Emmanuel Macron et le risque de la déception, un refrain entonné depuis son premier quinquennat

Emmanuel Macron (ici le 28 juin 2022), le président grand décevant ?
Emmanuel Macron (ici le 28 juin 2022), le président grand décevant ?

POLITIQUE - Décevant : se dit de quelqu’un qui déçoit, cause une désillusion, ne répond pas aux espoirs de quelqu’un. Se dit d’Emmanuel Macron ? Élu sur la promesse d’une Révolution politique, son livre programmatique en 2017, le chef de l’État jalonne sa présidence d’initiatives singulières, des Conventions citoyennes au Conseil national de la Refondation. Mais pour quel résultat ?

Six ans plus tard, les séquences se suivent et se ressemblent. D’abord, le président de la République propose à des Français, experts, citoyens, anciens ministres ou élus, de plancher sur un sujet et d’écouter leurs doléances, pour en faire une politique publique. Puis, les intéressés bûchent, proposent leurs solutions sous forme de rapport, de plan ou d’inventaire, que ce soit sur les questions climatiques, les enjeux liés au logement ou à la santé. Enfin, beaucoup se disent déçus du résultat et du passage par le tamis présidentiel.

Tel apparaît le théorème macroniste, en contradiction avec les ambitions de transformation affichée et répétée par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir. À l’approche du 14 juillet qui referme la période de « 100 jours d’apaisement » qu’il avait promis, le président de la République risque d’être tenté de dégainer un énième « outil », une nouvelle « méthode », pour sortir de la crise liée aux émeutes dans les quartiers populaires. Le risque : attiser des ressentiments qui lui sont déjà revenus comme un boomerang.

De l’humiliation de Borloo sur les banlieues…

Jean-Louis Borloo en sait quelque chose. Au printemps 2018, l’ancien ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy présente le rapport qu’Emmanuel Macron lui a demandé sur les banlieues, fruit de huit mois de travail. Point notable : les propositions du centriste approchent le quasi-consensus, son travail - 164 pages, 19 programmes - est salué par de nombreux responsables, de droite comme de gauche.

François Baroin, le patron des maires de France à l’époque « soutient pleinement » un rapport qui « contient d’excellentes choses. » Très enthousiaste, le maire communiste de Grigny (Essonne), Philippe Rio appelle Emmanuel Macron à « tout reprendre, la totalité des recommandations. » Pour ne citer qu’eux.

Patatras, le chef de l’État finit par récuser le rapport. Il explique, à l’Élysée, que « deux mâles blancs » ne peuvent comprendre les solutions pour les quartiers défavorisés, devant un parterre d’acteurs du dossier médusés. Une phrase, synonyme d’abandon en rase campagne, qui revient immanquablement dans le débat aujourd’hui après les émeutes dans les quartiers populaires inédites dans leur vigueur et leur étendue géographique.

À l’époque, Jean-Louis Borloo avait encaissé cette humiliation publique… Avant d’éreinter le chef de l’État quelques jours plus tard en critiquant sa conception de la politique propice à la séparation des « nouilles » avec le « gratin. » En d’autres termes, la désunion sociale.

... À la « colère » de Bédague sur le logement

Cinq ans plus tard, les mots sont différents… Mais son émettrice les rend tout aussi cinglant : Véronique Bédague expose son amertume sur le plateau de Quotidien le mardi 6 juin. L’ancienne directrice de cabinet de Manuel Valls, chargée par Emmanuel Macron de copiloter le CNR sur le logement (le conseil national de la refondation) comme présidente de Nexity, se dit « maussade », « grognon » et « peut-être même en colère » au lendemain des conclusions rendues par la cheffe du gouvernement.

« Ce sont des petites mesures qui ne vont pas débloquer les problèmes du logement (...) la crise extrêmement violente », explique celle qui, un an plus tôt, faisait partie de la courte liste des premières ministrables crédibles, avec Élisabeth Borne et Catherine Vautrin. À ses côtés sur TMC, Christophe Robert, le patron de la Fondation abbé Pierre, enfonce le clou.

« Le président de la République nous a dit qu’il voulait changer de mode de gouvernance, c’était sa campagne de 2022. Si on nous propose de coanimer le CNR Logement, c’est pour avoir des résultats, pour qu’il y ait une grande ambition, pas pour qu’il y ait des mesurettes », fulmine-t-il, manifestement agacé par la traduction politique décevante à ses yeux de ce travail de 7 mois pour lequel « tous les acteurs étaient alignés. »

« Depuis le 1er quinquennat, rien n’a changé. (...) Il reste convaincu que les corps intermédiaires ne servent à rien »
Un participant au CNR Santé

Toute ressemblance avec un événement passé peut-elle ainsi paraître fortuite ? Pas vraiment, à en croire certains de ces acteurs qui participent aux travaux demandés par le président. « Depuis le 1er quinquennat, rien n’a changé et depuis le second n’en déplaise à sa promesse de changer de méthode, il reste convaincu que les corps intermédiaires ne servent à rien », analyse l’un des participants de poids au CNR sur la Santé auprès du HuffPost.

Entre-temps, les griefs et les déceptions se sont accumulés au fil des initiatives présidentielles. Il faut dire qu’elles sont nombreuses. En ce sens, le devenir des cahiers de doléances, lancés après la fronde des gilets jaunes, est assez éclairant. Le président de la République décide, en 2018, de proposer aux Français de s’exprimer en mairie ou en préfecture, par écrit, pour prendre le pouls des réformes à venir. Ils sont très nombreux à y croire et à se prêter au jeu.

De quoi déboucher sur un grand projet ? Une loi ? Une consultation ? Ou ne serait-ce qu’un rapport gouvernemental ? Rien. Bien malin celui qui sait ce qu’il a été fait de ces 16 337 contributions (récoltés dans 10 000 mairies différentes). Au contraire, nombreux sont ceux qui déplorent l’opacité autour de ces documents, morceau d’histoire contemporain très difficile à obtenir, comme vous pourrez le voir dans la vidéo ci-dessous.

La parole des citoyens oubliée

Au printemps dernier, un collectif de chercheur s’est même fait le relais des revendications de l’association « rendez les doléances » dans une tribune publiée dans les colonnes du Monde. Tout en saluant la multiplication des « initiatives portant la démocratie délibérative comme modèle », ces universitaires regrettent qu’elles « perdent malheureusement de leur substance puisque la parole donnée par les citoyens n’est finalement pas écoutée. »

Au rayon des promesses déçues, il est un autre moment marquant dans la présidence Macron : la Convention citoyenne pour le Climat. Le président de la République installe 150 Français tirés au sort en octobre 2019, après le « grand débat » et leur demande de plancher sur des mesures structurantes « pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à diminuer d’ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre de la France d’au moins 40 %. » Il assure alors qu’il reprendra leurs propositions « sans filtre » .

L’initiative, appréciée par les principaux concernés, les défenseurs de la démocratie participative, et une large part de la classe politique débouche sur une centaine de propositions et une vive amertume. Les participants reprochent à l’exécutif d’avoir raboté l’essentiel de leurs idées et affichent leur mécontentement en attribuant au chef de l’État la note de 3,3 sur 10 à l’issue de la séquence. Rude… Pour lui, et sa crédibilité politique.

Quatre ans, et de nouvelles crises plus tard, il n’est sans doute pas étonnant de voir que 76 % des Français jugent Emmanuel Macron incapable de trouver les réponses adéquates à l’embrasement des banlieues. Un chiffre mesuré au début du mois par YouGov pour Le HuffPost, délicat à appréhender pour le chef de l’État à l’orée de ses quatre dernières années de mandat. La déception laisse toujours des traces.

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