuel Premier ministre socialiste a choisi de faire de l’extrême droite l’épouvantail de la campagne, affirmant que voter pour le PP reviendrait à faire entrer Vox au gouvernement et provoquerait un retour en arrière pour le pays. Son but est de dissuader l’électorat centriste de voter pour le PP, mais aussi mobiliser le demi-million d’électeurs de gauche qui sont restés chez eux le 28 mai.

Avec quel effet ? Un sondage partagé par le quotidien El País le 18 juillet créditait le PP de 34 % des voix contre 28 % pour les socialistes du PSOE. Vox et ses 13 % se disputent quant à eux la troisième place avec Sumar, la coalition de gauche radicale dirigée par la ministre du Travail Yolanda Díaz, dans laquelle s’est fondu Podemos depuis sa chute libre aux élections locales de mai.

La ministre du Travail et cheffe de la coalition Sumar Yolanda Díaz à Barcelone le 20 juillet.
La ministre du Travail et cheffe de la coalition Sumar Yolanda Díaz à Barcelone le 20 juillet.
  • Le test du vote par correspondance

Outre le nombre important des indécis, un autre facteur pourrait influer sur le résultat du scrutin : sa date, pour la première fois en plein été, avec plusieurs millions d’Espagnols en vacances qui devront voter par correspondance. 2,6 millions de personnes ont demandé à voter de la sorte, soit 6,9 % des 37,7 millions d’électeurs, un chiffre inédit.

Cette particularité nourrit l’idée d’une supposée manipulation, exploitée par la droite et l’extrême droite. Depuis le début de la campagne, l’opposition met en doute la capacité des services postaux à faire face à cet afflux, insinuant que des bulletins pourraient ne pas être comptabilisés à temps.

Selon Astrid Barrio, professeure de sciences politiques à l’Université de Valence, le principal « risque » serait une grande différence entre le nombre de gens inscrits pour voter par correspondance et ceux ayant effectivement voté. « Cela pourrait être interprété de manière tendancieuse comme une tentative de mécanisme de manipulation électorale » à des fins de désinformation, craint-elle.

Les observateurs internationaux accordent pourtant beaucoup de crédit au système électoral espagnol et aux règles du vote par correspondance, « considéré comme l’un des plus solides et des plus fiables qui existent », assure Joan Botella, politologue à l’Université autonome de Barcelone.

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