Les enfants ont aussi une vie privée et la respecter, c’est leur « apprendre le consentement »

Le HuffPost a demandé une psychologue pour enfants et adolescents de rappeler ce qu’est la vie privée d’un enfant ou d’un adolescent.
Israel Sebastian / Getty Images Le HuffPost a demandé une psychologue pour enfants et adolescents de rappeler ce qu’est la vie privée d’un enfant ou d’un adolescent.

ÉDUCATION - « Parents, l’autorité, c’est vous ! (...) Un adolescent est un mineur. Donc les parents ont le droit de fouiller dans le téléphone ou la chambre de leur enfant pour le protéger. » Ces propos, ceux de la secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté et de la Ville, Sabrina Agresti-Roubache sur Télématin ce 23 avril, ont fait réagir.

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Certains, notamment sur X, rappellent les textes de loi sur le sujet. L’article 16 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui garantit que « nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ».

Ou l’article 371-1 du Code civil, qui définit l’autorité parentale comme appartenant aux parents « jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, “sa vie privée” et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».

Au-delà des textes de loi, qu’en est-il du développement de l’enfant ? Le HuffPost a demandé à Catherine Verdier, psychologue et psychothérapeute pour enfants et adolescents, de définir les limites de ce que signifie la « vie privée » pour un enfant ou un adolescent et la place de cette notion dans sa construction.

Le HuffPost. Que signifie chez les enfants et les adolescents la notion de « vie privée » et comment la respecter en tant que parent ?

Catherine Verdier. Les enfants ont déjà un espace privé qui leur est dédié, c’est leur chambre. Privé, cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’ingérer ou y entrer, cela veut dire qu’on respecte son lieu. Et c’est la même chose pour l’espace psychique : on n’a pas à entrer ou violer cet espace-là sans l’accord de l’enfant.

Ça s’instaure tout petit. Pour cela, il faut le responsabiliser par rapport à sa chambre, lui demander de la ranger ou la ranger avec lui, lui apprendre à être autonome par rapport à cet espace-là. Ça permet d’avoir un petit œil sur la chambre, qu’on peut proposer par exemple de réaménager régulièrement. Mais que ces enfants aient le contrôle de leur chambre leur permet d’avoir le contrôle de leur personne. C’est un petit « moi », la chambre.

Il faut aussi respecter qu’ils aient leurs petits secrets, leurs journaux intimes, qui leur appartiennent et qui sont importants pour eux. À l’inverse, les parents n’aiment pas que l’enfant vienne fouiller dans leurs affaires. Ça marche dans les deux sens. Lire le journal intime de l’enfant ou ses conversations sur son portable avec ses amis, ce n’est pas une bonne idée. Sauf si on pense qu’il y a danger.

Quels sont les cas où l’on peut s’autoriser à fouiller leur chambre ou leur portable ?

Si on estime qu’il y a danger, qu’on a une inquiétude par rapport à une menace de suicide ou autre, quelque chose qu’on ne sent pas, qu’on a du mal à évaluer, alors on est autorisé en tant que parent à aller dans sa chambre ou son portable pour checker, vérifier, fouiller. C’est la seule justification valable.

Évidemment, on commence par demander à l’enfant et voir avec lui ce qui ne va pas. Mais lorsque l’on n’y parvient pas, que l’enfant se ferme, s’enferme dans sa chambre etc., surtout les ados, il faut y aller. Et si l’on ne trouve rien, on n’est pas obligé de dire à l’enfant qu’on est allé voir, pour éviter de briser la confiance. En revanche, si l’on trouve quelque chose, alors il faut en parler avec lui.

Pourquoi la notion de vie privée est-elle importante dans la construction de l’enfant et de l’adolescent ?

Il faut respecter la vie privée et l’intimité des enfants et des adolescents pour qu’ils apprennent la notion de consentement. Parce que, qu’est-ce qu’on leur apprend quand on viole leur intimité ? Que tout le monde est autorisé à entrer dans leur espace physique, personnel. Y compris plus tard, dans leur vie d’adulte, lors de leurs relations amoureuses, amicales, de travail.

Comment trouver l’équilibre en tant que parent, entre contrôle et confiance ?

Entre l’autoritarisme, la bienveillance que l’on met à toutes les sauces, c’est compliqué de se positionner en tant que parent. Il faut considérer que les enfants ont leur vie et que les parents ne sont pas obligés de tout savoir, de tout contrôler. Dans certaines crèches, les parents sont tenus au courant quasi heure par heure de ce que font les enfants, de ce qu’ils ont mangé etc. Et les enfants n’ont plus d’espace privé. C’est difficile pour les parents de lâcher, de ne pas avoir une caméra partout etc.

On parle de « parents hélicoptères », ceux qui sont omniprésents et contrôlent tout, soi-disant pour le bien-être de leur enfant, pour qu’il ne se fasse pas mal. Toutes les excuses sont bonnes, pour ces parents qui veulent le « meilleur pour leur enfant ». Mais il faut que ces parents s’interrogent sur ce qu’ils transmettent à leurs enfants, sur quelles valeurs ils veulent leur inculquer, s’ils veulent en faire des adultes autonomes, qui savent se débrouiller, qui ont confiance…

Comment établir un lien de confiance avec son enfant, afin de lâcher prise ?

Établir un lien de confiance et éviter de vouloir tout contrôler, cela passe par le dialogue. Il faut échanger, communiquer, et surtout montrer l’exemple afin qu’ils aient les outils pour cela : parler de ses émotions, raconter sa journée, mais pas seulement quand elle a été mauvaise, dire ce que l’on a fait. Il y a beaucoup d’enfants qui ne savent pas du tout ce que font leurs parents comme travail. C’est assez étonnant.

Ces échanges font que l’on a confiance en son enfant et réciproquement. C’est surtout l’enfant qui doit avoir confiance dans ses parents. Ce qui fait que s’il se sent en danger, ou autre, il pourra l’énoncer et le verbaliser.

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