D'"Astro Boy" à "Albator", comment le réalisateur Rintarô a révolutionné l'animation japonaise

Pionnier de l'animation japonaise, dont il raconte les coulisses dans sa nouvelle BD Ma vie en 24 images par seconde (Kana/Dargaud), Rintarō, réalisateur des séries Astro Boy, Albator et Galaxy Express 999, s'est imposé ces dernières années comme la mémoire vive d'une industrie qui a façonné les rêves de plusieurs générations d'enfants et d'artistes.

A l'auriculaire, le réalisateur porte une bague à l'effigie d'une tortue. Mais il n'a rien de la lenteur de l'animal. A 83 ans, celui qui a été surnommé le "vieillard voyou" lors d'une masterclass au festival d'Angoulême est toujours aussi alerte. "Quand j'étais enfant, voir des films d'animation était très mal vu. J'étais traité de voyou. J'ai l'impression de ne pas avoir changé depuis cette époque", confie-t-il.

Ma vie en 24 images par seconde, sorti en janvier dernier, lui a été inspiré par des amis français. Il a longtemps rêvé de priver son pays natal de ce livre essentiel sur son histoire. "J'étais farouchement opposé à l'idée d'une publication japonaise parce que j'étais persuadé que ça ne pourrait intéresser personne au Japon." Car selon Rintarō, l'archipel "ne s'intéresse qu'aux choses nouvelles" et "pas vraiment à son histoire".

"Ce pays n'étudie pas son histoire, son patrimoine. Il oublie son passé. C'est sûrement lié à la manière dont la société est structurée. En discutant avec les Français et les Japonais, je me suis rendu compte que leur façon de voir le cinéma d'animation n'était pas du tout la même. Les Français s'intéressent à l'histoire de l'animation japonaise. J'ai écrit ce livre pour des gens qui s'intéressent et veulent connaître cette histoire."

"On travaillait tout le temps"

Pour mener à bien ce projet, Rintarō a dû réapprendre à dessiner de la BD. Il en avait appris les rudiment dans les années 1950. Des œuvres dont il a "vraiment honte" maintenant. "Des mangakas talentueux comme Yoshiharu Tsuge et Sanpei Shirato étaient très motivés par leur passion alors que moi c'était simplement pour gagner de l'argent. Cette BD, je voulais la dessiner avec une vraie motivation, faire une vraie création."

Dès ses débuts dans l'animation, il participe à l'histoire. En 1958, il est engagé comme coloriste sur Le Serpent Blanc, le premier film en couleur du cinéma japonais. "Je mettais la couleur sur les cellulos (feuille utilisée pour l'animation, ndlr). C'était l'équipe des décors qui déterminait les couleurs. Coloriste, c'est un travail très important, mais à l'époque, c'était vraiment le bas de l'échelle dans la hiérarchie d'un film d'animation."

Il devient ensuite rapidement animateur. Les conditions de vie sont dures. Il est capable de travailler 20 heures par jour et d'enchaîner les journées sans se laver ou dormir. "À l'époque, les conditions étaient mauvaises mais ça ne gênait personne", soutient-il. "Il n'y avait pas d'industrie. On travaillait tout le temps mais on avait l'impression d'inventer quelque chose et pas forcément de travailler."

Rintarō a compris seulement récemment qu'il avait contribué à créer l'industrie de l'animation japonaise: "Je ne m'en rendais pas compte à l'époque! Il y avait des films à produire et j'ai tout donné sans penser que je faisais partie des pionniers", répond-t-il avec pragmatisme. "J'étais tellement heureux d'être sur ces projets. C'est beaucoup plus tard que j'ai pris conscience que j'étais un pionnier."

Déséquilibre

Dans les années 1960, il travaille aux côtés du "dieu du manga" Osamu Tezuka sur Astro Boy, la première série animée de la télévision japonaise. "La série a eu un grand succès et on a commencé à parler de l'audimat. Il a fallu faire attention aux sponsors. Tout a changé. C'est devenu une industrie." Et avec les années, les conditions de travail des animateurs ne se sont pas améliorées, déplore Rintarō.

"Aujourd'hui, des animateurs veulent travailler même si on leur dit que ce sont de mauvaises conditions", poursuit le réalisateur. "À partir de là, on ne peut rien dire. On ne peut pas empêcher quelqu'un qui veut travailler comme animateur malgré ces mauvaises conditions et en même temps il faut améliorer ces conditions. C'est assez complexe comme problème."

"Comme c'est devenu une industrie florissante, il y a une surproduction mais le nombre de personnes travaillant dans le milieu n'a pas forcément augmenté", regrette le cinéaste. "Avec peu de gens, on doit faire toujours autant de films. Même si les animateurs sont correctement payés, il manque du personnel aussi. Il y a un déséquilibre."

D'Albator à Arsène Lupin

Tout au long de sa carrière, Rintarō a été confronté à ces problèmes de production. En 1982, il a travaillé avec une équipe franco-japonaise sur une adaptation de Lupin III, manga culte sur le petit-fils libidineux du célèbre héros de Maurice Leblanc. "C'est dommage mais les producteurs n'étaient pas assez convaincus par le projet et donc le projet n'était pas convaincant", assène-t-il. "C'était normal que ça s'arrête."

"Je sais d'expérience qu'il est possible de travailler entre la France et le Japon malgré les différences culturelles. Quand il y a une bonne communication, c’est tout à fait faisable. Mais les producteurs (de Lupin III) ne mettaient pas à disposition les bons outils de communication", dénonce le réalisateur. "Dans un tel contexte, c'était impossible. La famille de Maurice Leblanc s'est aussi opposée au projet et il a fallu arrêter."

Malgré les contraintes d'une industrie qui laisse rarement du répit à ses innovateurs, Rintarō a marqué les esprits des spectateurs et des spectatrices avec son adaptation animée de Capitaine Albator où l'on retrouve la mélancolie du manga d'origine signé Leiji Matsumoto. La série, dans les années 1970, se démarque des autres programmes pour enfants de l'époque en imposant des images souvent sombres.

"Avec Albator, je tenais à mettre en avant mon propre style", raconte-t-il. "J'ai eu beaucoup de chance de rencontrer des gens qui me comprenaient et me soutenaient. C'est comme ça que j'ai réussi à faire des choses qui étaient destinées non seulement aux enfants mais aussi aux adultes. Chaque fois que j'ai essayé des choses différentes, je n'étais pas sûr que le public suive mais heureusement ce fut le cas."

Se renouveler

Un autre de ses faits de gloire reste L'Epée de Kamui (1985). Une fresque historique inspirée par les contes fantastiques nippons du XIX siècle réalisée après Harmagedon (1983), film culte de SF post-apocalyptique. "A chaque fois que je termine un film, je veux que le suivant soit très différent. C'était à l'époque très rare de voir en animation des histoires de samouraïs et de ninjas. C'est ce qui m'a poussé à faire ce film."

Tout au long de sa carrière, celui dont le vrai nom est Shigeyuki Hayashi n'a cessé de se renouveler. "C'est un ami à moi qui a trouvé ce nom, Rintarō. L'idéogramme de Hayashi se prononce 'rin' et 'taro' est très souvent donné aux premiers fils." Un surnom qui lui a permis de se faire un nom. "J'ai l'impression d'avoir plus vécu comme Rintarō que comme Shigeyuki Hayashi. J'ai trouvé ma vraie identité avec ce nom de Rintarō."

S'il n'a réalisé que deux films depuis 2000 dont une adaptation du manga Metropolis d'Osamu Tezuka, il n'est pas pressé de revenir derrière la caméra. Même les succès récents du Garçon et le héron et de The First Slam Dunk, deux films salués pour leurs qualités artistiques, l'ont laissé indifférent. "Je ne regarde pas tous les grands films qui sortent en ce moment. Je vois uniquement les films de mes amis comme Otomo."

Si le créateur d'Akira n'a pas tourné depuis 20 ans, il a imaginé il y a quelques années pour Rintarō le design des personnages de Nezumikozō Jirokichi. Ce court-métrage muet, consacré au réalisateur Sadao Yamanaka, mort en 1938 à l'âge de 28 ans, doit bientôt sortir en France. Une occasion pour lui de mettre en lumière une page oubliée de l'histoire japonaise. Le projet qui anime désormais ses vieux jours.

Ma vie en 24 images par seconde, Rintarō, Kana/Dargaud, 256 pages, 27,90 euros.

Article original publié sur BFMTV.com