Avec « Dernière rénovation », ne parlez pas de « désobéissance » mais de « résistance civile »

Des activistes de « Dernière rénovation » bloquent le périphérique parisien, le 7 novembre 2022.
AURORE MESENGE / AFP Des activistes de « Dernière rénovation » bloquent le périphérique parisien, le 7 novembre 2022.

POLITIQUE - Interruption d’un match de rugby en s’attachant aux poteaux, blocage d’une petite partie du périphérique parisien ce vendredi 11... Alors que la COP27 bat son plein, les activistes du monde continuent de multiplier les actions chocs. Quand au Royaume-Uni ils se regroupent plutôt autour d’Extinction Rebellion ou de Just Stop Oil, en France, ils s’appellent, entre autres, Dernière rénovation.

Les méthodes de ces activistes se veulent influencées par les revendications marquantes de l’Histoire : les suffragettes britanniques des années 1900, les droits civiques aux États-Unis ou encore, en France, les actions d’Act UP.

Chez Dernière Rénovation, on préfère néanmoins parler de « résistance civile » plutôt que de « désobéissance civile ». Pourquoi ? Difficile à dire, car le choix s’est imposé « spontanément, sans réelle discussion » , nous précise-t-on en interne. Auprès du HuffPost, le sociologue Albert Ogien, directeur de recherche au CNRS et spécialisé dans l’analyse des mouvements de protestation politique extra-institutionnelle, juge lui aussi le terme « plus juste » pour décrire ces nouvelles méthodes. Lui parle également « d’action directe non violente ». Entretien.

Le HuffPost : Pourquoi ne peut-on pas parler de « désobéissance civile » dans le cas de Dernière rénovation et face à d’autres actions récentes, comme les jets de soupe sur les œuvres d’art ?

Albert Ogien : La désobéissance civile, c’est traditionnellement le fait de s’opposer à une loi qui nous oblige à faire quelque chose. Or ici, les manifestants ne contestent pas une loi sur l’environnement, ils luttent contre l’inaction du gouvernement. Ils ne sont pas contre une législation déjà votée, ils demandent son application réelle. De mon point de vue, les actions récentes relèvent plus de « l’action directe non violente », c’est-à-dire créer des troubles à l’ordre public pour forcer le gouvernement à appliquer la loi.

Jeter de la soupe sur des tableaux ou bloquer des routes sont des actes qui peuvent tomber sous le coup de la loi…

Oui mais le point de départ de cette action n’est pas le rejet d’une loi. Il n’y a pas de désobéissance à une loi pour la dénoncer. C’est une nuance importante.

La désobéissance civile, c’est traditionnellement le fait de s’opposer à une loi. Ici, les manifestants ne contestent pas une loi sur l’environnement, ils luttent contre l’inaction du gouvernement.

Dans l’histoire, la désobéissance civile a porté ses fruits, par exemple aux États-Unis avec Rosa Parks en 1955. Est-ce que les autres formes d’actions sont aussi efficaces ?

Toutes les modalités d’actions sont bonnes, il n’y en a pas une meilleure que l’autre. On peut faire de la désobéissance civile stricto sensu, de l’action directe non violente, se servir du droit, comme dans le cas de l’Affaire du Siècle, faire des actions chocs comme les tableaux… Il n’y a aucun mal à ne pas revendiquer la désobéissance civile.

Après, cela dépend de ce qu’on appelle « efficacité ». Les gouvernements ne vont pas changer radicalement, et c’est le grand drame des mouvements activistes. Cela n’empêche qu’il y a des victoires, le plus souvent à l’échelle locale. C’est le cas de Notre-Dame-des-Landes par exemple. Peut-être que ce sera aussi valable pour les méga bassines à Sainte-Soline, il faut voir comment ça évolue.

Sauf que dans le cadre climatique, le but des actions est tout sauf local…

Oui et c’est une question que les activistes doivent se poser. Il est tout à fait possible de se donner des objectifs très larges, en sachant que la victoire ne sera sans doute pas au niveau espéré. Faire céder un gouvernement sur toute sa politique climatique, c’est difficilement atteignable. Et quand il y a des victoires sur des objectifs ciblés, il faut aussi s’interroger sur l’après. Par exemple, l’une des priorités d’Extinction Rebellion était la reconnaissance par les gouvernements de l’état d’urgence climatique. Ils ont réussi, dans plusieurs pays et même à l’échelle de l’ONU. Mais une fois que cet état d’urgence est reconnu, qu’est-ce que ça change ? Pas grand-chose. Que fait-on ensuite ?

La limite est de ne pas porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui. Mais les attaques sur les biens et à la propriété sont relativement admises.

N’y a-t-il pas un risque de violences ?

C’est toujours irritant de voir que malgré les mobilisations, un gouvernement reste insensible. C’est à ce moment que se pose la question du mode d’action et de la limite entre violence et non-violence. La limite est de ne pas porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui mais les attaques sur les biens et à la propriété sont relativement admises.

Il y a donc un équilibre à trouver pour ne pas dépasser un certain niveau de violence tout en créant un trouble à l’ordre public suffisant pour interpeller les gouvernements. Quand on lance de la soupe sur les tableaux, est-ce une atteinte à la propriété universelle ? Certains estiment en tout cas que c’est une bonne façon de s’interroger : à quoi servira l’art si vous ne vivez plus à cause du réchauffement climatique ?

Pourquoi est-ce que ces mouvements n’essayent pas d’agir avec les responsables politiques ? On a vu Yannick Jadot, ancien candidat d’EELV à la présidentielle, se faire huer à Sainte-Soline…

Plutôt que bloquer les routes, pourquoi ne pas changer les gouvernements en votant lors des scrutins ? C’est la question à mille dollars pour les partis écologistes qui ne raflent jamais la mise lors des élections. Mais dans les mouvements activistes, l’autonomie par rapport à la politique est très importante. Peut-être parce que la radicalité du changement demandé ne semble pas pouvoir passer par des élections, du point de vue des activistes en tout cas.

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