Avec « Cowboy Carter », Beyoncé n’est pas la première artiste noire à changer notre manière de voir la country

Beyoncé entend se réapproprier ce genre musical majoritairement blanc et masculin. Une démarche honorable déjà entreprise depuis plusieurs années notamment par le mouvement de musiciens Black Opry.

MUSIQUE - Yeehaw. Ce vendredi 29 mars est à marquer d’une pierre blanche pour la « beyhive ». Beyoncé vient de dévoiler son nouvel album Cowboy Carter. Ce n’est pas seulement le deuxième volet de son triptyque entamé avec Renaissance en 2022, mais aussi son premier disque dans un style musical auquel elle nous a peu habitués : la country.

Cowboy Carter, « fruit de plus de cinq ans de travail », comme l’a précédemment déclaré la pop star sur son compte Instagram, est né d’une mauvaise expérience vécue en 2016, lors de la 50e cérémonie annuelle des Country Music Association Awards. Sur scène pour interpréter son titre Daddy Lessons avec le groupe The Chicks, Beyoncé s’était attiré les foudres des puristes du genre, pour qui sa place n’était pas ici. « Je ne me suis pas sentie la bienvenue. Et il était très clair que je ne l’étais pas », écrit Beyoncé sur le réseau social.

L’évènement la pousse à se plonger dans l’histoire de ce style musical très américain, un secteur majoritairement masculin et blanc, et lui fait prendre conscience que les cow-boys noirs et indigènes ont été écartés du récit national. Avec ce huitième album, la star se met au défi de rééquilibrer la balance et de « dépasser les limites qui [lui] ont été imposées ».

L’un des premiers singles peut déjà lui donner raison : TEXAS HOLD’EM est devenu numéro un d’un classement de country réputé dans le pays de l’Oncle Sam, quelques jours à peine après sa sortie en grande pompe à l’issue du Super Bowl. C’est réjouissant, même si Beyoncé n’est pas la première chanteuse afro-américaine à s’illustrer dans le domaine.

Charley Pride, Linda Martell et Beyoncé

D’autres (très) rares artistes l’ont fait longtemps avant elle, comme Charley Pride et Linda Martell. Un héritage revendiqué par un mouvement de musiciens noirs à l’ampleur grandissante aux États-Unis, qui tentent depuis plusieurs années de changer notre manière de penser la country. Son nom ? Le Black Opry.

Né en 2021 sous la forme d’un blog censé mettre en lumière des personnes talentueuses exclues des espaces de création musicale à prédominance blanche, il a depuis dépassé les espérances de sa fondatrice, une ex-hôtesse de l’air du nom d’Holly G.

Le projet ne s’est pas seulement transformé en une grande communauté de fans et de musiciens issus de la country, de l’Americana, du blues, de la folk et du roots rock, il promeut des concerts (qui affichent souvent « complet »), en plus d’être à l’initiative d’une tournée dans tout le pays : la Black Opry Revue. Elle fêtera ses trois ans le 25 avril 2024 à Nashville, capitale du Tenessee et berceau de la country.

« On croit à tort que la musique country est devenue populaire avant que les artistes noirs ne s’y mettent, mais la plupart des artistes avec lesquels nous travaillons font la même musique depuis une dizaine d’années. Ce n’est pas une tendance pour eux. C’est ce qu’ils sont », explique au webzine Paste la fondatrice de ce grand mouvement, qui dit avoir quitté son métier pour se consacrer entièrement à cette activité.

Le Black Opry et ses artistes

Sur son site, le Black Opry répertorie plusieurs dizaines d’artistes. Beaucoup sont déjà bien installés dans le paysage, comme Reyna Roberts, Rhiannon Giddens, le bluesman Nathan Graham qui a joué avec Ben Harper, le candidat de la 25e saison de The Voice Tae Lewis ou la chanteuse Danielle Ponder, dont le clip Some Of Us Are Brave cumule par exemple plus de 210 000 vues sur YouTube.

Du Washington Post à l’émission Good Morning America, en passant par le magazine Rolling Stone ou le talk-show de Kelly Clarkson… La presse américaine suit depuis les débuts les avancées du mouvement. Les Grammys, aussi. Comme le pointe du doigt le tire d’un article publié sur le site de la cérémonie de remise de prix de l’industrie du disque titre : « Les Noirs ont contribué à la création de la musique country, mais ses tenants ne les ont pas laissés entrer. Le Black Opry est en train de changer tout ça. »

Et pas seulement du point de vue des artistes, mais aussi de celui des spectateurs. Le Black Opry s’est donné pour mission « dès le premier jour », continue Holly G, d’être un modèle d’accueil inclusif pour tous les fans. « Nous veillons à ce que nos concerts reçoivent les personnes LGBT + et handicapées », assure celle qui, malgré le succès, préfère rester anonyme.

Quid de l’impact de Cowboy Carter ?

Holly G se permet de voir les choses en grand désormais. Outre l’organisation de concerts, un premier projet signé sous le label Black Opry Records doit voir le jour dans le courant de l’année. Le but affiché : ne pas dépendre des circuits traditionnels de l’industrie du disque ou de ses tendances.

En 2022, Beyoncé n’a pas seulement fait vibrer la culture club et ses racines noires dans son dernier disque Renaissance, elle a aussi fait monter sur la scène de sa tournée internationale des artistes phares de la ball scene, mouvement artistique né dans la communauté LGBT + à New York désignant des « bals » en huis clos avec des défilés à thème.

La démarche, plus que salutaire, n’avait pas été exempte de critiques. À cause notamment de deux polémiques : un concert privé spectaculaire à Dubaï (émirat arabe à la législation homophobe, alors même que l’album était dédié à la mémoire de son oncle gay mort du sida) et l’utilisation d’un sample sans l’autorisation de son autrice, la chanteuse Kelis. Ainsi, une question demeure. Dans quelle mesure le succès indéniable de Cowboy Carter bénéficiera-t-il au Black Opry ?

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