"Economie de guerre" : que signifie vraiment l'expression employée par Emmanuel Macron ?

Le président français répète qu'il veut faire passer le pays en "économie de guerre" pour aider l'Ukraine, mais à quoi renvoie réellement cette formule ?

Emmanuel Macron a inauguré ce jeudi 11 avril le chantier d'une usine de production de poudre (Photo : Ludovic MARIN / POOL / AFP)

Simple élément de langage ou véritable tournant politique ? Depuis le début de l'année 2024, le président de la République Emmanuel Macron a affirmé à plusieurs reprises sa volonté de faire passer la France en "économie de guerre", afin de prêter main forte à l'Ukraine face à la Russie, mais aussi plus généralement de répondre à un contexte international de plus en plus incertain.

Ce jeudi 11 avril, le chef de l'État s'est même fendu d'une opération de communication particulièrement éloquente, en allant poser la première pierre d’un nouveau site de production de poudre explosive en Dordogne. À l'occasion de ce déplacement, Emmanuel Macron s'est félicité de cet exemple de relocalisation de la production d'équipement militaire, censé illustrer le concept d'économie de guerre.

Un terme apparu pendant la Première Guerre mondiale

On peut toutefois s'interroger sur le sens réel de cette expression. Alternatives Economiques définit ainsi l'économie de guerre comme un "type d'économie dans laquelle les besoins de la guerre sont satisfaits prioritairement, par prélèvement autoritaire (réquisition, livraisons obligatoires...). Dans une économie de ce type, le pouvoir d'achat effectif de la population est forcément bas, puisque l'appareil de guerre ponctionne largement la production".

Comme l'explique l'économiste Eric Monnet dans une tribune publiée dans Le Monde, le terme a été "forgé au cours de la Première Guerre mondiale" pour décrire la réorientation brutale des moyens de production en direction de l'appareil militaire, en France comme dans d'autres pays. Ainsi, rappelle Eric Monnet, "l’économie de guerre ne prenait sens qu’en opposition à l’économie de paix, alors identifiée à l’économie libérale".

"On sort d'une économie de marché traditionnelle"

Il ne s'agit donc pas seulement d'un investissement massif de l'État dans l'industrie militaire. "On change complètement la logique traditionnelle du rapport des États aux entreprises, explique Renaud Bellais, codirecteur de l'Observatoire de la défense à la Fondation Jean-Jaurès, cité par Franceinfo. Nous sommes dans une logique d'organisation, pas une logique marchande. Car nous avons un problème d'urgence : le besoin de grande quantité d'équipements, rapidement."

"On sort d'une économie de marché traditionnelle avec la planification de l'effort de guerre", résume ce spécialiste de l'économie de la défense. Cette notion de rupture temporaire avec l'ordre économique préexistant est fondamental. C'est dans cette acception que le terme "économie de guerre" a ensuite été employé aux XXe et XXIe siècles, relativement à des conflits contemporains ou passés.

Le poids des dépenses militaires par rapport au PIB, indicateur pertinent

Pour mesurer le basculement d'un pays en économie de guerre, le poids des dépenses militaires dans l'ensemble du produit intérieur brut (PIB) semble être un indicateur pertinent. On peut par exemple noter, comme le fait Renaud Bellais dans un article publié par la Fondation Jean-Jaurès, que les États-Unis avaient atteint le chiffre de 37% du PIB consacrés aux dépenses militaires durant la Seconde Guerre mondiale.

En prenant ce point de comparaison, il apparaît qu'à l'heure actuelle, le seul état impliqué dans le conflit ukrainien à être véritablement entré en économie de guerre est l'Ukraine elle-même, sans l'avoir décidé. Confronté à l'invasion russe, le pays n'a pas eu d'autre choix que de s'armer massivement. D'après Statista, les dépenses militaires ukrainiennes pour l'année 2022 ont en effet représenté 34% du PIB du pays.

La Russie n'est pas en économie de guerre, les pays de l'OTAN non plus

La même année, les dépenses militaires de l'envahisseur russe étaient évaluées à seulement 4% du PIB. Ce chiffre est ensuite monté à 5,8% en 2023 et devrait atteindre les 7,5% en 2024, mais on est donc encore très loin des proportions habituelles de l'économie de guerre. De même, si l'invasion de l'Ukraine a provoqué des bouleversements économiques en Russie, elle n'a absolument pas eu pour conséquence l'abandon par Moscou des principes de l'économie de marché.

De leur côté, les alliés de l'Ukraine se situent d'ailleurs encore plus bas en ce qui concerne le poids des dépenses militaires rapportées au PIB. Selon Statista, en 2023 au sein de l'OTAN, seulement 11 pays sur 30 avaient dépassé le seuil des 2%. Pays les plus dépensiers de l'Alliance, la Pologne (3,9%) et les États-Unis (3,49%) restent toutefois sous la barre de 4%. Pour sa part, la France a effectué en 2023 des dépenses militaires correspondant à 1,9% de son PIB.

"Produire plus et plus vite"

On l'aura compris, pour l'heure, notre pays est donc loin d'être en "économie de guerre" et ce n'est sans doute pas la construction à venir d'une usine de poudre en Dordogne qui pourrait inverser la tendance. "La notion actuelle d'économie de guerre n'a pas grand-chose, voire rien à voir, avec ce que l'on a pu connaître dans le passé", confirme Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, cité par Franceinfo.

"Il s'agit de dire qu'il y a des sujets stratégiques qui émergent : on doit peut-être changer notre ordre des priorités, dépenser davantage dans la défense, la réindustrialiser", précise le chercheur. "Economie de guerre, c'est un terme qui a été utilisé (par Emmanuel Macron, ndlr) au cours du salon Eurosatory en juin 2022 et on est resté dessus, mais je trouve que c'est un peu excessif, regrette pour sa part le général de l'Armée de l'air Patrick Dutartre au micro de France 24. L'idée est plutôt de mobiliser tous les industriels de défense – et ils sont importants en France – pour produire plus et plus vite."