Dans « Drag Race France », la gagnante aura un cadeau qui pose de sérieuses questions

Cadeau « Drag Race France ».
Capture d’écran France.tv Splash Cadeau « Drag Race France ».

Capture d’écran France.tv Splash

Un séjour d’une semaine est notamment offert à la gagnante de « Drag Race France ».

TÉLÉVISION - La course est « bookée ». Ce jeudi 11 août, l’une des trois grandes finalistes de la première édition de Drag Race France doit être couronnée à l’issue du dernier épisode de la saison mis en ligne sur France.tv Slash, à partir de 20 heures. Elle remportera par là même, en plus du titre honorifique de « meilleure drag-queen », une série de lots.

Parmi eux, un diadème et son sceptre d’une valeur de 40 000 euros, un an de maquillage chez MAC Cosmetics et un shooting photo pour le magazine ELLE. Mais aussi, un voyage d’une semaine à l’Île Maurice offert par Tinder, « pour vivre des moments idylliques à l’ombre des cocotiers et se ressourcer sur cette île paradisiaque », selon l’animatrice, Nicky Doll, avant chaque début d’épisode.

D’apparence anodine, ce dernier présent est loin de l’être aux yeux des membres de la Young Queer Alliance, association mauricienne de défense des droits LGBT +. Dans un courrier adressé à la société de production Endemol, que Le HuffPost a pu consulter, ils interpellent par le biais de leur avocat, Me Sandy Christ Bhaganooa, sur l’incohérence de ce choix aux regards des valeurs de tolérance, de respect et d’acceptation des minorités sexuelles prônées par l’émission.

Et pour cause, « l’Île Maurice est souvent décrite comme une destination de rêve alors qu’en réalité, elle est très loin d’être un paradis pour les personnes LGBT + », nous rappelle la présidente de l’association, Dhanalakshmi Goundan.

Des lois stigmatisantes

Située à quelque 800 kilomètres de Madagascar, l’Île Maurice est la principale île de la république de Maurice. Là-bas, l’homosexualité est dite « légale », mais dans les faits, il n’existe aucune interdiction des discours de haine contre les personnes LGBT +, c’est-à-dire que l’homophobie et la transphobie ne sont pas des circonstances aggravantes lorsque des agressions sont commises sur la base de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.

À Maurice, l’acte de sodomie est interdit. C’est un crime passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans. Les unions entre personnes de même sexe ne sont pas reconnues. Et « les personnes trans n’ont pas accès aux soins qui leur sont propres, à savoir la chirurgie de réparation sexuelle, nous informe la militante. Idem pour les modifications sur leurs documents d’état civil ».

Les stigmatisations sont très présentes. Elles ont poussé l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à octroyer le droit d’asile à de nombreux Mauriciens. L’avocat au barreau de Paris Me Sandy Christ Bhaganooa en a représenté certains. Il est révolté.

« J’ai appelé Endemol pour avoir leur adresse e-mail et leur transmettre le courrier rapidement, mais ils n’ont pas voulu me la donner. Et ce, à plusieurs reprises. On m’a répondu que les bureaux étaient vides pendant l’été et que le seul moyen était de leur transmettre la lettre par courrier postal. À l’heure qu’il est, je ne sais même pas s’ils l’ont reçue car je n’ai toujours pas eu vent du recommandé », assure ce dernier. Contactée par Le HuffPost, la production n’a pas donné suite à nos sollicitations.

« Il faut arrêter avec cette image hypocrite »

« On aurait souhaité que les organisateurs prennent conscience des enjeux et des persécutions dont sont victimes les personnes LGBT + à Maurice », ajoute Dhanalakshmi Goundan. Dans ladite lettre, elle et les autres membres de l’association demandent à la société de production de rectifier le tir, d’arrêter la publicité trompeuse et d’avertir les téléspectateurs des graves risques que les LGBT + encourent en se rendant là-bas.

« Avant de proposer de tels cadeaux, ils devraient réfléchir et faire des recherches sur les destinations qu’ils proposent. L’homophobie à Maurice, ce n’est plus un secret », soutient Me Sandy Christ Bhaganooa. Le pays a déjà été rappelé à l’ordre, comme en 2018, lors du 40e Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Le Canada et plusieurs pays européens, dont la France, avaient alors demandé que l’État mauricien assure une meilleure reconnaissance des droits des personnes LGBT + en luttant contre les discriminations à leur égard et en les protégeant contre toute forme de violence.

Sur la scène internationale, l’État s’est bien engagé à respecter ces demandes. À l’intérieur du pays, c’est différent, selon nos interlocuteurs. « Les conventions internationales signées ne sont pas suivies d’effet car elles n’ont aucun effet en droit interne tant qu’elles ne sont pas à nouveau promulguées par le parlement mauricien », renseigne la Young Queer Alliance. Son défenseur devant la loi ajoute : « Il faut arrêter avec cette image hypocrite d’un pays qui respecte les droits de l’Homme. »

Mieux réfléchir aux partenariats

À l’origine de ce cadeau, il y a Tinder. D’après Me Sandy Christ Bhaganooa, cela en dit long sur les engagements éloignés de l’application pour les personnes LGBT + et sur sa connaissance du milieu. « Ça soulève de sérieuses questions », ajoute-t-il. S’agit-il d’une initiative du pays pour véhiculer une image de tolérance à l’international, d’une manœuvre pour attirer des investisseurs étrangers et des touristes, ou d’un simple malentendu ?

Cette première saison de Drag Race France n’a rien eu à envier au programme original américain en termes de messages. Séropositivité, coming out, agressions homophobes… La déclinaison française de RuPaul’s Drag Race a su parler des problématiques qui traversent la communauté LGBT + avec justesse, tout en les diffusant à un large public.

À Maurice, elle a été très suivie chez les personnes concernées, nous indique Dhanalakshmi Goundanure. « La visibilité dans les médias des drag-queens est très importante dans la lutte commune pour l’égalité », salue la militante, pour qui, toutefois, Drag Race France devra « définitivement » revoir ses partenariats à l’avenir.

À voir également sur Le HuffPost : À l’île Maurice, une vingtaine de dauphins retrouvés morts

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