Le dérèglement climatique est dû aux activités humaines et non au soleil

L’origine humaine du réchauffement climatique observé ces dernières décennies, fait l’objet d’un consensus scientifique. Mais celle-ci est régulièrement remise en question par la communauté climato-sceptique, qui accuse le soleil d'en être responsable. Une nouvelle publication en ce sens circule depuis début mai sur les réseaux sociaux, affirmant que l'origine du dérèglement n'est pas établie et que le rôle du soleil a été sous-estimé. Mais le réchauffement provoqué par l'augmentation rapide des niveaux de gaz à effet de serre produits par l'humain est, de loin, beaucoup plus important que les effets découlant des récentes variations de l'activité solaire, affirment plusieurs experts à l'AFP, qui confirment aussi qu'il y a bien consensus scientifique.

"Le réchauffement dû au soleil est cyclique. TOUTES les planètes du système solaire se réchauffent donc actuellement même sans diesel et sans vache ", affirme un internaute dans un tweet partagé plus de 300 fois depuis le 12 mai 2024.

Ce message, qui sous-entend ironiquement que les activités humaines (le "diesel" et les "vaches") ne sont pas en cause dans le dérèglement climatique,  renvoie à un billet de blog (lien archivé) de Patrice Gibertie, qui se présente comme "agrégé professeur de chaire supérieure en géopolitique et économie" et dont les allégations trompeuses ont déjà été vérifiées par l'AFP.

<span>Capture d'écran Blog Patrice Gibertie, prise le 21 mai 2024</span>
Capture d'écran Blog Patrice Gibertie, prise le 21 mai 2024

Dans ce long article mis en ligne le 12 mai, l'intéressé sous-entend d'abord que l'impact des activités humaines sur le changement climatique est surestimé. Un autre coupable, se trouverait juste au-dessus de nos têtes: le soleil. "Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU pourrait avoir considérablement sous-estimé le rôle du Soleil dans le réchauffement climatique", avance-t-il.

Cette publication circule alors qu'une tempête solaire (c'est-à-dire l'éjection de particules par le Soleil), d'une rare intensité, a touché la Terre du 10 au 13 mai 2024,  provoquant pendant trois nuits d'impressionnantes aurores boréales visibles de l'Autriche à la Californie, de la Russie à la Nouvelle-Zélande. Ces phénomènes ne sont habituellement pas observables à des latitudes aussi basses.

L'auteur cite en guise de source, "une nouvelle étude internationale (lien archivé) (rédigée en anglais) réalisée par vingt climatologues de 12 pays".

Selon Patrice Gibertie, cette étude sème le doute sur l'origine du dérèglement climatique: "Les auteurs ont conclu que la communauté scientifique n’est pas encore en mesure d’établir si le réchauffement climatique depuis les années 1850 est principalement d’origine humaine, principalement naturelle ou une combinaison des deux".

Mais Mathieu Barthelemy, professeur à l'université Grenoble-Alpes et spécialiste de météorologie de l'espace - contacté le 23 mai 2024 par l'AFP -explique que l'étude citée ne semble pas correspondre aux règles d'une démarche scientifique rigoureuse.

Le lecteur non-scientifique est en effet confronté à "une espèce de mélange de données biaisées avec d'autres (...). Ils [les auteurs de l'étude, NDLR] noient tout ça dans un espèce de verbiage très pseudo-technique, de manière à ce qu'on ait beaucoup de mal à décortiquer les bêtises qu'ils écrivent et que ça prenne du temps. Ils trouvent des corrélations mais pas de causalité", explique Mathieu Barthelemy.

Les allégations trompeuses des auteurs de l'étude mentionnés dans l'article de blog, ont d'ailleurs été vérifiées par un scientifique de la NASA (lien archivé) qui évoque des "erreurs graves" .

Parmi les auteurs, on retrouve Ronan Connolly - mentionné par Patrice Gibertie - qui se présente comme "scientifique, écologiste et écrivain" (lien archivé). Mais aussi Willie Soon, un ancien chercheur au Centre d'astrophysique de Harvard, habitué des prises de position climato-sceptiques. Il a par exemple prétendu que "les changements climatiques sont des phénomènes naturels qui se produisent depuis des milliards d'années", qui "n'ont rien à voir avec l'activité humaine". Une affirmation fausse qui a été vérifiée par l'AFP, notamment début 2024.

Les déclarations de Willie Soon dans une interview avec Tucker Carlson -ex-présentateur vedette de la chaîne américaine Fox News, et fréquent relais d'infox- ont aussi démystifiées ici par le site de vérification scientifique Climate Feedback (archive).

Consensus scientifique

Pour Patrick Chazette, climatologue, directeur de recherche au CEA et spécialiste du sondage de l'atmosphère par laser,  la réponse est claire depuis longtemps : "les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines sont les acteurs du changement climatique, que cela plaise ou non", explique-t-il à l'AFP, contacté le 15 mai 2024. "On sait parfaitement calculer le réchauffement en présence de gaz à effet de serre et c'est cela qui est inclus dans les modèles climatiques qui ont été validés sur les dernières décennies. L'influence de l'activité humaine ne fait aucun doute (...)".

"Depuis 1750, le réchauffement dû aux gaz à effet de serre provenant de la combustion des combustibles fossiles est plus de 270 fois supérieur au léger réchauffement supplémentaire dû au soleil lui-même sur la même période", ajoute de son côté Frank Pattyn, directeur du Laboratoire de glaciologie à l'Université libre de Bruxelles, également contacté le 15 mai 2024.

<span>Capture d'écran graphique de Patrick Chazette, prise le 17 mai 2024</span>
Capture d'écran graphique de Patrick Chazette, prise le 17 mai 2024
<span>Capture d'écran Deuxième graphique de Patrick Chazette, prise le 17 mai 2024</span>
Capture d'écran Deuxième graphique de Patrick Chazette, prise le 17 mai 2024

Il existe aujourd'hui bien un consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique, c'est-à-dire un avis partagé par l'immense majorité des scientifiques sur la base des résultats de milliers d'études sur le sujet, comme détaillé dans cette fiche de l'AFP.

Des scientifiques ont dès les années 70 évoqué un réchauffement climatique en lien avec l'augmentation rapide des concentrations de CO2 dans l'atmosphère provoquées par les activités humaines, comme détaillé sur le site spécialisé Carbon Brief (lien archivé ici).

Naomi Oreskesprofesseure d'histoire des sciences à Harvard, a été la première à quantifier le consensus sur l'origine anthropique du réchauffement climatique, avec en 2004 une étude sur près plus de 900 articles scientifiques publiés entre 1993 et 2003. "Fait remarquable, aucun des articles n'exprime un désaccord" avec cette origine humaine du réchauffement, y concluait-elle (lien archivé ici).

De nombreux autres travaux ont corroboré ces conclusions, dont une méta-analyse (archivée ici) réalisée par John Cookchercheur à l'université Monash en Australie, qui en 2016 concluait que 90 à 100% des scientifiques s'accordent sur cette origine, ou une étude de 2013 (archivée ici) plaçant le consensus à 97%, sur la base de près de 12.000 articles publiés entre 1991 et 2011.

Les rapports publiés successivement par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), sont parallèlement devenus la référence sur le sujet. Ils font la synthèse régulière des connaissances de la communauté scientifique internationale en analysant les études publiées. Les anticipations sont affinées au fil des rapports, à mesure, aussi, que les outils d'étude du climat se perfectionnent.

Dès sa première vague de rapports (lien archivé ici), en 1990-1992, le Giec se disait "certain" que "les émissions dues aux activités humaines accroissent sensiblement la concentration atmosphériques de gaz à effet de serre" (dioxyde de carbone ou méthane notamment), ce qui allait "renforcer l'effet de serre", alimentant ainsi un "réchauffement additionnel de la surface de la Terre".

Les rapports suivants n'ont cessé depuis de le confirmer et le préciser. Le Giec en est à son sixième rapport (publié en août 2021). La publication du seul groupe I (2.400 pages), qui a travaillé sur plus de 14.000 études, souligne d'emblée le caractère "sans équivoque" du réchauffement provoqué par "les activités humaines".

La Terre s'était ainsi réchauffée de 1,1°C en 2020 par rapport à la période 1850-1900. Une toute petite partie était liée à la variabilité naturelle du climat (entre -0,23 et +0,23°C), le reste étant provoqué par les activités humaines. Ce réchauffement global devrait avoir atteint 1,5°C dès le début des années 2030.

{{image}}

"Dire que les planètes se réchauffent, ça n'a pas de sens"

En revanche, dire que les autres planètes se réchauffent comme l'affirme Patrice Gibertie, "ça n'a pas de sens", alerte Mathieu Barthelemy. Patrice Gibertie avance en effet dans son article de blog, que "Mars se réchauffe quatre fois plus vite que la Terre (...) en raison de l’activité accrue du Soleil qui augmente les tempêtes de poussière".

"On ne peut pas dire globalement, que les températures des planètes s’élèvent, ce n’est pas vrai. On n’a pas d’évidences [de preuves, NDLR] sur la température des planètes, on n’a pas de mesure qui nous permette de dire ça", explique Mathieu Barthelemy. "Sur Mars, on voit des variations mais sur des temps géologiques, bien au-delà de ce que nous on observe sur Terre. Sur Mercure, il n’y a pas du tout d’atmosphère, donc la problématique est complètement différente [selon chaque planète]", poursuit-il.

De son côté, François Forget, planétologue à l'Institut Pierre-Simon Laplace estime que juxtaposer deux images de la planète Mars, pour faire croire à une évolution des calottes polaires, relève d'"une malhonnêteté avérée".  "L'illustration [voir tout en haut de l'article] c'est absolument n'importe quoi (...) On n’a pas le moindre quart de début d’indice d’une variation sur plusieurs années du climat d'une planète, dans le système solaire, sauf la Terre", conclut-il, contacté également le 23 mai 2024 par l'AFP.

La désinformation sur le réchauffement climatique est largement présente sur les réseaux sociaux, et l'AFP y a consacré de nombreux articles de vérification, consultables ici, ainsi que des fiches sur certaines thématiques, listées . En 2023, l'AFP avait aussi déjà vérifié des affirmations trompeuses accusant le soleil comme source du réchauffement climatique, comme dans cet article.

24 mai 2024 corrige coquille dans le titre