Notre envoyé spécieux à Bagdad

L’affaire était entendue. Le service d’information du Swaziland Broadcast and Information Service (SBIS) ne serait pas “le seul média au monde sans envoyé spécial en Irak”. Mais voilà : c’est tout juste si la station avait de quoi payer salaires et bandes d’enregistrement. Faute de moyens, c’est l’ingéniosité qui a pris le relais, et la rédaction a mis au point un stratagème pour placer un “correspondant” au coeur de l’Irak sans bourse délier et sans prendre le moindre risque : le présentateur Phesheya Dube n’aurait en fait pas même à quitter la capitale du pays, Mbabane. Dube transmettait par téléphone sa couverture au présentateur du JT, Moses Matsebula. “Celui-ci donnait l’impression que Dube intervenait bel et bien en direct du front. Or Phesheya glanait ses informations dans les articles de la presse étrangère et les dépêches d’agence que reçoit quotidiennement le SBIS”, a expliqué un journaliste qui était dans le secret.
Les médias locaux n’étaient pas dupes. Ils savaient pertinemment que Dube n’avait jamais quitté le Swaziland. Le “correspondant de guerre” ne prenait d’ailleurs aucune précaution particulière pour cacher son jeu. Après un “direct d’Irak”, il s’était rendu au Parlement. Les députés, un peu interloqués - ils avaient suivi son reportage le matin même -, l’avaient alors exhorté à ne pas repartir sur le terrain. A l’antenne, Matsebula s’inquiétait pour la sécurité de son collègue : “Et, surtout, soyez prudent et essayez de trouver une grotte pour vous mettre à l’abri des tirs de missiles”, lui recommandait-il - sans toutefois préciser où Dube pourrait bien trouver une grotte en plein centre de Bagdad ou dans les immenses plaines désertiques du sud de l’Irak. Personne ne semblait davantage s’étonner de voir Dube parcourir des distances considérables avec une facilité déconcertante. Mais les hommes politiques ont découvert la supercherie et mis fin à cette mascarade. Lors d’une séance parlementaire, le député Jojo Dlamini a interpellé le ministre de l’Information, Mntomzima Dlamini. “Comment se fait-il que l’on fait croire à tout le pays que cet homme est en Irak alors qu’il est ici, au Swaziland, et qu’il émet depuis un placard à balais ?” s’est-il insurgé. Le ministre a promis une enquête aux parlementaires, mais, entre-temps, un remaniement ministériel l’a propulsé à la tête du ministère de l’Education. Phesheya devait être prédestiné à ce rôle d’envoyé très spécial, puisqu’en swazi son prénom signifie “celui qui est à l’étranger”.

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