Elections au Mexique: ces Mexicains qui fuient la barbarie des cartels vers les Etats-Unis

Un migrant mexicain déplacé par la violence, qui ne souhaite pas être identifié, montre sur ses poignets les traces des cordes utilisées par ses ravisseurs il y a six mois, à Tijuana dans le nord-ouest du Mexique à la frontière des Etats-Unis le 16 mai 2024. Des milliers de Mexicains fuient la violence des cartels et espérent se réfugier aux Etats-Unis, malgré la relative stabilité politique et économique du Mexique. (Guillermo Arias)

Fuyant la barbarie des cartels, qui menacent de les recruter de force ou de réduire leurs enfants en esclavage, des milliers de Mexicains affluent aux portes des Etats-Unis, malgré la relative stabilité de leur pays à la veille des méga-élections du 2 juin.

A Tijuana, le poste frontalier le plus fréquenté au monde, ces déplacés de l'intérieur patientent dans des centres d'accueil pour migrants, se heurtant aux politiques migratoires américaines restrictives.

Leurs histoires jettent une ombre sur le bilan du président de gauche sortant Andres Manuel Lopez Obrador, qui a maintenu une relative stabilité politique et économique sans enrayer la barbarie des barons de la drogue.

"Tous les habitants du village partent pour fuir la même chose : on séquestre leurs enfants, leur fille, pour de l'argent", raconte à l'AFP Juan (prénom changé), 37 ans, victime de la violence d'un gang connu sous le nom des "Tlacos" dans son état du Guerrero (sud).

- Menacé -

Le capo, "Señor 21", "m'a dit qu'il allait enlever mes enfants si je ne travaillais pas pour lui", dit ce père de deux filles de 14 et 17 ans et d'un fils de 13 ans.

"Señor 21" menaçait de soumettre le garçon à un "entraînement", un recrutement forcé. "Les deux filles, il les voulait pour lui".

Juan a dû travailler comme cuisinier pour "Señor 21", et filmer des massacres de membres d'un gang rival, la Familia Michoacana.

"Ils tuaient tout le monde, ils empilaient les corps, ils les brûlaient, et ils me demandaient de filmer pour envoyer la vidéo aux membres de la +Familia+, comme pour se moquer d'eux", détaille Juan, d'une voix basse et les larmes aux yeux. L'AFP a pu consulter une de ces vidéos.

Pris en otage pendant 15 jours, Juan s'est enfui du Guerrero lors d'une sorte de permission accordée par ses ravisseurs, avec sa grand-mère, sa femme, et les trois enfants.

- "En danger" -

Elena (prénom changé à sa demande) est la mère de deux filles, dont une adolescente au doux visage encadré par des cheveux noirs.

"Elle plaisait à un gamin de la mafia. Lors d'une fête, il l'a regardée et dit : elle doit m'appartenir", se souvient cette femme de 39 ans, également originaire du Guerrero. "Ils allaient venir la chercher jusqu'à chez moi et donc j'ai pris les devants et je suis partie".

Elena a pris la route le 30 avril, avec sa mère et ses deux filles de 16 ans et six ans.

Elle n'a jamais prévenu les autorités de son village, Acapetlahuaya, assurant qu'elles sont "achetées" par les criminels, et qu'une dénonciation équivaut à un arrêt de mort.

"Je veux que le gouvernement (américain) me donne l'asile pour être à l'abri de la criminalité", affirme Elena, expulsée des Etats-Unis en 2018.

- "J'ai peur" -

Pedro, 18 ans, a quitté Iguala, toujours dans l'état du Guerrero. "Les cartels se disputaient le village", se souvient-il. "Ils laissaient des morts dans les rues derrière eux presque tous les jours".

Il se promenait avec un ami quand ils ont été "enlevés" par des hommes armés à bord de deux voitures.

Frappé à la tête et aux pieds, sous la menace d'une machette, Pedro (prénom changé) s'est retrouvé en compagnie d'une vingtaine d'autres jeunes réduits en esclavage pour cultiver des "parcelles de drogue" (le Guerrero produit des coquelicots et de la marijuana).

"Ils nous attachaient pour ne pas que nous nous échappions" raconte-t-il. "Toute la nuit, jusqu'à ce que nous allions travailler".

Au bout de six mois, le jeune garçon a trompé la vigilance de ses ravisseurs et s'est mis à courir pratiquement quatre jours à travers la montagne jusqu'à Iguala.

Le tout jeune adulte est arrivé à Tijuana il y a un mois et cherche refuge aux Etats-Unis, chez des proches en Floride : "Je veux sortir de ce pays parce que j'ai peur".

- Protection -

Près de 40 millions de Mexicains ou de personnes d'origine mexicaine vivent aux Etats-Unis, d'après les estimations.

Les arrestations de migrants clandestins côté américain ont battu un record de 2,4 millions en 2023. Un tiers portait sur des Mexicains (740.166), devant les ressortissants du Venezuela, du Guatemala et du Honduras, d'après l'Organisation internationale des migrations (OIM).

Entre 70 et 85% des migrants qui trouvent refuge dans les centres d'accueil de Tijuana sont mexicains, confirme les gérants de deux centres d'accueil rencontrés par l'AFP.

Sans espoir de retourner chez eux, bien des déplacés de l'intérieur se heurtent à l'inflexibilité des autorités américaines.

La première demande d'asile de Juan a été rejetée. "Pourvu qu'ils me la donnent pour mes enfants. Je veux qu'ils vivent dans un endroit plus sûr, qu'ils ne grandissent pas comme ceux qui doivent se battre et souffrir".

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