"Il y a une dimension mercantile assumée": dans les coulisses des BD de stars

Des détails des couvertures de BD sur Kev Adams et Mimie Mathy. - Le Lombard - Jungle - Bamboo
Des détails des couvertures de BD sur Kev Adams et Mimie Mathy. - Le Lombard - Jungle - Bamboo

Michel Drucker a eu la sienne. Mimie Mathy aussi. Tout comme Kev Adams... Les BD mettant en scène des personnalités du petit et du grand écran, malgré une allure un peu ringarde, continuent de paraître avec régularité. Malgré une qualité variable et un public de moins en moins dupe, ces albums font encore recette, comme en témoigne le succès de Jarry et ses enfants, dont le quatrième tome est sorti il y a quelques mois.

Ces albums sont devenus un genre en soi. En France, le 9e Art, s'est pris de passion pour les humoristes: Jeff Panacloc, Chevalier et Laspalès, Gad Elmaleh... Franck Dubosc et Elie Semoun ont aussi eu l'honneur de voir leurs petites annonces adaptées par Fabcaro. Et avant de se retrouver pour Les Trois frères, le retour (2016), Les Inconnus se sont reformés discrètement le temps d'une BD parue en 2007.

Les années 2000 ont été un véritable âge d'or, avec Les Aventures de Bigard (2005), Shirley et Dino (2006) ou encore Elie Semoun se prend pour qui? (2006) et La Drague pour les nazes avec Cauet (2009). Sans oublier les adaptations de séries à succès, de Caméra Café à Samantha, oups!. Des albums souvent à l'initiative des maisons d'édition. "Il y a une dimension mercantile assumée", confie ainsi Antoine Maurel, éditeur des BD de Kev Adams et des YouTubeurs Bapt & Gaël.

"C'était assez compliqué comme histoire"

Plonger dans cette histoire parallèle du 9e Art n'est pas facile - d'autant qu'elle compte plus d'albums oubliables que de chefs d'œuvre (il y en a deux: Dans la combi de Thomas Pesquet et Gérard). Auprès de certaines maisons d'édition, le sujet est d'ailleurs tabou. Spécialiste du genre, reconverti dans la BD jeunesse et la création originale, Jungle ne souhaite ainsi pas revenir sur ce pan de son histoire.

Certains auteurs refusent également d'en parler. Acclamé pour sa fresque Mattéo, Jean-Pierre Gibrat ne veut plus aujourd'hui évoquer Les Aventures de Zaza, BD de 1985 qui met en scène Michel Drucker, sa femme Dany Saval et leur chienne Zaza. Un album réalisé par Gibrat à ses débuts contre "un très bon salaire", mais qui n'a "aucun intérêt", balaye-t-il.

Pour les dessinateurs et les scénaristes, ce travail parfois ingrat et purement mercantile reste un souvenir douloureux. "C'était assez compliqué comme histoire", se souvient par exemple Galdric, dessinateur de l'adaptation BD de Joséphine, ange gardien. "Il y avait beaucoup de négociations, beaucoup de personnes impliquées: Mimie Mathy, son agent, les avocats de TF1. Tout le monde s’en mêlait."

"À chaque album, il fallait revoir le contrat", ajoute-t-il. "On perdait tellement de temps que lorsqu'on avait le feu vert, il nous restait quatre mois pour faire l'album. C'était très, très speed. Parfois le scénario n'était pas fini et on devait tout faire en même temps."

"Si je ratais, ce n’était pas grave"

Difficile dans ces conditions de réaliser l'album du siècle. "En quatre mois, je faisais ce que je pouvais", concède Galdric, qui n'avait "pas de contact" avec son scénariste, qui "devait trafiquer son scénario en fonction de [ses] dessins". C'est aussi en quatre mois que Spoon a dessiné un album du Blond, BD de Gad Elmaleh inspirée de son célèbre sketch. "Je le faisais en parallèle d'autres productions", précise-t-il.

Pour lui, ces travaux de commande n'étaient rien d'autre que des "exercices à résoudre": "On met un savoir-faire au service d'un projet", résume-t-il. "Il n'y avait pas trop d'enjeu. Si je ratais, ce n'était pas grave. Je ne me grillais nulle part." Il a tout de même choisi de travailler sous pseudonyme et a modifié son style graphique pour distinguer Le Blond de ses ouvrages plus personnels.

Ces projets mercantiles ne sont pas entièrement cyniques, insiste encore Spoon, qui a imaginé une centaine de gags autour du Blond de Gad Elmaleh: "Il y a quand même une forme de vérité dans le gag. Si on n'est pas un peu convaincu par ce qu'on dessine, ça ne fonctionne pas et ce n'est pas drôle." Même son de cloche pour Sébastien Mao, scénariste de Docteur Cymes:

"Il ne fallait pas sortir une BD sur Michel Cymes pour sortir une BD sur Michel Cymes. Il fallait que les scénarios tiennent la route. Mon éditeur retoquait les gags quand il trouvait que ce n'était pas assez drôle ou pas assez efficace."

Gad Elmaleh "très investi"

Ces albums se fabriquent sous le regard bienveillant des stars, avec le plus souvent une implication minimum de leur part. "Mimie Mathy n'en avait aucune", se souvient Galdric. "On utilisait seulement son nom." Tout le contraire de Gad Elmaleh sur Le Blond. "J'avais été plutôt surpris", reconnaît Spoon. "Je m'attendais à ce qu'il fasse éventuellement une petite préface et qu'il signe le livre, mais il a été très investi."

Les gags étaient envoyés à l'éditeur, qui se chargeait de les transférer à l'humoriste, qui renvoyait à son tour un fichier annoté de corrections. "Généralement, c'était pour les dialogues, modifier des punchlines ou suggérer des alternatives pour les chutes. Mais je n'ai pas eu de contact direct avec Gad."

Idem pour Antoine Maurel avec Kev Adams. Puisque Le Monde de Kev adaptait sa série animée sur sa jeunesse, nul besoin de lui pour l'album: "On était en lien avec sa prod. Comme il avait un droit de regard, il nous a fait quelques retours sur des gags et des expressions. Ce n'était pas un travail d’auteur, mais une lecture augmentée."

"Pas un trip égocentrique"

Michel Cymes s'est quant à lui tant impliqué qu'il a fini par devenir le héros de l'album dont il devait à l'origine juste signer la préface, s'amuse Sébastien Mao: "On avait commencé un projet de BD humoristique sur des patients hypocondriaques. Le contact s'était super bien passé et il m'a dit que je pouvais utiliser son image pour le médecin de notre BD pour que ça nous aide à être un peu plus mis en avant."

"Au fur et à mesure, on s'est dit que c'était un petit peu dommage de mettre Michel Cymes en second rôle et de ne pas le mettre plutôt en première place", poursuit le dessinateur. "On a commencé à réfléchir à ce qu'on pouvait faire et on lui a finalement suggéré l'idée d'essayer de faire une BD autour de son personnage."

Michel Cymes n'était à l'origine pas très à l'aise avec sa BD. "Il ne voulait pas que ce soit pris comme un trip égocentrique", confirme Sébastien Mao. "Il avait peur qu'on fasse une BD à sa gloire - ce qui n'avait pas grand intérêt. Il voulait bien le faire à condition que je me lâche au maximum dans le scénario, qu'on se foute un peu de sa gueule, un petit peu à l'image de l'humour carabin qu'il affectionne."

Difficile mise en images des anecdotes

Docteur Cymes s'amuse de l'image de l'animateur accro aux plateaux, qui après une vanne se fait virer de ses émissions. "La difficulté était que le langage de la BD n'était pas toujours hyper adapté à la mise en images de ses anecdotes", reconnaît Sébastien Mao. Certains gags étaient ainsi liés à son actualité:

"À l'époque, il avait fait une campagne avec d'autres médecins sur le dépistage du cancer colorectal. Donc on l'a un petit peu mis en avant dans la BD, en extrapolant un petit peu, en le faisant suivre dans la rue par des gens qui lui demandaient des touchers rectaux."

Pour Joséphine, ange gardien, Galdric avait davantage de liberté et a imaginé des aventures inédites en Afrique et en Asie: "On a fait notre propre série. On était complètement libres. Mais Joséphine devait toujours être là pour aider les gens en difficulté. Ça devait toujours être en lien avec des thématiques sociétales, avec des traumatismes liés à l'enfance."

Antoine Maurel, qui a travaillé quatre ans avec Bapt & Gaël, reste fier de leur travail, qui se démarque par "une inventivité à chaque page": "Ce n'était pas une commande. C'est un vrai travail d’auteur complet. Ils écrivaient tout. Ils se sont défoncés. C'est rare sur un album d'humour comme ça. Il y a eu une vraie cohésion avec l'équipe créative."

"Mimie Mathy avait un pourcentage plus élevé"

Contrairement aux idées reçues, ces albums ne rencontrent pas toujours le succès. Malgré l'exposition apportée par la série TV sur M6, sa BD dérivée Le Monde selon Kev s'est écoulée à 6.200 exemplaires. "Mon hypothèse, c'est qu'il y a de moins en moins d'intersection entre le public de l'animation jeunesse et le public de la BD jeunesse - sauf si vous êtes Disney", analyse Antoine Maurel, avant de glisser: "Ce n'était peut-être pas la bonne licence."

Bapt et Gaël ont vendu 6.300 exemplaires de leur album Ça, c'est vraiment BD. "Les ventes ne sont pas infâmes, mais c'est loin d'être rentabilisé. Ils avaient une communauté forte, beaucoup de soutiens chez les YouTubeurs et les rappeurs, leurs vidéos cartonnaient, mais ça n'a pas pris. Ca a été un gros traumatisme au Lombard, parce que tout a été bien fait."

Dessinateurs et scénaristes font également rarement fortune avec ces ouvrages. "Ça reste du livre", sourit Spoon. "Ce n'est pas une économie délirante. Même un album comme Le Blond, qui se vend bien, ça ne représente pas des sommes astronomiques en termes de droits d'auteur."

"En termes de droits d'auteur, on n'avait quasiment rien. On a juste été payés avec une avance, qui était de 8000 euros", renchérit Galdric. "D'habitude, un auteur touche 8, 10, 12 %. On a dû avoir entre 3 et 4% avec le scénariste. Et Mimie Mathy avait un autre pourcentage, plus élevé. L'éditeur, lui, n'était pas perdant. Il a gagné de l'argent."

"On ne vise pas les lecteurs de BD"

Avec des ventes aux alentours de 40.000 exemplaires pour Joséphine, ange gardien et Le Blond, "il y a un public pour ça et l'éditeur le sait", note Spoon. "On ne vise pas les lecteurs de BD avec ces albums. Ce sont des livres dont la promo va se faire dans des émissions qui ne sont pas regardés par les CSP+. Ce n'est pas le genre de titre qui va avoir sa page dans Télérama." Le Blond avait ainsi eu les honneurs de TPMP.

Certaines stars s'impliquent plus que d'autres dans la promotion. Kev Adams a fait "une ou deux stories sur Instagram", selon Antoine Maurel. Mimie Mathy, elle, n'a rien fait, regrette Galdric: "Quand elle passait à la TV, elle n'en parlait pas alors que c'était dans le contrat. Quand les gens venaient en dédicace, ils découvraient l’existence de la BD. On s'est retrouvés isolés." Depuis, il a quitté le milieu. "C'était trop la galère."

Car l'exercice peut aussi rapidement se révéler un piège pour celui qui espère gagner sa vie en attendant de se faire un nom avec des ouvrages plus respectables. "Ce n'est pas désagréable à faire, mais ça peut rapidement nous enfermer dans des commandes du même type", souligne Spoon. "Ça ne valorise pas notre carrière et ne nous permet pas de nous installer confortablement dans ce milieu."

Article original publié sur BFMTV.com