Enemies to lovers, slow burn, fake dating… Quand les « tropes » chamboulent l’industrie du livre (et de BookTok)

LIVRE - « Hate to love », « second chance », « forced proximity »… Sur Instagram, le dernier roman de Morgane Moncomble, Un été pour te retrouver, n’est pas résumé par un scénario, mais par une série de mots-clés. Ce sont des « tropes », des éléments narratifs récurrents que l’on retrouve dans beaucoup de films et de livres, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo ci-dessus.

« Seasons », « Jamais plus »... Les livres de new romance cartonnent en France et prennent leur revanche

« C’est vrai que c’est plus facile de mettre un roman dans certaines catégories, on sait à quoi s’attendre », explique au HuffPost l’autrice de 28 ans, star de la new romance en France. Un été pour te retrouver, publié ce mercredi 19 juin, est le quatrième et dernier tome de sa saga à succès, Seasons. Comme tous les romans de la série, il a son propre univers : sa saison (l’été), sa couleur (le vert), et surtout, son lot de tropes.

« C’est un “second chance”, parce que ce sont deux personnages qui ont rompu et qui se retrouvent », ajoute Morgane Moncomble, décryptant le trope principal du roman. Les tropes n’ont pourtant rien de nouveau - pensez la méchante belle-mère dans les contes de fées, ou le héros tragique dans la mythologie grecque. Mais ce n’est que récemment que les maisons d’édition ont commencé à s’y intéresser, y voyant un redoutable outil de marketing.

L’industrie du livre s’empare des tropes

« On utilise les tropes depuis le début de TikTok, mais c’est très vieux, ça date de l’époque de la fanfiction », détaille au HuffPost Mélanie Lecamus, responsable relations libraires chez Hachette Romans. Avant TikTok, ce sont en effet des sites tels qu’Archive of Our Own ou Wattpad qui ont popularisé les tropes, les utilisant pour classifier les millions de fanfictions disponibles en ligne.

À partir de 2020, Hachette Romans remarque l’émergence de nouvelles lectrices, qui cherchent « leurs prochaines recommandations de lecture avec ces tropes ». Devenues adeptes de la lecture pendant le confinement, ces dernières ne font pas leur shopping sur Google mais sur TikTok, et les tropes deviennent alors des mots-clés très pratiques pour s’y retrouver parmi les innombrables vidéos de recommandations.

« On s’en est emparées car ça nous permet d’apparaître dans les recommandations avec nos propres titres », ajoute Mélanie Lecamus, évoquant les nombreux posts Instagram et TikTok d’Hachette Romans à ce sujet. « On doit parler avec le langage de nos lecteurs », abonde Cybelle. Assistante community manager chez Hugo Publishing, cette dernière a l’habitude de se mettre en scène sur les réseaux sociaux de la maison d’édition.

« Les différents tropes nous aident à parler de livres sur TikTok, parce qu’on a déjà des vidéos qui sont très courtes », précise-t-elle. « En moins de dix ou quinze secondes, ça permet de mettre en avant l’enjeu de nos romans ». Mais cette mise en avant des tropes ne se fait pas qu’à travers la communication : elle se fait aussi du côté des auteurs.

Une « tropification » excessive

« Quand j’ai envoyé mon pitch à mon éditrice, il y avait un document avec la liste des tropes et des thèmes abordés », se rappelle Morgane Moncomble. Une démarche que l’autrice n’avait pas eue à mettre en œuvre pour ses romans précédents. « Ce n’était pas un terme très connu », explique-t-elle à propos des tropes, « mais maintenant, on fait beaucoup de promo là-dessus ».

Un peu trop de promo, selon certains lecteurs. « Mon problème c’est l’utilisation des tropes comme outil commercial et narratif par l’auteur, je pense que ça appauvrit grandement la discussion littéraire », se plaint ainsi un internaute sur X, anciennement Twitter. « On doit vraiment se débarrasser de BookTok, c’est horrible », s’exclame un autre tweet vu plus de 12 millions de fois, citant une vidéo sur les tropes.

« Il y a une partie des lecteurs qui est agacée par cette “tropification” des romans », admet Mélanie Lecamus. « Parfois il y a clairement de l’abus », ajoute Charlotte Borel, responsable développement commercial chez Hachette Romans. Selon elle, l’utilisation excessive de tropes « peut donner des produits vraiment packagés. Normalement ça reste le fil blanc, mais autour de ça il doit y avoir de la matière ».

Un sentiment que partage Morgane Moncomble, qui a l’impression de souvent voir les mêmes tropes publiés, « notamment le “enemies to lovers”, parce qu’on sait que ça plaît ». « Je trouve ça dommage, parce qu’on se laisse plus surprendre », ajoute l’autrice, qui ne se prive pas d’utiliser des tropes moins populaires, comme celui de la mère célibataire dans le 3e tome de Seasons, pour ne pas se laisser « parasiter par l’attente des gens ».

Des livres basés sur les playlists musicales

Alors oui, à l’extrême, les tropes peuvent transformer les livres en véritables listes de courses. Mais elles ont aussi permis à un nouveau lectorat de trouver son bonheur sur TikTok. Et selon Leonie, TheBookLeo sur YouTube, pointer du doigt TikTok, c’est facile mais pas toujours justifié.

« Quand tu décris des livres avec des mots similaires, ils ont l’air de se ressembler, mais ils sont en réalité très différents », déclare la YouTubeuse, agacée par la panique des internautes face à la popularité de certains tropes. « Tous ces livres “enemies to lovers”, c’est juste une autre version des tendances qui rythment l’industrie du livre », ajoute-t-elle, évoquant les modes passées, comme la romance paranormale lancée par Twilight ou les romans dystopiques dans le sillage de Hunger Games.

De toute façon, face à la « tropification » les BookTokeurs sont déjà en train d’innover. Il existe désormais des recommandations de livres basées sur des playlists, ou même des ambiances. De quoi trouver sa prochaine lecture pour l’été, sans savoir exactement ce qu’il y a à l’intérieur.

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