Crise du logement : ils n’hésitent plus à tricher dans leur dossier pour trouver une location

« On nous faisait comprendre qu’on était ridicules de penser qu’on avait la moindre chance, se souvient Paola. Alors que dans notre budget, le loyer rentrait bien. »
« On nous faisait comprendre qu’on était ridicules de penser qu’on avait la moindre chance, se souvient Paola. Alors que dans notre budget, le loyer rentrait bien. »

CRISE DU LOGEMENT - « On s’est vite rendu compte que si on ne trafiquait pas notre dossier, on ne trouverait rien. » Pourtant, Paola* et son compagnon ont des revenus stables et au-dessus du salaire médian de Toulouse, leur commune. Mais dans la ville rose comme dans bien d’autres, le marché locatif connaît une crise accrue. La faute, entre autres, à des biens à louer qui se font rares, une accession à la propriété de plus en plus restreinte, et des locations saisonnières qui prennent de la place sur le marché.

Alors, pour pouvoir louer un appartement, nombreux sont celles et ceux qui doivent recourir à des tricheries. Des « magouilles » de bonne guerre pour les personnes qui ont accepté de témoigner pour Le HuffPost.

Car toutes décrivent une réalité frustrante et un sentiment d’injustice. Loyers élevés, visites difficiles à obtenir lors desquelles il faut être en compétition avec des dizaines d’autres personnes, interactions parfois peu respectueuses… Qui, le plus souvent, amènent des déceptions. « Ça ne va vraiment que dans un sens : en tant que locataire, on nous traite très mal et ça laisse un sentiment amer », souligne Paola.

Photoshoper les pièces de son dossier

Cette réalité, Agathe* l’a bien connue. Quand elle tombe enceinte de son deuxième enfant, elle et son partenaire passent plusieurs mois à chasser les appartements à Lyon. Mais la trentenaire est au chômage, et son allocation, pourtant non négligeable dans le budget du couple, n’est prise en compte ni par les agences immobilières, ni par les propriétaires. « Ils ne comptaient que le salaire de mon compagnon en CDI, et il fallait trois fois le montant du loyer. Moi, je n’entrais même pas dans l’équation alors que je pourrais payer le loyer pendant un an avec ce que j’ai sur mon compte », raconte la jeune femme agacée.

Avec un sentiment d’urgence qui grandit à l’approche de l’accouchement, le conjoint d’Agathe photoshope à la hausse le montant de son salaire sur ses fiches de paie, ce qui leur permet de trouver un logement peu de temps après.

Des contraintes similaires à celles que Paola et son partenaire ont rencontrées à Toulouse en début d’année. « Malgré de bons salaires, nous n’étions pas considérés comme solvables : je suis en microentreprise depuis moins de deux ans et les assurances loyers impayés refusaient ce statut, même avec des garants », explique-t-elle. Seul comptait le salaire de son conjoint, qui n’est pas considéré comme suffisant.

« On recevait des mails d’agences qui nous faisaient comprendre qu’on était ridicules de penser qu’on avait la moindre chance avec notre dossier, se souvient Paola avec amertume. Alors que dans notre budget, ça rentrait très bien. » Finalement, une personne de l’entourage de Paola a pu lui falsifier un certificat étudiant grâce auquel seuls les revenus de ses garants ont été pris en compte. Une méthode qui a fonctionné : très rapidement, le couple a trouvé un appartement.

Faux conjoint ou faux locataire

Pour les personnes qui vivent seules, le parcours s’avère encore plus compliqué. Aline* est en CDI et cherche depuis un an à quitter la proche banlieue pour rejoindre Paris intra-muros. La jeune femme, qui cherche un appartement de 24 m2 minimum à 800 € n’a pas l’impression que ses critères soient excessifs, et pourtant. « J’ai une situation professionnelle stable et des garants solides, mais il semble que pour trouver un logement, il faudrait que je paie 900 € par mois pour des toilettes sur le palier et un plafond à 1m75 de hauteur », s’agace-t-elle. Le moindre logement un peu plus décent attire les foules : « Les annonces ont tellement de réponses qu’elles disparaissent en général après trois heures. »

Même constat pour Charline*, qui vit aux abords de la capitale. « Malgré les lettres de motivation, les super garants, le harcèlement d’agents immobiliers, c’était toujours des couples qui étaient retenus parce que je cherchais un 30m² avec une chambre. » Ce désavantage systématique des personnes seules a amené Aline, après avoir tenté d’ajouter 20 000 € brut par an à ses fiches de paie sans succès, à envisager un nouveau plan. « Je bosse sur un plan pour qu’une collègue se fasse passer pour ma partenaire - mais nous avons aussi peur de l’homophobie dans la recherche d’appartement », tempère-t-elle. En dernier recours, elle soupire : « sinon, quelqu’un a conseillé à mon père de se faire passer pour le locataire principal ».

Pour les locataires, de la lassitude et du découragement

D’autres ont plus de réticence à tricher et doivent parfois revoir leurs plans. C’est le cas de Ruoyi, artiste et auteur de bande dessinée à Lyon de 35 ans, qui a longtemps cherché un appartement seul. « Comme tout le monde, j’ai pensé à mentir. Mais je me suis rendu compte que les propriétaires pouvaient assez facilement vérifier ces informations. À la place, j’ai fait un document bien mis en page avec du texte, des graphiques pour montrer que les biens rentraient dans mon budget », explique-t-il. En vain. « Je crois que le fait d’être étranger a beaucoup joué : j’ai des amis avec la nationalité française qui gagnaient moins que moi et ont trouvé plus vite. Après beaucoup de déceptions, j’ai abandonné le projet et je suis resté en colocation. »

Pour Aline, la recherche d’appartement, c’est surtout « de la grande lassitude, du découragement, et de la rancœur envers les agents immobiliers et les propriétaires qui proposent des biens parfois quasi insalubres à des prix exorbitants avec la certitude que, de toute façon, quelqu’un dira oui. C’est rageant. » Rappelons tout de même que l’usage de faux est passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

*Les prénoms ont été modifiés

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