Double accident mortel à Saint-Malo: pourquoi le permis du conducteur n'a-t-il pas été suspendu?

Double accident mortel à Saint-Malo: pourquoi le permis du conducteur n'a-t-il pas été suspendu?

Un automobiliste a percuté mortellement un homme de 83 ans, le 3 juillet dernier à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Un drame qui aurait pu être évité, selon la famille de l'octogénaire. Et pour cause, le conducteur, âgé de 81 ans, avait déjà tué quelqu'un, trois mois plus tôt, sur le même boulevard. Pourtant, l'automobiliste avait le droit de prendre le volant, son permis ne lui ayant pas été retiré, ni par l'administration, ni par la justice.

"La police aurait dû retenir le permis de conduire de ce monsieur. Je ne comprends pas qu’elle ne l’ait pas fait (...) Comment aujourd’hui la police, la justice, laisse l’auteur d’un homicide, certes involontaire, la possibilité de conduire?", s’est interrogé Maitre May Sarah Vogelhut, l'avocate de la fille de la victime, ce jeudi matin sur RMC.

Lettres 1F et 3F

Pourquoi le conducteur avait-il encore le droit de prendre le volant? Dans un cas d'accident mortel comme celui-ci, il faut bien différencier la phase administrative et la phase judiciaire. "Pour des faits graves, comme celui-là, les forces de l'ordre peuvent récupérer le permis immédiatement après les faits. C'est ce que l'on appelle une rétention administrative", explique à BFMTV.com Élodie Godbillon, avocate exerçant en droit routier au barreau de Paris.

Cette rétention administrative en cas d'accident de la circulation, ayant entraîné la mort d'une personne ou ayant causé un dommage corporel, n'est possible que sous certaines conditions: "si vous êtes soupçonné d'avoir enfreint les règles d'usage du téléphone tenu en main, de vitesse, de croisement, de dépassement, d'intersection ou de priorité de passage", détaille le Code de la route, ajoutant que la rétention de permis ne peut excéder 72 heures.

Et pour cause, "c'est le délai pendant lequel le préfet peut prendre une décision de suspension de permis, d'un mois à un an", ajoute l'avocate, précisant qu'on parle alors de "lettre 3F".

"Une carence de l'administration française"

Mais pourquoi cette mesure n'a pas été prise pour le conducteur de Saint-Malo? "Dans l'écrasante majorité des cas, l'information ne remonte pas jusqu'au préfet dans les délais. Soit parce que l'enquête est en cours, soit parce que les gendarmes sont occupés", explique Rémy Josseaume, avocat spécialisé en droit routier et président de la commission du droit routier au barreau de Paris.

Pourtant, selon le spécialiste, le préfet a tout de même la possibilité de suspendre un permis, passé ce délai, si la détermination de l’infraction doit être soumise à des investigations spécifiques ou à des examens biologiques. C'est le cas notamment dans le cadre d'une conduite sous stupéfiant, de blessures ou d’homicide involontaires, ou encore d’accident matériel de la circulation routière. C'est ce qu'on appelle la "lettre 1F".

"Il y a clairement une carence de l'administration française, car dans ce dossier, rien n'empêchait le préfet de suspendre le permis de conduire de cet automobiliste dans le délai et passé ce délai", estime Me Rémy Josseaume.

Plusieurs enquêtes ouvertes

Du côté du volet judiciaire, aucune sanction pénale non plus n'a été décidé après le premier accident mortel. Mais pour des faits similaires, un conducteur peut être déféré au tribunal, à l'issue de sa garde à vue, pour être présenté au procureur de la République et éventuellement au juge d'instruction pour ouvrir une information judiciaire.

"À ce moment-là, on va décider du sort de la personne. Le conducteur peut être placé en détention provisoire, ce qui est l'exception, ou placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de conduire tout véhicule terrestre à moteur", selon Me Godbillon.

Le conducteur impliqué, lui, n'a eu ni l'un ni l'autre, selon nos informations. "S'il n'y a aucune maladresse ou aucune imprudence par exemple, donc aucune faute pénale, le conducteur pourrait n'avoir aucune sanction pénale", ajoute l'avocate. "Après, ça se règle uniquement entre assurances pour fixer les dommages et intérêts".

"Ce monsieur a reconduit, c'est très probablement une erreur de l'administration. Mais c'est l'enquête qui donnera les circonstances de l'accident. C'est une coïncidence singulière et malheureuse, mais pour le moment, on ne sait pas s'il est responsable", estime Me Josseaume.

Le parquet de Saint-Malo a fait savoir à nos confrères de Ouest-France qu'une enquête avait été ouverte "pour homicide involontaire à la suite d’un refus de priorité au piéton. Elle est toujours en cours, dans l’attente des résultats de l’autopsie de la victime". Une autre enquête a été ouverte après le second accident, "d’abord pour blessures involontaires, mais une autopsie sera aussi réalisée à la suite du décès de la victime", a précisé le parquet au quotidien régional.

Mercredi soir, le juge des libertés et de la détention a placé le conducteur de 81 ans sous contrôle judiciaire. Il a fait l'objet d'une rétention de permis et il a l’interdiction de conduire tout véhicule.

Article original publié sur BFMTV.com