Droits TV: Yousef Al-Obaidly, l'homme secret en première ligne dans les négociations

16 décembre 2022, hôtel Waldorf Astoria de Doha. Dans le hall d'accueil de cet établissement, en ébullition en pleine Coupe du monde, Nasser Al-Khelaïfi nous attend pour une interview. Le dirigeant prépare notre entretien mais à quelques mètres de lui un autre homme nous interpelle : Yousef Al-Obaidly. La barbe est toujours parfaitement taillée. Le costume impeccable et le regard perçant. Le patron de BeIN Sport interrompt un rendez-vous pour venir nous saluer. "Quand il arrive dans une pièce et que Nasser n’est pas là, c’est le boss. Personne ne dira le contraire. Il a une image très bonne dans l’univers des médias. Cela peut lui arriver d’être strict. Mais dès qu’il croise une personne qui vient faire le ménage ou qui gère la cafétéria, il a toujours un petit mot gentil" confie une source.

BeIN OK pour valoriser les droits domestiques à 700 million d’euros mais…

Yousef Al-Obaidly, 43 ans, homme de l’ombre mais puissant tient aujourd’hui un rôle central dans les négociations des droits TV du football français. En revanche ne comptez pas sur lui pour parler de lui. "Je ne vous dirais rien. Je suis un homme secret" sourit le principal intéressé. Depuis le retrait de DAZN, qui a retiré sa dernière offre et ne discute plus avec la LFP, pour ne pas avoir atteint les ambitions exprimées par Vincent Labrune, beIN Sports est désormais la seule option sur la table pour la LFP. Alors que son business plan était établi, avec un équilibre financier trouvé grâce notamment à l’énorme contrat de distribution exclusif conclu avec Canal+ (250 millions d’euros annuel), la chaine qatarie a dû revoir ses perspectives sous pression de Nasser Al-Khelaifi, supérieur hiérarchique de Yousef Al-Obaidly depuis environ 20 ans, que Labrune a convaincu d’aider le foot français, mais aussi sous pression politique après des échanges directs entre Emmanuel Macron et l’Emir du Qatar.

Après de longues et intenses discussions, beIN a donné son accord à la Ligue pour valoriser ses droits TV domestiques à 700 millions d’euros à condition qu’une solution financière soit trouvée, notamment avec son distributeur Canal+. Les dirigeants de beIN en lien permanent avec Doha sont d'accord pour sauver le foot français mais veulent maintenir des investissements un minimum rentables ou qui gardent en tous cas un minimum de rationalité malgré la puissance financière sans limite du Qatar. "Yousef est très dur en négociation explique une source proche de beIN. Petit à petit il s’est fait les dents sous l’autorité de Nasser. Il a appris comment cela a marché. On dit souvent que beIN c’est l’argent du Qatar mais c’est tout l’inverse. Au quotidien il aime dire 'essayons d’optimiser’, ‘de faire en sorte que ça coûte le moins possible’. Il a une connaissance des chiffres hallucinantes. Il connait à la virgule près les chiffres que beIN paie pour tel ou tel droit."

Maxime Saada : "Yousef est l’un des meilleurs professionnels du secteur dans le monde"

Fort de cette mission qui n’était pas prévue il y a encore quelques semaines, celui qu’on surnomme "Yousef" dans le milieu audiovisuel s’est donc rapproché de son homologue de Canal+ Maxime Saada. Les deux hommes se connaissent depuis plus de dix ans au moment où les Qataris s’implantaient en France dans le secteur du sport et des médias avec le lancement de beIN Sports. Le respect est mutuel entre les deux hommes qui entretiennent une relation très fluide. Contacté par RMC Sport, Maxime Saada confie : "Yousef est l’un des meilleurs professionnels du secteur dans le monde. Bien entendu un expert mondial dans le domaine du sport mais bien au-delà puisqu’il pilote des activités de TV payante multithématiques dans de nombreux territoires. Au-delà de son expertise, sa capacité de travail et son approche toujours courtoise sont largement reconnues. De même que sa fidélité à Nasser."

Yousef Al Obaïdly, décrit comme un bourreau de travail, entend convaincre Canal + que les droits de la Ligue 1 qui seraient exploités par une chaine dédiée, éditée par beIN Sports, augmenteraient la valeur du contenu distribué en exclu par Canal. Cela impliquerait donc une réévaluation du contrat qui lie les deux entités. Plusieurs rendez-vous ont eu lieu, encore aujourd'hui, entre Al-Obaidly et Saada mais pour le moment ils ne tombent pas d’accord sur la valorisation. Le patron de Canal, bien conscient qu’un accord serait synonyme de victoire pour la Ligue avec qui la relation est glaciale, veut prendre tout son temps. Sa priorité du moment n’est d’ailleurs pas le ballon rond mais le ballon ovale puisque Canal + répondra mercredi prochain à l’appel d’offre lancé par la Ligue Nationale de Rugby sur les droits du Top 14 que la chaîne cryptée entend bien conserver et revaloriser. Sauf improbable retournement de situation, la chaîne cryptée va conserver ces droits jusqu’en 2031. L'affaire est déjà entendue.

Priorité à un accord exclusif avec Canal+

La situation est donc pour le moment bloquée mais en privé Al-Obaidly se dit convaincu qu’il va finir par trouver un accord avec "son ami Maxime". Régulièrement accompagné de son équipe en charge des acquisitions, le patron de beIN se place en première ligne et met tout en œuvre pour remplir sa mission. "Il vit beIN, mange beIN" ajoute une source qui insiste sur l’engagement sans faille d’Al-Obaidly pour sa chaine et son pays. Il a notamment été à la pointe de la lutte contre le piratage notamment dans le dossier de BoutQ, cette chaîne saoudienne qui diffusait illégalement le signal de beIN. "Il ne passe jamais deux jours au même endroit. Il est constamment dans l’avion. Au début il n'allait qu’à Doha et à Paris. Maintenant beIN est aussi implanté en Turquie. Il aime bien ce pays parce qu’il est proche de tout, de Londres mais aussi de Paris" confie une autre source.

Dans l’esprit du dirigeant natif de Doha, Canal+ augmenterait ses chances de réussir son entrée en bourse prévue dans les prochains mois avec le catalogue de droits le plus attractif possible. Et avoir de la Ligue 1 rentre dans ce cadre-là. Pour le dirigeant de beIN il semble aussi clé de trouver un accord avec la chaîne cryptée, acteur incontournable du marché français avec ses plus de 9 millions d’abonnés. L’exclusivité reste à ses yeux le moyen le plus sûr de rentabiliser, autant que faire se peut, l’investissement réclamé par le foot français en s’appuyant sur la solide base d’abonnés de Canal. Aucune discussion n’a donc eu lieu avec les FAI (fournisseurs d’accès à internet) mais selon nos informations, l’exécutif qui suit le dossier de près avec une certaine préoccupation, aurait déjà sensibilisé les FAI (Orange, Bouygues, Free, SFR) pour qu’ils fassent un effort financier dans les accords de distribution de cette chaine le moment venu afin d’amortir la facture. L’équipe de Vincent Bolloré, propriétaire de Canal+, serait par ailleurs également en contact régulier avec l'Elysée qui essayerait de le convaincre de venir s'asseoir à la table des négociations.

Des présidents espèrent un accord le 5 juin jours de l’AG de la Ligue

Pendant ce temps-là, les clubs patientent non sans stress. "Je vous mentirais si je vous disais que je suis serein" reconnait un président de club. "Mais je maintiens toute ma confiance en Vincent Labrune et sa stratégie pour viser les revenus les plus élevés possibles en matière de droits télévisés. On espère que ça va sa finaliser rapidement." Aucune échéance n’a été fixée par Yousef Al-Obaidly qui continue de faire par ailleurs des points réguliers avec Vincent Labrune. Le président de la Ligue ne participe à aucune discussion avec Canal laissant seul le dirigeant qatarien gérer les négociations. Sur l’aspect opérationnel de la future chaîne dédiée à la Ligue 1, il n’y a aucune inquiétude. Certaines équipes interne à beIN y travaillent déjà et la chaîne pourrait se monter très rapidement. Restera à informer le grand public sur le prix de l’abonnement et à faire la promotion de la nouvelle chaîne mais cet aspect n’inspire là aussi aucune inquiétude chez beIN.

La DNCG, bien consciente de la situation particulière, va bientôt rencontrer tous les de clubs de Ligue 1. Les premières auditions sont prévues à la fin du mois de mai. Dans la ligne de recette réservée aux droits télévisés dans leur budget prévisionnel, les clubs devraient reporter le montant actuel qu’ils touchent en espérant une bonne nouvelle prochainement. La DNCG devrait inciter les clubs au budget serré à se montrer prudent, encore plus que d’habitude, sur le prochain mercato de quoi favoriser assainissement de plusieurs comptes de club dans le rouge. Certains présidents espèrent secrètement que le 5 juin, jour de l’Assemblée Générale de la LFP, un accord sur les droits télévisés serait annoncé. Mais rien n’est moins sûr…

Article original publié sur RMC Sport