Emmanuel Macron hué en Alsace ou l’impossibilité de tourner la page des retraites

Emmanuel Macron lors de sa visite de l’usine Mathis à Muttersholtz mercredi 19 avril.
Emmanuel Macron lors de sa visite de l’usine Mathis à Muttersholtz mercredi 19 avril.

POLITIQUE - « Très résilient, mais aussi très fissile ». Telles sont les caractéristiques de l’épicéa, cette essence dont a été fait le pupitre de fortune d’où s’est exprimé Emmanuel Macron, ce mercredi 19 avril, à l’usine Mathis, à Muttersholtz (Bas-Rhin). Des propriétés que ne renierait pas le chef de l’État, mis à l’épreuve dans l’interminable dossier des retraites et venu sur place pour fendre l’armure dans l’espoir de tourner la page.

Objectif du déplacement : la mise à l’honneur de la valeur travail dans cette entreprise spécialisée dans les constructions en bois, « symbole de la croissance écologique ». L’occasion également de donner corps à l’objectif de « réindustrialisation » évoquée lors son allocution du lundi 17 avril. De quoi, enfin, passer à autre chose ? Pas vraiment.

Emmanuel Macron a rapidement été rattrapé par la contestation. Aux alentours du site qui a bénéficié du plan France 2030, des grappes de manifestants faisaient déjà tinter les casseroles depuis le petit matin. Comme la veille, en Seine-Saint-Denis.

« On n’est plus en démocratie »

Un bruit de fond qui devient habituel pour le chef de l’État, malgré les efforts déployés pour tenir à distance les opposants du convoi présidentiel. Gilet orange de la CFDT sur les épaules et cheveux grisonnants, une fonctionnaire de l’Éducation nationale ne décolérait pas d’être ainsi « bousculée » sur plus de 300 mètres par les gendarmes au moment de l’arrivée des journalistes. « Ils nous poussent, comme ça Macron ne voit pas notre vacarme. S’il avait du courage, il viendrait nous voir. C’est une honte, on n’est plus en démocratie », déplorait-elle. À l’intérieur de l’usine, tout avait logiquement été verrouillé. Impossible de discuter longuement avec un employé croisé au hasard.

« Je ne peux pas parler, mais ma tête en dit long, non ? », soupirait un ouvrier en levant les yeux au ciel. Dans l’enceinte de l’usine, le chef de l’État n’est pas pour autant protégé des contestations extérieures. À son arrivée dans l’entrepôt, la lumière s’éteint. La CGT locale revendique le coup. Dans la délégation officielle, le député insoumis de l’Alsace accompagne Emmanuel Macron, avec un bâillon 49-3 sur la bouche. Un coup de communication qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux.

Alors que la presse est tenue à distance derrière un ruban, le président de la République ne peut s’empêcher de s’arrêter pour saluer les journalistes, qui le mitraillent de questions. Emmanuel Macron bombe le torse. Les propos de Pierre Rosanvallon au sujet de la crise traversée par la Ve République ? Un intellectuel devenu « militant ». Le brouhaha qui accompagne ses déplacements ? « Ce ne sont pas des casseroles qui font avancer la France ».

Au milieu des machines de menuiserie, Emmanuel Macron oppose les manifestants aux travailleurs qui font tourner cette usine « exemplaire », et donne ainsi l’impression d’avoir réduit ses ambitions d’apaisement à des éléments de langage. À 15h37, le convoi présidentiel quitte les lieux, toujours sous le bruit des casseroles et des sifflets. Déjeuner compris et bière avalée, Emmanuel Macron est resté deux heures sur place.

« ADN politique »

Direction Sélestat, à six kilomètres de Mathis. La petite ville alsacienne de 19 000 habitants lui a réservé un accueil particulièrement hostile. À son arrivée, Emmanuel Macron est rudement chahuté. Les « Macron démission » pleuvent, mais le locataire de l’Élysée ne refuse le combat. Après quinze petites minutes, le chef de l’État s’engouffre dans la mairie. Les images sont désastreuses. Présent sur la place d’Armes jouxtant l’Hôtel de Ville depuis plus de trois heures, un couple de retraités acquis au chef de l’État exprime autant son agacement que sa frustration.

« On n’a même pas pu lui parler à cause du bruit », déplorent-ils en chœur, alors que le centre de la commune et ses maisons traditionnelles, sont quadrillés par les forces de l’ordre. « Ceux qui crient n’ont jamais travaillé de leur vie, et on sait qui les manipule », poursuivent-ils, reprenant la rhétorique « des extrêmes » martelée par la Macronie depuis des jours.

Devant la presse, son entourage relativise le caractère négatif de la séquence. « Cette scène-là était attendue et annoncée. Est-ce que ça a empêché d’aller au contact ? Non », démine un conseiller, qui insiste : « Il est comme ça, c’est son ADN politique, c’est quelqu’un qui est toujours allé au contact. Ce ne sont pas les manifestants qui vont l’arrêter ».

Un récit que le chef de l’État va reprendre à son compte, en assurant lui-même le service après-vente auprès des journalistes, après une interview donnée au groupe Ebra à paraître le lendemain. « Cette colère s’exprime, je ne m’attendais pas à autre chose mais elle ne m’empêchera pas de continuer à me déplacer », assure le président de la République, avant de filer une métaphore météorologique en promettant qu’il poursuivra son action « par beau temps, ou par temps de pluie, qu’il neige, ou qu’il vente ».

Ce mercredi, le ciel gris était particulièrement bas dans l’Est. Attendu ce jeudi à Ganges dans l’Hérault, le temps sera plus clément, avec 22 degrés dans l’après-midi. Un climat qui ne réussit pas vraiment à l’épicéa. Mais qui semble davantage propice au printemps social.

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