Discriminations capillaires: pourquoi le député Frédéric Maillot veut défendre le texte "bec et ongles"

"Une nouvelle hair". En commission des Lois, mercredi 20 mars, le député de La Réunion, Frédéric Maillot, n'a pas manqué d'éloquence en défendant la proposition de son collègue guadeloupéen, Olivier Serva, sur la reconnaissance et la sanction des discriminations capillaires.

Mélangeant jeux de mots et phrases chocs, il y a affirmé avec conviction: "La France peut interdire de porter l’abaya ou le voile, mais elle ne pourra pas nous obliger à nous fondre dans un moule européanisé en cachant ou en défrisant nos cheveux".

Quelques jours plus tard et tandis que ce texte du député LIOT est débattu toute la journée ce jeudi 28 mars en séance plénière à l'Assemblée nationale, il déclare à BFMTV.com:

"Peut-être que sous son bonnet phrygien, la Marianne a les cheveux crépus!"

"Qu'est-ce que c'est que cette coiffure pour un député?"

Ses cheveux, l'élu du groupe Gauche démocrate et républicaine les porte au naturel, relevé en petit chignon au-dessus de sa tête.

De son enfance, dans les années 80 et jusqu'aux années 2000, il a très peu de souvenirs de publicités, séries télévisées et médias où femmes et hommes réunionnais n'ont pas des cheveux "européanisés".

"Sans référence dès l'enfance, on ne peut pas s'identifier", commente-t-il.

Aujourd'hui encore, l'élu observe que ses cheveux sont encore sources d'interrogation.

"À l'Assemblée, j'ai déjà eu des petites remarques plus ou moins désagréables", explique-t-il. Sur les réseaux, aussi, il a déjà lu des "mais qu'est-ce que c'est que cette coiffure pour un député!".

Mais le plus violent pour ce père de famille, c'est quand il voit et entend son père qui, en passant la main dans les cheveux de sa petite-fille, constate avec soulagement: "Heureusement, elle a la chance de ne pas avoir des cheveux d'afro". Comme son fils, le père a largement intégré les discriminations capillaires vécues par les Afro-descendants.

Au travail, Frédéric Maillot, n'a jamais subi de discrimination. Mais l'expérience de sa collaboratrice en revanche achève de le convaincre de défendre ce texte "bec et ongles".

Le tout face à certains membres des Républicains qui, en commission des Lois la semaine précédente, se sont fendus de quelques moqueries sur la pertinence de cette loi. À titre d'exemple, l'élu Fabien di Filippo a critiqué le fait "d'importer une législation anglo-saxonne et sa logique victimaire dans le droit français".

"Des cheveux comme ça, on ne peut rien en faire"

Les "ça n'existe pas les discriminations capillaires", Juliana Hibon a en l'habitude. Sur ce sujet, sa parole a toujours été minimisée. Elle se souvient parfaitement toutefois de cette responsable d'un magasin de sous-vêtement dans lequel elle travaillait plus jeune qui lui avait lancé à leur première rencontre:

"Tu comptes faire quelque chose avec ces cheveux ou tu vas rester comme ça toute la journée?"

Elle se souvient aussi de cette réserve au fond du magasin, dans laquelle elle a été obligée de "faire quelque chose avec ces cheveux" pour espérer pouvoir revenir dans la surface de vente.

Dès l'enfance, Juliana a intégré qu'elle avait des cheveux "qui font trop 'cafrine'" – comprendre qui font trop descendante d'Afrique australe, selon un terme utilisé pour désigner certaines femmes réunionnaises.

"C'est bizarre cette texture", "des cheveux comme ça, on ne peut rien en faire!", "mais c'est de la paille", "caniche", a-t-elle toujours entendu.

Défriser jusqu'à se brûler le crâne

Avec cette loi, Juliana Hibon se sent enfin prise au sérieux.

"De mes 10 ans à mes 27 ans, j'ai défrisé, brushingué et repassé des plaques lissantes dans mes cheveux. Parfois jusqu'à me brûler le cuir chevelu. Tous les jours, je me disais qu'il fallait que j'aie les cheveux les plus plats, les plus plats, les plus plats possible", répète-t-elle à BFMTV.com, les souvenirs encore vifs.

"Pour moi, c'était normal d'avoir des croûtes sur le crâne, c'était de ma faute si je n'avais pas le 'bon cheveu'", relate la collaboratrice parlementaire.

"À me transformer pendant des années, je me suis perdue. Professionnellement, je me suis privée d'opportunité: j'étais persuadé de ne pas avoir la bonne apparence, j'ai ressenti un profond désamour de moi", ajoute-t-elle.

Il y a quelque temps, la jeune femme a tout coupé pour retrouver sa base saine et naturelle. Largement devenue adulte, elle s'est donc retrouvée à devoir apprendre à s'occuper de ses vrais cheveux.

"Ça m'a pris énormément de temps pour les connaître", s'amuse-t-elle après coup.

Une loi pour tous les types de cheveux

Mais encore maintenant, où elle en est "pleinement fière", elle ressent le poids et les pressions capillaires dénoncés par la proposition de loi du député Olivier Serva.

Au cinéma pour aller voir Bob Marley mi-février 2024, la collaboratrice parlementaire qui assume désormais son afro et tient une page de témoignages sur les réseaux sociaux, nous raconte qu'un spectateur s'approche d'elle.

"Avec tes cheveux 'en pop' comme ça, c'est toi qui vas assurer le show, non?" lui lance-t-il. Elle ne réagit pas. "J'ai même pas compris pour tout vous dire", nous confie-t-elle.

Avec toute l'empathie qu'il a pour sa collaboratrice, le député réunionnais Frédéric Maillot rappelle toutefois: "Cette loi sur les discriminations capillaires ne s'adresse pas qu'aux personnes racisées".

Selon une étude réalisée en Grande-Bretagne en 2009 par Halo Collective, "une femme blonde sur trois dit que pour progresser dans l'entreprise, elle doit se teindre les cheveux en brun pour paraître plus intelligente aux yeux de l'employeur", rappelle dans son texte Olivier Serva.

"Naturel", "locks, torsades, tresses, afro, roux, blond, le port du cheveu a un lien inéluctable avec l'estime de soi", conclut l'élu guadeloupéen.

Article original publié sur BFMTV.com