Émilie Tran Nguyen : "J'étais amoureuse de lui et il m’a dit : ‘Je n’aime pas les marrons’"

Bien connue des téléspectateurs, Émilie Tran Nguyen est une journaliste française d’origine vietnamienne. Des journaux de France 3 aux magazines Pièces à conviction, C l'hebdo ou C à vous, en passant par la matinale de France Info, elle est l'une des voix féminines emblématiques du service public audiovisuel. Pour Yahoo, face à Manu Katché, la jeune femme de 39 ans a accepté de se livrer sur ses origines, revenant notamment sur les petites railleries dont elle a été victime lorsqu’elle était enfant.

Légende de la batterie et juré emblématique de "Nouvelle Star", Manu Katché joue avec les plus grands (Sting, Peter Gabriel, Jonasz, Cabrel, Youssou N'dour, Souchon, etc.). Pour Yahoo, et en exclusivité dans la "Face Katché", il a voulu partir à la rencontre de personnalités issues de la diversité, célèbres ou anonymes. Leurs histoires, bouleversantes, inspirantes, leurs parcours de vie : ils se livrent au plus célèbre batteur de France.

“Tous les Asiatiques mangent des chiens, des chats, du riz” ; “Tous les asiatiques sont des travailleurs acharnés” ; "bol de riz" ; "chinetoque" ou encore "face de citron". Ce sont des clichés ou des petits mots qui peuvent avoir de grandes répercussions sur la vie d’une personne. Ce racisme, Émilie Tran Nguyen en a été victime. Née d’un père vietnamien et d’une mère algérienne, la journaliste de France Télévisions est revenue pour Yahoo, dans l’émission "La Face Katché", sur ses origines dont elle est fière mais aussi sur ces stéréotypes qui collent à la peau des Français d’origine asiatique.

Dès le plus jeune âge, Émilie Tran Nguyen se sent différente des autres. Amoureuse d’un garçon en CP, prénommé Damien, la jeune fille explique avoir pris un jour son courage à deux mains pour lui faire part de ses sentiments. Mais malheureusement, la réponse de ce garçon n’est pas celle espérée. "Je n’aime pas les marrons", lui dit-il la laissant pleine de questionnements.

“À partir de ce moment, je n’ai plus jamais abordé un copain, je n’avais plus envie que l’on me renvoie à une différence”, explique-t-elle en faisant référence à sa couleur de peau. Une différence qui la surprend mais dont elle avait finalement conscience depuis longtemps. "Je me rappelle avoir demandé au père Noël une poupée marron. J’en avais marre des poupées blanches. Je n’arrivais pas à m’identifier. Et lorsque je l’ai reçue, j’ai adoré et je pouvais enfin jouer à la maman comme tout le monde”. Dans la cour de récréation, Émilie n’en a que faire des moqueries sur ses origines. ”Je le prends vraiment pas mal à l’époque. J’en rigole, ça engage plutôt la conversation et la curiosité".

“J'ai appris à 14 ans que ma mère était d'origine algérienne"

Née à Marseille d’un père vietnamien et d’une mère algérienne, la jeune femme grandit à Clermont-Ferrand où ses parents tiennent un restaurant asiatique, Le Pousse-Pousse. Pour autant, à la maison, "il avait beaucoup de mixité et pas de religion", raconte celle qui se définit comme "une enfant des colonies", avant d'avouer n'avoir appris les origines algériennes de sa mère qu'à l'âge de 14 ans.

À Clermont-Ferrand, la jeune femme suit des études de commerce. Élevée dans un climat sain et aimant, elle prend rapidement conscience de l’importance des études. “L’école, c’était capitale. J’ai beaucoup aimé y aller. Mes parents ont su m’expliquer qu’il fallait bien travailler pour y arriver”, explique-t-elle tout en se rappelant certaines frustrations ressenties à cette période. "Avec les autres, je sentais parfois que je n’avais pas le même niveau social, je n’avais pas des fringues de marques par exemple". Mais ses objectifs de carrière prennent le dessus sur toutes ces futilités.

Prise de passion par le journalisme, la jeune femme entre en alternance chez France Télévisions et devient en 2016, à force de travail, le visage du 12/13 de France 3. Après sept ans de bons et loyaux services, elle raccroche et se retrouve sur France Info. "Les filles à la télévision étaient rarement mates de peau, brunes. J’ai fait de cette différence-là un atout", explique-t-elle tout en rappelant l’importance de s’ouvrir au monde. “On s’enferme dans des boîtes lorsque l’on s’autodétermine. Je me fais violence pour sortir de ce carcan-là et pour m’en libérer”. Un objectif qu’elle atteint quotidiennement grâce au journalisme. "Le métier de journaliste fait partie de mon bien-être. Il m’aide à combattre cette réserve, cette timidité et tout le poids de l’histoire et de la culture que je porte en moi".

À l’origine du documentaire "Je ne suis pas chinetoque", Émilie explique avoir ressenti le besoin de se reconnecter à ses origines en voyageant également en Algérie. "C'était important pour moi d'y aller. J'ai comme voulu faire un rattrapage." "J’en avais besoin et ça m’a permis d’être l’adulte que je suis aujourd’hui. C’est comme si la balance s’était rééquilibrée". Une période pendant laquelle elle s’est complètement immergée dans cette culture dont elle ignorait les fondements. "J’ai voulu apprendre le Coran. Ça a été très important, d’ailleurs je ne voulais plus partir. Mais en fait, je suis avant tout française". Aujourd’hui mère de deux enfants, Émilie souhaiterait leur inculquer leur histoire, leurs origines. "Je souhaite que ce soit fluide, ouvert, sans tabou. Je veux qu’ils sachent d’où ils viennent. D’ailleurs je suis allée pour la première fois au Vietnam avec eux cette année".